Make in India ? Made in India !

Les JNE ont organisé le 3 février 2016 à la mairie du 2e arrondissement de Paris un petit déjeuner sur le thème : « L’Inde : Un laboratoire de l’écologie ? » Bénédicte Manier y a présenté son livre Made in India. Le laboratoire écologique de la planète (éd. Premier Parallèle).

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par Pascale Marcaggi
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Petit déjeuner JNE du 3 février 2016 sur « l’Inde, laboratoire écologique de la planète ». De g. à d., Carine Mayo (Pdte JNE), Bénédicte Manier (auteure du livre « Made in India »), Sophie Caillat (organisatrice du petit déjeuner et éditrice du livre) – photo @ Pascale Marcaggi

Alors qu’elle est en passe de devenir le pays le plus peuplé au monde*, l’Inde ne se présente a priori pas comme le Nirvana de l’écologie : New Delhi détient le triste record de la capitale la plus polluée au monde en concentrations de microparticules pm 2,5. Au point d’expérimenter pour la première fois la circulation alternée pour les huit millions de véhicules qui y circulent chaque jour, chiffre en constante augmentation. Pénurie criante d’eau : les nappes phréatiques sont de plus en plus contaminées. Suicides d’à ce jour plus de 300 000 paysans surendettés par la culture du coton transgénique Monsanto. Economie basée sur le charbon, dont le gouvernement veut multiplier la production par deux d’ici à 2020 en ouvrant une mine de charbon par mois, tout en signant avec Areva la mise en route d’un méga-centrale nucléaire. Le nouveau géant du monde augure mal l’ère qui vient de se signer avec l’accord de Paris. En écho, le président de la République vient en personne de se rendre en Inde pour y conclure la vente de 36 Rafales, accompagné d’Areva, EDF et consorts. Du « make in India », résumait François Hollande.

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La transgression, une tradition

C’est compter sans la société civile indienne, observe Bénédicte Manier, journaliste à l’AFP, spécialisée dans les droits sociaux, le développement et les transformations sociales. Depuis vingt ans, elle consacre un mois par an à ausculter le continent indien, et publie aujourd’hui Made in India – Le laboratoire écologique de la planète (éditions Premier Parallèle, numérique : 5,99 €, papier : 14 €). Voir chronique sur le site.  « L’Inde est dans une situation paradoxale, avec d’un côté le souci de son développement et ce que cela implique, et de l’autre une société civile qui répond à un point qui pourrait nous inspirer. » Une société civile qui a parmi ses grandes traditions de « ne pas compter sur l’Etat », et même de «  ne rien en attendre ».

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Or, en Inde, la tradition compte d’autant qu’elle est en l’occurrence gage de survie. L’économie dite « organisée » représente 7 % de la population active : autant dire qu’elle est marginale, au regard de ce système D à l’échelle d’un continent, fait de la société civile « la plus dynamique du monde », qui a cette « espèce de faciliter à inventer » et, « contrairement à la Chine, cette capacité à opposer beaucoup de résistance ». Une Inde où les trois millions d’ONG sont plus nombreuses que les écoles.

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Une résistance qui s’ancre dans l’Histoire : alors qu’au XIXe siècle, les colons anglais avaient massivement déforesté, les bois précieux en particulier, l’Inde a connu une mobilisation massive pour reforester. De même, dans les années 70, des femmes n’ont pas hésité à entourer les arbres de leurs bras pour arrêter les tronçonneuses, ce qui a par ailleurs inspiré les Tree Huggers – ceux qui embrassent les arbres avec leurs bras – contre les déforestations : toujours ce recours à des techniques souvent simples, le « génie des gens ordinaires ». Or, aujourd’hui, « la moitié de la population indienne a moins de 25 ans », elle est « parfaitement consciente des enjeux de son pays et de la planète », « de la crise écologique et du développement économique de l’Inde concentré sur deux décennies, quand chez nous, il a pris deux siècles ». La « tradition de la transgression » se développe d’autant, contre les barrages, contre les mines de charbon, contre le nucléaire, et propose des alternatives.

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On se croirait en Normandie

Ainsi, dans l’état du Rajasthan, le plus aride de l’Inde, 60 % des terres sont en voie de désertification. Les habitants du petit district d’Alwar, près de Jaipur, ont pris pelles et pioches pour creuser un système de canaux dans le but de recueillir l’eau de pluie. Résultat : « on se croirait en Normandie ». Les canaux ainsi creusés à la force des bras, ont rapidement permis de remplir les nappes phréatiques en eau potable pour 700 000 personnes. Quant aux agriculteurs d’Alwar, ils sont devenus les plus riches du Rajasthan, avec trois récoltes par an. Arbres plantés pour retenir l’eau, bocage et autogestion de l’eau par des assemblées villageoises où tout le monde – hommes et femmes, haute et basse caste – siège à égalité. Une transgression qui a réglé la pénurie d’eau de centaines de milliers de personnes.

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Au centre de l’Inde, dans l’Etat du Telangana, les paysans ne faisaient plus qu’un repas par jour. Motif : les « semences modernes » rendaient les sols stériles. Là, ce sont les paysannes qui prennent les choses en mains : retour aux semences locales, création d’une coopérative où chacun peut s’approvisionner en semences et rembourser… en nature, après récolte, auto-redistribution des terres et passage à l’agriculture bio. Comme à chaque fois, l’échelle est éloquente : 200 000 personnes sauvées de la faim. Désormais, les paysannes gouvernent les petits villages de la région, ont créé crèches et écoles du soir pour adultes, exportent le surplus de production en ville, tout en ayant banni les sacs en plastique au profit des sacs en toile de jute, et ont créé une radio communautaire, réalisé des films contre les OGM et pour les semences locales. Positivement subversif.

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Autre exemple encore, celui de la santé. Le réseau citoyen de prévention de la tuberculose forme à la détection des symptômes dans les épiceries. Dans l’Etat du Kerala, au sud de l’Inde, 100 000 volontaires s’occupent à domicile des 70 000 personnes en soins palliatifs. Une méthode qui a essaimé en Thaïlande, en Indonésie, mais aussi en Irlande et en Espagne. Enfin, dans les hôpitaux, les soins sont dispensés gratuitement aux plus pauvres, financés notamment par les hôpitaux haut de gamme… dont l’un d’entre eux est coté à la Bourse de Bombay.

Made in India met ainsi en avant cet « empowerment » de la société civile indienne, « ces expériences nombreuses et qui marchent. Au regard de la densité de la population, elles ont valeur d’exemple ». C’est l’effet laboratoire. « Chaque été en France, on fait attention à l’eau. Qu’est-ce qu’on attend pour recueillir l’eau de pluie? » interroge Bénédicte Manier.

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* Selon le nouveau rapport des Nations unies, Perspectives de la population mondiale : révision 2015, publié mercredi 29 juillet 2015, la Chine et l’Inde aujourd’hui au coude-à-coude avec respectivement 1,38 milliard et 1,31 milliard d’habitants (soit 19 % et 18 % de la population mondiale) devraient l’une et l’autre compter avant 2022 1,4 milliard d’individus. Mais, passé ce cap, la population chinoise devrait se stabiliser jusqu’en 2030 avant de se mettre doucement à décliner, pour retomber à 1 milliard à la fin du siècle, tandis que la population indienne continuera de croître, passant à 1,5 milliard en 2030 à 1,7 milliard en 2050 et à 1,65 milliard en 2100.

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