COP27 : accord historique pour plus de justice climatique, mais pas encore de sortie des énergies fossiles

Après 30 ans d’attente, les pays en développement touchés par des catastrophes climatiques – montée des eaux, ouragans dévastateurs … – vont enfin disposer d’un fonds financier pour les aider dans leurs réparations. D’autres avancées ont également eu lieu, même si la présidence égyptienne n’a pas permis de lever certains blocages.

par Anne Henry-Castelbou, envoyée spéciale à Charm el-Cheikh

En résumé

S’il faut retenir les deux points majeurs de ce rendez-vous égyptien, citons le maintien de l’objectif de limiter à 1,5 degré le réchauffement climatique. Une position qui avait été réaffirmée quelques jours plus tôt lors du G20 à Bali. Ce n’était pas gagné : de nombreux scientifiques, mais aussi des pays producteurs de pétrole s’étaient mobilisés durant cette quinzaine pour rehausser cette limite à 2 degrés.

Également, un fonds pour financer les Pertes et préjudices à l’attention des pays vulnérables, attendu depuis 1992, est annoncé. Cette initiative a été portée par l’UE et tardivement par la France. Il reste maintenant à le définir : qui pourra en bénéficier ? Qui l’abondera ? Les pays historiquement responsables du réchauffement climatique ou également les pays émergents pollueurs actuels ? Et quels financements (FMI, banques multilatérales, taxes entreprises pétrolières …) ? L’accord reprend en tout cas les priorités annoncées par Emmanuel Macron et la Première ministre de la Barbade en début de COP, en vue du sommet de juin 2023 pour réformer la Banque mondiale et le FMI sur les questions de la finance-climat.

Agnès Pannier-Rusacher, ministre de la Transition énergétique, à la COP27 de Charm el-Cheikh © Anne Henry-Castelbou
Agnès Pannier-Rusacher, ministre de la Transition énergétique, à la COP27 de Charm el-Cheikh © Anne Henry-Castelbou

Cependant, la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui a participé aux négociations sur place, reste déçue par le manque d’ambition de la résolution finale : « pour réduire les gaz à effet de serre. Il faut aller plus loin, notamment sur les contributions nationales NDC, sur la sortie des énergies fossiles, et sur la reconnaissance de la position du GIEC comme quoi en 2025, nous devons avoir atteint notre pic de gaz à effet de serre pour l’ensemble de la planète ». Néanmoins, pour certains, cette demande de la sortie des énergies fossiles venant de l’Inde, une première, équivaut à la fin d’un tabou. Une position qui doit donc encore mûrir.

Egalement, pas d’avancée pour porter l’enveloppe financière annuelle de 83 à 100 millards de dollars pour financer l’adaptation et l’atténuation des pays vulnérables. Un chiffre à comparer avec le coût de la Coupe du monde de football au Qatar, estimé à 200 milliards de dollars.

Coulisses d’une dramaturgie de fin de Cop

Cette fin de COP a été marquée par un vrai retournement de stratégie géopolitique sur le point majeur de crispation de la quinzaine : le fonds Pertes & préjudices. A vouloir s’affirmer comme un leader du climat (l’UE avait déjà annoncé en Égypte qu’elle accélérait ses diminutions de GES de 55 à 57 % d’ici à 2030), Frans Timmermans, vice-président de la Commission, n’a pas hésité à bousculer les cartes jeudi 17 novembre. Le matin, l’UE, la Chine et les Etats-Unis étaient encore contre un fonds dédié aux Pertes & préjudices. Dans l’après-midi, Frans Timmermans créait la surprise en proposant 60 millions de dollars, logés dans un fonds spécifique. Une position impensable il y a encore quelques semaines.

La France prend la nuit pour y réfléchir, les Etats-Unis et la Chine s’enferment 3 heures dans une salle de négociations pour en discuter. Pour Stéphane Crouzat, ambassadeur français des négociations climatiques, « l’UE a senti qu’il fallait jouer son va-tout, si on voulait aboutir à une résolution finale. Les Etats insulaires avaient déjà annoncé qu’ils bloqueraient les négociations si rien n’avançait sur ce sujet ». Et rien n’est innocent : l’UE sait qu’elle a besoin des pays du Sud pour les ressources énergétiques et les minerais rares. Trois  jours après, la proposition était acceptée dimanche matin 20 novembre, dans un silence assourdissant de la Chine et des Etats-Unis.

Restauration de la confiance Nord-Sud

Pour faire face aux Pertes et préjudices, d’autres mécanismes ont été actés en dehors de l’adoption à l’unanimité de la résolution finale, et dans le cadre de négociations multilatérales. La France, l’Allemagne, le Danemark, la Canada, l’Irlande et les Etats-Unis ont annoncé la création d’un « bouclier de protection mondiale ». Ce mécanisme, doté notamment de 20 millions d’euros par la France, est basé sur un modèle assurantiel et permet de diversifier les outils financiers. Et le réseau Santiago a été acté : il permettra d’évaluer les pertes et préjudices après chaque catastrophe climatique et de chiffrer les solutions pour y faire face. Les femmes et les peuples autochtones y seront représentés.

« Ces étapes sont assez marquantes de la reconstruction de la confiance entre les pays du Nord et ceux du Sud », souligne Sébastien Treyer, directeur de l’IDDRI (Institut du développement durable et des relations internationales). « Ça passe aussi par la réforme des banques multilatérales de développement, pour répondre aux besoins massifs d’investissement dans les pays du sud de 2000 milliards de dollars par an, évoqués par le rapport Stern (NDLR : publié en 2006). Le G20 de Bali a annoncé que l’on va dans ce sens. »

Egalement, les Partenariats de transition énergétique juste (JETP), imaginés en 2021 à la COP 26 de Glasgow, avancent. Le premier concerne l’Afrique du Sud, soutenu par les Etats-Unis et l’UE, qui a franchi une étape. Ce pays a présenté cette année un plan d’investissement et l’UE a apporté une promesse financière. Les annonces sont ainsi suivies de concrétisations, même si le président sud-africain estime que ce n’est pas suffisant. Et un nouveau JETP en faveur de l’Indonésie est annoncé, financé par le Japon, avec 20 milliards de dollars publics et privés.

Forêt, eau, hydrogène

En-dehors de cette focalisation sur la finance climat, citons une coalition entre la République Démocratique du Congo, le Brésil et l’Indonésie pour préserver leurs forêts, soit 52 % des territoires forestiers de la planète, menacés par des projets d’exploitation pétrolières et gazières. La Présidence égyptienne de la COP27 a lancé l’ACE (Action for Climate Empowerment), une plateforme dédiée à l’engagement de la société civile, garantissant que leurs points de vue soient intégrés dans les négociations climat (lire ici notre article sur l’ACE). L’Organisation météorologique mondiale (OMM) a lancé AWARe (Action on Water Adaptation or Resilience) (lire ici notre article). Une initiative qui soutiendra la coopération inclusive pour relever les défis liés à l’eau. D’autres initiatives ont été menées pour les fonds marins, l’électricité ou l’hydrogène.

Premier discours de Lula

La présence de la société civile, égyptienne et internationale (jeunes, peuples natifs, entreprises, scientifiques, religieux…) a toujours été intense, avec des manifestations au coeur de la COP. Une première également. La venue du président brésilien Lula a été un point d’orgue : il a annoncé que son pays remettait la protection de l’Amazonie au coeur de ses préoccupations, avec la création d’un ministère dédié aux peuples autochtones.

Le rôle de l’Eglise catholique n’est pas en reste avec une déclaration en début de COP du pape François, qui a rappelé les catholiques à l’encyclique Laudato Si de 2015, sur la sauvegarde de la « maison commune ». Le même jour, des activistes catholiques pour le climat se rendaient au Mont Sinaï pour briser des tables de la loi afin de dénoncer l’inaction des dirigeants rassemblés à 200 kilomètres de là, à Charm el-Cheikh. Et la Conférence épiscopale nationale du Congo s’est mobilisée pour l’accord sur la protection des forêts du Bassin du Congo, Brésil et Indonésie.

Une banderole à la COP27 de Charm el-Cheikh © Anne Henry-Castelbou

Une présidence égyptienne critiquée

Chaque COP est différente en fonction du pays hôte. Si l’année dernière à Glasgow, la présidence a été saluée pour sa capacité à tenir les délais de négociations et à résister aux lobbys, ce fut tout l’inverse en Egypte. Dès le début, la logistique – approvisionnement en eau, accès des ONG aux salles de négociations – a posé problème. Le pavillon allemand s’est plaint d’être surveillé par le gouvernement egyptien. Sans parler de l’arrivée tardive en 2e semaine des projets de résolution finale, qui a contraint les négociations à se tenir dans un délai record. Ces projets de textes faisaient même grincer, tant ils étaient vides sur l’évolution des avancées des négociations, avec contre-sens et fautes de frappe. De nombreux soupçons ont pesé sur la présidence de ne pas vouloir mentionner la sortie des énergies fossiles, sous pression des pays producteurs de pétrole, tels l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis, la Russie ou certains Etats insulaires.

D’une COP à une autre

D’une année sur l’autre, les avancées restent indéniables, même si, pour le grand public lointain, les concrétisations peinent à être vues et ressenties dans son quotidien. Mais il faut bien saisir que la lutte contre le réchauffement climatique ne peut pas passer que par des changements d’habitudes individuelles. Pour un vrai retournement de situation, cela passe par des négociations qui semblent stratosphériques, mais qui sont essentielles. Cela concerne notamment l’argent, avec la réforme des banques de développement et des mécanismes de financements massifs pour faire face aux catastrophes climatiques et s’adapter au rechauffement.

Cela passe aussi par une évolution – et c’est une nouveauté de cette COP – du rapport de forces Nord-Sud. Jusqu’à maintenant, les pays du Sud – Chine compris – estimaient que seuls les pays du Nord devaient payer à cause de leur responsabilité historique dans l’émission des GES. Or, cette semaine, Frans Timmermans a proposé une nouvelle grille de lecture : les pays émergents pollueurs doivent maintenant mettre la main à la poche. « De quoi remettre en cause le principe de responsabilité commune différencié qui date d’il y a 30 ans et qui s’appuie sur des rapports de force coloniaux », souligne Lola Vallejo de l’Iddri. Ce qui n’est pas du goût de la Chine, qui estime en faire assez avec son investissement dans la Route de la Soie au coeur des pays vulnérables.

Arnaud Gilles (WWF) à la COP27 de Charm el-Cheikh © Anne Henry-Castelbou

COP 15 biodiversité et COP28 climat

En cette clôture de COP27, les ONG espéraient aussi une plus forte prise en compte de la protection et de la restauration des écosystèmes naturels (la première fois date de la COP26). « C’était l’occasion que les pays de la COP27 appellent à adopter à Montréal lors de la COP15 (en décembre 2022) un accord ambitieux pour inverser l’effondrement de la biodiversité d’ici 2030, afin d’avoir plus de nature en 2030 qu’en 2020 », insiste Arnaud Gilles du WWF. Mais rien n’a été inscrit dans la résolution finale. La COP 15 va donc s’ouvrir au Canada, sous une présidence chinoise, du 7 au 19 décembre, mais sans soutien de la COP27 et boudée pour l’instant par les chefs d’Etat.

La prochaine COP28 se tiendra à Dubaï en novembre 2023. Il est attendu une avancée de la mise en place des marchés carbone (article 6 de l’Accord de Paris), pour offrir de nouvelles sources de financements aux pays vulnérables dans le respect des droits humains. Également, la pression sur la sortie des énergies fossiles devrait se resserrer. Surtout, un bilan mondial (ou Global Stockstake) des engagements des pays va être réalisé. Il va recommander aux États leurs priorités pour accélérer la réduction des GES. Après l’année 2022 marquée par une pénible mise en œuvre de l’Accord de Paris, 2023 pourrait être l’année de la redevabilité qui mesurera les efforts (ou non) des pays pollueurs.

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Photo du haut : une fresque pour le climat à la COP27 de Charm el-Cheikh © Anne Henry-Castelbou