Petit déjeuner sur la biopiraterie

Les JNE ont organisé le 10 mai 2012 un petit-déjeuner sur la biopiraterie à la mairie du 2e arrondissement de Paris.

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par Roger Cans

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Le petit déjeuner des JNE sur la biopiraterie, le 10 mai 2012 à la mairie du 2e arrondissement de Paris - photo Laurent Samuel

 

Le cas du warana

Le premier intervenant est la fondatrice de la société Guyapi Tropical, Claudie Revel (au centre de la photo ci-contre). Depuis 1990, cette société s’efforce de commercialiser des produits de la cueillette effectuée par des communautés indigènes en Amazonie et au Sri-Lanka. Guayapi Tropical dispose aujourd’hui de 3.000 boutiques, qui vendent des produits alimentaires, thérapeutiques et cosmétiques.
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Claudie Revel constate qu’il existe encore des millions d’espèces inconnues au fond des forêts tropicales, mais que les indigènes du lieu connaissent pour leurs usages traditionnels. C’est le cas du warana (guarana en portugais), une plante qui sert au rituel du çapo chez les Indiens Satéré Mawé. La boisson, servie dans une calebasse, est partagée par la communauté pour atteindre « la connaissance ». Sa consommation donne du tonus et du bien-être. La société American Beverage s’est lancée dans son exploitation.

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Guyapi Tropical s’est engagée auprès de la communauté Satéré Mawé pour la fourniture à terme de 700 tonnes de warana et bénéficie d’une dénomination d’origine. Les peuples autochtones jouent le rôle de référents. Pour la certification, ni Ecocert ni l’INRA ne peuvent faire l’affaire. Car il faut prendre en compte le « totum » de la plante, c’est-à-dire un cortège vitaminique et minéral complexe, et pas seulement une molécule aux propriétés données. Le marketing doit être placé sous la tutelle de l’éthique.
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Le cas de la stévia est significatif. Cette plante sucrante a été retenue par Coca-Cola pour remplacer l’aspartame en 2009. Or l’aspartame est interdit au Japon depuis 40 ans et aux Etats-Unis depuis 1995. Aujourd’hui, la stévia est commercialisée dans le monde entier, sauf l’Europe.

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Au Sri Lanka est né le concept de « foresterie analogue » (analog forestry), sous l’autorité du professeur Ranil Senanayake. Il s’agit de conserver la forêt sauvage tout en l’exploitant. Un réseau international des forêts analogues est basé au Costa-Rica.

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Biopiraterie

 

La parole est ensuite donnée à Pierre William Johnson, un chercheur franco-américain qui vient de publier Biopiraterie, Quelles alternatives au pillage des ressources naturelles et des savoirs ancestraux ? (Editions Charles Leopold Mayer,  2012. Il rappelle que c’est au sommet de Rio, en 1992, qu’a été adoptée la convention pour la protection de la biodiversité. Il existe 80.000 plantes comestibles dans le monde, mais seulement trois sont consommées pour leurs protéines : le blé, le maïs et le riz. Il dresse un parallèle avec les langues : sur les quelque 5.900 langues répertoriées, plus de 5.000 sont parlées par de tous petits groupes locaux.

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Il souligne qu’un médicament sur deux, aujourd’hui, vient d’une plante. Mais la synthèse d’une molécule n’est pas aussi efficace que la plante naturelle, car elle peut produire des effets indésirables. Il existe un fossé entre l’Occident, qui protège la propriété intellectuelle, et les communautés indigènes, qui ne se sentent pas propriétaires de leurs ressources naturelles et de leurs connaissances. C’est la porte ouverte à la biopiraterie.

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En Inde, l’office des brevets a enregistré 200.000 formules, comme celle de l’arbre neem, qui sert de fongicide naturel. Les groupes français ne sont pas en reste. Greentech développe un cosmétique pour les grandes firmes : le sacha-inchi. On en extrait l’huile qui, avec de la farine, sert de masque de beauté. Il y a aussi Cognis et les laboratoires Pierre Fabre. Ce dernier a déposé en 1983 la marque Argane, mais il a été débouté en 2010, car on n’a pas le droit de commercialiser un produit sous le nom de la plante d’origine (la noix d’Argan, fruit de l’arganier).

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Pierre Johnson met en garde : « le bio ne garantit pas la biodiversité ». En effet, le label est normatif, donc imparfait. Et le label est souvent attribué par des clubs d’entreprises. En Inde et au Pérou, on a constitué des bases de données sur les plantes pour ne pas les utiliser. Il cite le cas de la marula, une plante d’Afrique australe. En Namibie, une coopérative de femmes en extrait l’huile, qui est ensuite commercialisée comme cosmétique par une société française, Aldivia. Au Swaziland, 2.600 femmes exploitent la marula pour elles-mêmes. Le produit en bouteille est vendu en France sous le nom de Marula Secrets.

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Pour l’huile d’argan, produite au Maroc, elle ne profite pas aux femmes, car elles ont été remplacées par des machines. Une ONG s’est créée : le Collectif pour une alternative à la biopiraterie. Il déplore que la stévia ne soit toujours pas admise sur le marché européen. La France pose un problème particulier : sous prétexte de lutte contre les sectes, on interdit les plantes de rituel.

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Les cosmétiques Aïny

Dernier intervenant, Daniel Joutard. Après une école de commerce, il part pour l’Equateur, où il découvre la culture indigène. Il travaille en France pendant huit ans comme consultant d’entreprise, puis décide de se lancer dans la commercialisation des plantes de rituel. Il fonde la société Aïny, qui signifie réciprocité en quechua (mais « je t’aime » en chinois et « mon œil » en arabe). Il fait le choix des cosmétiques rares, donc « de luxe ». Il exploite l’amaca, un tubercule que l’on trouve dans les Andes à 4.000 m d’altitude. La société française Naturex a racheté le brevet aux Américains.

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Pour Daniel Joutard, la biopiraterie consiste à observer dans les villages reculés l’usage des plantes que font les guérisseurs et les femmes pour leur beauté, sans demander leur autorisation. « Le commerce équitable est nécessaire mais pas suffisant », dit-il. Cela va pour les grosses productions (café, thé, cacao, banane), qui sont rémunérées à la quantité, comme une matière première. Mais cela ne garantit pas l’efficacité thérapeutique ou cosmétique, et l’on oublie les vertus immatérielles, partagées par un peuple, une culture. « Un guérisseur connaît 200 à 300 plantes ». Une plante cicatrisante, au village, peut être exploitée ailleurs comme remède anti-rides. Des pays comme le Brésil, le Pérou, la Chine et l’Inde sont bien décidés à contre-attaquer aujourd’hui.

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Faut-il encourager le dépôt de brevets chez les peuples autochtones ? Pas forcément. Il ne faut pas commercialiser à tout prix. Les brevets ne sont pas légitimes. Aïny a quatre principes :

1) On établit une relation de commerce équitable avec le producteur.

2) L’indigène établit une liste des plantes autorisées à l’exploitation et l’on institue un partenariat pour le bénéfice immatériel.

3) Pas de brevet lié à une plante.

4) On reverse 4 % du chiffre d’affaires (– 500.000 euros) pour compenser l’acquis culturel.

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Voilà deux ans que ces principes sont appliqués. Le truc pour éviter le brevetage pirate : les recherches sont publiées dans les revues scientifiques, de sorte qu’elles tombent immédiatement dans le domaine public et ne peuvent plus être appropriées.

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Sur ce petit déjeuner, lisez aussi ici l’article de Nathalie Giraud.

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