Face à l’effondrement, écrire un nouveau récit

 

 

 

par Antoine Bonfils, président des JNE


« On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS »
! Par cette phrase, prononcée le 25 janvier 2024, sur le plateau du 20h de TF1, en réaction à la colère du monde agricole, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, adressait à sa façon ses vœux à l’ensemble du monde écologiste. Pour le premier policier de France, « il n’y a pas deux poids deux mesures, les agriculteurs travaillent ! » et d’ajouter : « Est-ce qu’on doit les laisser faire sans envoyer les CRS ? Oui ! »

C’est oublier un peu vite que six jours auparavant, la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) de Carcassonne avait été partiellement soufflée par une explosion revendiquée par des viticulteurs proches de la FNSEA. Pire même, c’était une gifle adressée aux neuf militants de Bassines non Merci condamnés le 17 janvier pour avoir organisé et pris part à une manifestation interdite à Sainte-Soline, en mars 2023. Entre 6 mois et 1 an de prison avec sursis pour ces défenseurs de l’environnement qui souhaitaient s’en prendre, non pas à une préfecture ou au MIN (Marché d’intérêt national) de Rungis, mais juste à une colline de terre.

Vous avez dit deux poids deux mesures ? Par ses mots, Gérald Darmanin donnait quitus à l’ensemble des agriculteurs pour librement bloquer le pays, mener des actions commando dans les supermarchés et au passage procéder au saccage en règle de quelques préfectures. L’année olympique commençait donc bien, il allait y avoir du sport.

L’écologie, par contre, prenait un gros coup sur la tête. Surtout lorsque la gronde des agriculteurs révéla son vrai visage et les raisons de sa colère : les normes environnementales ! Accusée de tous les maux, la protection de l’environnement devait être mise au pas sous peine de perdre notre précieuse souveraineté alimentaire. Et ce fut fait par le gouvernement, avec notamment la mise en pause du plan Ecophyto, et la mise sous cloche de l’Office français de la biodiversité, le gendarme de l’environnement.

Pourtant, quelques jours avant la grogne des agriculteurs, on pouvait encore croire à une action décisive du gouvernement face à l’urgence climatique. Christophe Béchu, ministre de l’Écologie, présentait ses vœux, à sa façon, avec un plan d’adaptation au réchauffement climatique intitulé : « La France s’adapte à +4 ° ». Pardon ?? Plus 4 degrés Celsius ? Alors effectivement, oubliées les grand-messes des COP, les trajectoires à 1,5 °, à 2 ° C et j’en passe. Oubliés aussi les scénarios optimistes du GIEC. On est au moins partis pour 4 ° C de réchauffement d’ici la fin du siècle, c’est-à-dire le scénario SSP3 du GIEC. Et le gouvernement assume.

Alors, que nous reste-il en ce début d’année 2024 ?

D’abord la certitude que, comme l’affirme l’ONG américaine Berkeley Earth, les années se suivent et se réchauffent bel et bien : pour la première fois depuis l’ère pré-industrielle il a fait plus chaud de 1,54 ° C sur Terre, et ce, tout au long de l’année 2023.

Ensuite l’évidence que nos glaciers fondent inexorablement, comme j’ai pu le constater dans les Pyrénées en ce mois de décembre, bien trop doux. Les chutes de neiges s’accompagnent de journées anormalement chaudes, le manteau neigeux ne tient pas et ne remplit donc pas son rôle de recharge des retenues hydriques, comme au lac des Bouillouses, anormalement bas en hiver qui ne pourra pas alimenter le fleuve la Têt cet été, ni irriguer les plaines du Roussillon. C’est déjà le cas en Catalogne en ce mois de février. La capitale Barcelone manque d’eau, une sècheresse historique. Au point de demander un ravitaillement par la mer pour toute sa population.

Si 2023 devait marquer le point de basculement, 2024 malheureusement sera, à n’en pas douter, l’année de l’effondrement.

Einstein disait que refaire 100 fois le même calcul en espérant une réponse différente était un signe de la folie. On peut dire la même chose des politiques publiques.

Notre société développée ne semble toujours pas comprendre le problème qui lui est posé : les humains peuvent-ils vivre en harmonie avec leur environnement, à +8 milliards d’habitants, et de façon soutenable pour la nature ?

On se doutait bien qu’il y aurait çà et là des pressions sur la nature ou des erreurs commises, mais à aucun moment dans notre modèle de progrès, de croissance, les limites de la planète ne sont abordées.

Or, nous y sommes à ses limites. Elles sont atteintes.

Au Salon de l’hydrogène Hyvolution, en février, chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs rêvaient de stocker l’énergie produite en trop par nos réacteurs nucléaires ou nos énergies renouvelables. La question dont ils se préoccupent n’est pas de faire aussi bien avec moins, mais de faire plus de stockage, pour une demande qui va irrémédiablement augmenter.

Aucun ne se demande pourquoi nous avons besoin de cette énergie, pour quel usage.

Pour fabriquer de l’eau à Barcelone, c’est louable. Pour partir aux sports d’hiver en Tesla, et alimenter les canons à neiges, ou mieux la première piste couverte comme l’espère la station de Font-Romeu, est-ce vraiment nécessaire ?

Comme nous avons pu l’apprendre lors du Jeudi de l’écologie JNE du 8 janvier, avec Antoine Pierart, Béatrice Julien-Labruyère et Gaëlle Vincent, le sol se définit par un échange entre la vie extérieure, dégradation du végétal, et la vie intérieure. Il y a plus d’espèces vivantes à l’intérieur du sol qu’à l’extérieur. Aussi lorsque j’ai dit à ma fille : « Nous venons tous du sol, le sol c’est toute la vie sur Terre, nous sommes nés dans le sol »… « Comme les Barbapapa ? » m’a-t-elle répondu. J’ai compris seulement maintenant combien Annette Tison et Talus Taylor, les créateurs de Barbapapa, avaient été visionnaires en 1970. Au moment où Pierre Pellerin lançait les JNE. Ils étaient, de fait, portés par le même idéal.

Alors, à l’heure de l’effondrement qui nous guette, comme l’a rappelé Antonio Guterres (secrétaire général de l’ONU), il revient à l’ensemble des journalistes, écrivains, rêveurs, auteurs, et à tous les artistes, d’écrire un nouveau récit, une nouvelle histoire : celle du monde de demain.

Un monde polymorphe, rond peut-être, coloré surement, non genré, sobre, piétonnisé ou à vélo, un monde dans lequel puissent vivre nos enfants.

Un monde où nous serions tous un peu Barbapapa.

Image du haut : couverture d’un album de Barbapapa, de Annette Tison et Talus Taylor, aux éditions du Dragon d’Or © DR