Sylve de Tronçais, Terrasson blues

Voici un texte rédigé par l’un de nos anciens adhérents à l’occasion de la rencontre autour de l’oeuvre de François Terrasson menée par les JNE le 8 janvier 2026 à l’Académie du climat (Paris), dont il est l’un des co-organisateurs.

par Christian Weiss *

Il était bien vain d’obtenir quoique ce soit de François Terrasson qu’il ne consente à partager. J’avais fait sa connaissance à une réunion de l’Association des journalistes pour la nature et l’écologie, et tout de suite, le bonhomme m’avait accroché. Homme cohérent, incorruptible et penseur radical de la Nature, ce primate peu diplomate me semblait peu enclin aux concessions et jamais en manque d’arguments scientifiques et sociologiques face à ses détracteurs. Le déroulé de nos voyages partagés, de mes recherches auxquelles je l’associais comme référent scientifique, de ses conférences que je suivais avidement, de ses publications bousculant tous les lieux communs de l’écologie et de la conservation ont nourri une amitié inscrite exclusivement dans une passion émotionnelle combative commune : la Nature Sauvage. Depuis huit ans, en fuite de l’urbain, je niche en lisière de la forêt de Tronçais …

Le sauvageon de Rossigneux

Le 3 juillet 1939, François Terrasson voit le jour à la ferme familiale des coutures, à Saint-Bonnet-Tronçais où mère et enfant survivent in extremis. Il n’en finira pas de s’accrocher à la vie. Les rives de la Sologne, une petite rivière qui serpente dans le pays, et la forêt de Tronçais, en lisière, seront ses écoles buissonnières. L’ancien nom du village, Saint-Bonnet-le-Désert, fait référence à des parcelles de forêts essartées, sans arbres et Tronçais aux gros troncs de chênes, les tronces. Cherchant un peu d’intimité, sa mère s’installe au moulin de Rossigneux (du rossignol) dans un théâtre de bief, de rivière, d’aulnes et de saules, en milieu bocager. Elle s’arrange chichement de ressources vivrières. L’enfant est un étranger pour son père, captif de guerre, et traumatisé, mais qui lui prodigue pourtant quelque savoir-faire en jardinage et en apiculture. Sa mère trouve un petit revenu comme « famille d’accueil » pour des enfants de l’hôpital psychiatrique d’Ainay-le Château. Son grand-père lui enseignera à lire avant qu’il aille à l’école, lui communiquant la soif d’apprendre. Il s’affranchira vite de toute sa vie d’attaches familiales, affectives et par la suite professionnelles, pour vivre sa vie libre et sans contraintes.

Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) dans « les 400 coups » de François Truffaut © DR

Dès l’âge de 10 ans, François s’immerge dans la nature, grouillante de vie après la guerre, mares, étangs, chemins creux et ronces, et devient incollable sur les herbes folles, les insectes et la faune minuscule, gagnant un concours local d’herbier doctement renseigné… en latin. Il s’enhardira plus tard à camper sur la plage de l’étang de Saint-Bonnet – sans équipements touristiques, ni interdictions à l’époque – et dans la forêt de Tronçais – plus sauvage qu’aujourd’hui, puis il s’éloignera en vélo, sac au dos, explorateur en herbe du Bourbonnais. Il fera également les « 400 coups » comme Antoine Doinel, mais à la campagne, ne se privant pas de canulars et de niches vers ceux et celles qui s’en sont pris à lui, enfants comme adultes.

Il s’initie à la caméra Super 8, toujours pour filmer ce qu’il voit dans la nature, faisant partager sa passion à ses camarades quand il intègre l’école normale d’’instituteurs de Moulins. Il n’y restera que 4 ans, juste pour acquérir un certificat de fin d’études, « passant son temps à rigoler et à déconner » comme il le raconte. Son seul but, vivre dans la nature et pour la nature. Il tergiversera avec le parcours qu’on tente de lui imposer, car l’enseignement conventionnel le rebute. Il rencontrera dans la « montagne » bourbonnaise « sa » sauvageonne, Marie-Claude, qui le soutiendra dans son parcours pour acquérir les diplômes, sésames vers sa passion. Biologie végétale et animale, géologie, ethnologie, préhistoire, sociologie rurale, anthropologie, archéologie, linguistique, psychiatrie, François accumule mille compétences grâce à sa mémoire hors du commun…

Sa persévérance sera enfin récompensée quand il obtient un petit poste d’enquêteur-adjoint de la conservation de la Nature au Muséum d’Histoire Naturelle en 1967 … Tout commence alors vraiment, en complicité notamment de Théodore Monod, séduit par le personnage. Il sera nommé maître de conférences en 1984 mais devra se battre au sein du Muséum contre la bureaucratisation et la mise sous tutelles des mandarins universitaires qui se doivent de publier en anglais des mémoires imbitables. Le moulin de Rossigneux, acquis par lui en 1980, deviendra un lieu mythique, une tanière où il produit ouvrages et conférences et où il accueille une fois par an ses amis fin juin, pour des « beuveries apicoles », une retrouvaille rabelaisienne entre scientifiques, journalistes, paysans et artistes baignés dans une émotion collective au sein de la Nature. Il nous a quitté en 2006, en psalmodiant gravement un chant amérindien d’adieu à la Terre auprès de sa femme, mais son rire résonne encore par ici, la nuit …

Épilogue ?

Avec le changement climatique, la gestion sylvicole industrielle du massif de Tronçais a aggravé les impacts de l’aridité, le dépérissement des hêtres et des chênes, l’assèchement des sols, l’appauvrissement de la biodiversité. Les champs d’arbres ont succédé à l’écosystème forestier et en dépit de son classement « sans contraintes » de forêt d’exception, la sylve, le milieu du sauvage, s’amenuise. Pour que l’écosystème forestier sauvage se reconstitue, nous devrions « laisser tranquille » un millier d’hectares, sans prélèvements ni chemins entretenus. L’ignorance domine, aux antipodes de complicités que l’homme partageait avec la nature. Un jour Saint-Bonnet-Tronçais pourra à nouveau se nommer Saint-Bonnet-le-Désert.

« Ce qui est excessif est insignifiant », ont rétorqué ses détracteurs – ingénieurs IGREF – à François Terrasson. « C’est ce qu’ont dû penser les habitants d’Hiroshima quand la bombe les a anéantis », a répondu François.

* Ancien membre des JNE, co-organisateur de la rencontre du 8 janvier 2026 sur François Terrasson

Photo  du haut : le moulin de Rossigneux © Danièle Boone

 

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