Le combat pour l’eau : une lutte prioritaire pour sauver le vivant – par Pierre Grillet

Le Convoi de l’eau, en parcourant 400 km entre Sainte Soline et Orléans, a mis en lumière la très forte adhésion populaire à ce combat : les accueils réservés aux participants, que ce soit lors des étapes dans la traversées des bourgs ou lors des arrivées chaque soir, ont été très majoritairement chaleureux avec de multiples encouragements.

Réunir près de 800 participants de tous âges à vélos et une vingtaine de tracteurs, des familles entières, les accueillir pour les bivouacs, assurer la nourriture pour tout le monde, se préoccuper du bien-être de chacun-e, le tout dans une ambiance revendicatrice et festive, démontre une belle capacité d’organisation qui doit être saluée à la hauteur des enjeux.

Le Convoi de l’eau aura également réussi à démontrer le lien existant avec de multiples autres combats : parmi ceux-ci, la lutte contre ces méthaniseurs de plus en plus imposés aux population et conséquences de l’agriculture industrielle, contre ces fermes usines, également imposées, dont les projets sont nombreux alors qu’ils apparaissent aujourd’hui totalement anachroniques, contre ces accaparements des terres par des sociétés au détriment des petits paysans, contre cette artificialisation des sols qui ne cesse toujours pas pour le profit immédiat de quelques grosses sociétés, contre l’exploitation abusive des sables de nos fleuves… Elle aura également montré des actions positives comme cette ferme coopérative conduite par une poignée de personnes pour y faire du pain et des légumes.

A travers les bassines agricoles, c’est bien l’ensemble des combats pour le vivant qui est concerné. Les enjeux sont énormes. Perdre cette lutte serait un très mauvais signe pour tous les autres combats actuels. La gagner serait peut-être la porte ouverte à d’autres victoires et une prise en compte enfin sérieuse des problèmes liés à nos relations avec les autres vivants non humains tout comme avec les autres humains. Ces enjeux forts expliquent sans doute, pour partie, l’obstination de l’État qui s’est enfermé dans sa logique mortifère : décider et imposer tout en laissant croire à un dialogue qui dans les faits n’est là que pour mieux faire passer des projets déjà validés par quelques-uns. De plus en plus de voix s’expriment contre ces bassines et parmi elles, celles de scientifiques et d’économistes qui en démontrent toute l’absurdité tant pour la ressource en eau que pour les coûts énormes (et en partie publics) induits par la réalisation et le fonctionnement de tels outils sans en oublier les coûts énergétiques.

Cette lutte contre les bassines est essentielle pour tous les autres combats pour le vivant. Elle s’attaque de front à l’utilisation d’une ressource indispensable pour la vie, une ressource privatisée pour le profit de quelques uns-es, donc largement gaspillée, alors que 1,4 milliard de personnes vivent avec moins de 1000 m3 d’eau par an ! On parle de stress hydrique, lorsqu’un être humain dispose de moins de 1 700 m3 d’eau par an et de pénurie, avec moins de 1000 m3 par an. A moins de 500 m3 par an, on entre dans la pénurie extrême. Pour Riccardo Petrella (politologue et économiste), si on est dans une société qui accepte de marchandiser, donc de donner un prix à l’eau, « nous sommes alors dans une société qui accepte de ne pas reconnaître le droit à la vie pour tout le monde ». En s’attaquant au droit à l’accès à une eau suffisante et de bonne qualité, on rejoint directement le droit à l’accès à une nourriture de qualité pour tout le monde quel que soit son revenu, on rejoint le combat nécessaire contre l’agriculture industrielle et ses excès, on rejoint le combat nécessaire pour la préservation des espèces et des milieux.

Le rapport de force est de plus en plus tendu. Au terme même de la démonstration formidable de ce Convoi de l’eau, le dialogue via le préalable d’un moratoire total sur les bassines n’arrive toujours pas à se faire entendre d’un pouvoir hors sol. Il est plus que jamais nécessaire que toutes les forces qui travaillent pour la défense du vivant soient réunies et affirment sans ambiguïté leur soutien, leur opposition et montrent leur participation effective à tel ou tel mouvement de protestation. France Nature Environnement et toutes ses associations adhérentes devraient être aux premières loges, mélanger leurs propres drapeaux à ceux de la Confédération paysanne très investie dans le mouvement. Certaines de ces associations sont déjà très impliquées dans des mouvements locaux et il ne s’agit pas de critiquer ce type d’action, bien au contraire. Mais aujourd’hui, il me semble qu’on a besoin d’un mouvement massif à l’échelle du pays qui crie très fort : non à l’agriculture industrielle, non à l’accaparement des terres, non à l’artificialisation des sols, non aux inégalités croissantes… Tout en s’associant à toutes les expériences alternatives positives qui se multiplient à travers le pays mais qui restent à une échelle telle que le pouvoir peut continuer son travail de destruction sans beaucoup de soucis.
Alors oui, il faut aussi passer outre ce fameux contrat d’engagement républicain qui, aujourd’hui, est une arme décidée par le pouvoir et l’ensemble de la droite pour brider ces organismes. Il faudrait en avoir le courage, quitte à perdre certains financements. Lui faire un énorme bras d’honneur. Ou alors, nous resterons toujours soumis quels que soient nos bons sentiments aux choix d’un pouvoir qui, bien que parfaitement conscient des enjeux, fera toujours tout pour continuer les affaires tout en laissant croire auprès de l’opinion que le changement serait en route. Ne servons pas de caution ou de paravent qui ne feraient que laisser un peu plus de champs libre à ces affairistes.

Nous sommes en crise, c’est sans doute le moment de faire des choix. Ne ratons pas cet instant.

Photo du haut : la loutre, symbole de la lutte pour le partage de l’eau en tête du cortège du Convoi de l’eau © Pierre Grillet