Juillet 2023 en Algérie : une canicule sans précédent

Les « normales saisonnières » semblent se réinstaller en ce début de mois d’août, au grand soulagement des Algériens, accablés, des semaines durant, par la canicule. Certains jours de juillet, les températures ont dépassé 48 degrés Celsius à l’ombre dans les régions côtières et proches côtières où, habituellement, elles tournaient autour de 30 °C, frôlant exceptionnellement les 40 °C.

par M’hmed Rebah

Les bulletins quotidiens de suivi climatologique de l’Office national de météorologie (ONM) pour les premières journées d’août 2023 ont noté des « températures normales », y compris à l’extrême sud, notamment dans les wilayas de Tamanrasset et In Guezzam. Il y a des exceptions : à Adrar (1400 km au sud-ouest d’Alger) et dans d’autres wilayas du sud du pays – Bordj Badji Mokhtar, Timimoun, In Salah, Tindouf et Beni Abbes, le bulletin météorologique spécial (BMS) émis par l’ONM continue d’annoncer des températures pouvant atteindre 50 °C. Le 3 août 2023, Adrar, avec 49,8 °C, a été classée par un site spécialisé, Eldorado Weather, la troisième ville la plus chaude au monde dans « les dernières 24 heures ».

Les services de santé étaient en vigilance pour gérer les effets de la vague de chaleur. Le ministère de la Santé a recommandé, notamment aux personnes âgées et aux enfants, de prendre toutes les précautions, surtout boire beaucoup d’eau et éviter de s’exposer au soleil. La bouteille d’eau fraîche est présente dans tous les déplacements ; des vendeurs de rues la proposent à un prix, évidemment, plus élevé que dans une supérette ; aux moments les plus forts de la canicule, au centre d’Alger, des bénévoles l’ont distribuée gratuitement aux passants et aux automobilistes.

L’explication

Sans le réchauffement climatique, les températures exceptionnellement élevées enregistrées un peu partout sur la planète n’auraient pas été atteintes. Avec le changement climatique, cela sera ainsi à l’avenir, personne ne s’étonnera d’une canicule menaçante pour les populations. Ce sont les experts qui le disent. Ils citent à l’appui ce qui se passe en Europe du sud, mais leurs conclusions sont tout aussi valables sur la rive sud de la Méditerranée. Pour les chercheurs, « les récentes vagues de chaleur ne sont plus des événements exceptionnels » et celles qui adviendront « seront encore plus intenses et plus courantes si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites rapidement ».

Directeur de l’exploitation météorologique et de la climatologie de l’ONM, membre de la Commission météo, du climat, de l’eau et des services et applications environnementaux associés (SERCOM) à l’Organisation météorologique mondiale (OMM), Salah Abed Sahabi a recommandé aux pouvoirs publics, dans un entretien à l’APS (Algérie Presse Service), « la mise en place en urgence d’un système de vigilance sanitaire et de gestion de crise lié aux vagues de chaleur d’une période d’une semaine ». L’expert international évoque les conditions climatiques sévères attendues et insiste sur la création d’un « centre d’alertes précoces multirisques devant regrouper l’ensemble des institutions en charge de la surveillance et la gestion des risques majeurs ».

Très sollicitée par les médias depuis que le climat en Algérie connaît des situations extrêmes (sécheresse, inondations…), la chargée de communication à l’ONM, Houaria Benrekta, faisait remarquer, mardi 11 juillet 2023, que, pour la première fois, des relevés de température dans les wilayas côtières ont dépassé 48 °C. Un quartier d’Alger, Baraki, a enregistré ce jour-là, 47 °C. Quant à l’humidité, elle est restée souvent élevée dans les zones côtières, dépassant 80 %.

Dans ses réponses aux journalistes, Houaria Benrekta insiste sur le changement climatique et, plus spécialement en juillet, sur l’influence d’un dôme de chaleur entre l’Afrique du nord et le sud de l’Europe, qui « emprisonne l’air chaud, ne bouge pas et est rendu plus intense par le réchauffement climatique », explique-t-elle. Ses prévisions ne sont pas rassurantes : il y aura encore des canicules et des températures qui dépasseront les 48 degrés sur les côtes algériennes, les saisons vont changer avec une hausse des températures. Seule consolation : les vagues de chaleur du mois d’août seront moins sévères.

Les pics de consommation électrique

Les Algériens ont été surpris par cette canicule sans précédent dans leur mémoire. Leur riposte : le climatiseur, accroché à la façade extérieure, pour avoir des températures plus clémentes chez soi, et la citerne posée au balcon ou sur la terrasse, pour la réserve en eau, sont devenus indispensables. Le choix de ces équipements, dont les prix ont grimpé, indique le souci du « rendement » maximum : le volume des citernes doit permettre de stocker la plus grande quantité d’eau, et le type de climatiseur continuer à fonctionner autour de 50 °C. Il y a quelques années, ces critères n’entraient pas en ligne de compte pour de tels achats.

Les avantages procurés par le climatiseur, surtout, et, à un degré moindre, la citerne (qui utilise le surpresseur d’eau) dépendent de l’alimentation électrique. Au cours du mois de juillet 2023, des pics de consommation électrique ont été enregistrés, d’abord sur trois jours consécutifs : 17 508 mégawatts (MW) (dimanche 9), 17 905 MW (lundi 10) et 18 377 MW (mardi 11). Le lendemain, mercredi 12 juillet, dans une déclaration à la télévision publique, Mourad Adjal, président-directeur général de Sonelgaz, reconnaissait qu’il y a eu des coupures d’électricité, mais pas de pannes majeures; pourtant, ajoute-t-il, « nous n’avons pas l’habitude de ces températures élevées qui ont dépassé 45 degrés dans les régions côtières et 50 degrés dans les régions du sud ».

Face à l’augmentation de la demande en énergie électrique, des conseils ont été donnés par Sonelgaz sur la consommation rationnelle de l’électricité et les modalités d’usage de différents appareils électroménagers. Pour éviter le gaspillage de l’énergie et les factures élevées, il faut entretenir les appareils électroménagers, choisir des lampes économiques, baisser le niveau de climatisation, utiliser une machine à laver à plus basse température, fermer les rideaux et les fenêtres pendant la journée pour maintenir une température ambiante modérée et couper l’alimentation électrique des appareils inutilisés.

Les dirigeants de Sonelgaz ont eu raison de prendre en même temps des mesures pour sécuriser le réseau tout en assurant la continuité de l’approvisionnement en électricité. La demande n’a pas cessé d’augmenter. Le mardi 18 juillet à 14 h 44, un nouveau pic historique de 18.476 MW a été enregistré, puis dépassé le jeudi 20 juillet à 14h53, avec 18.572 MW et le dimanche 23 juillet à 14h08, à 18.697 MW. En 2022, le pic de consommation était de 16 822MW. L’Algérie produit actuellement 25.000 mégawatts (MW), ce qui permet de faire face à ces pics de consommation. Selon le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, le problème se pose dans le transport et la livraison de l’électricité dans ces conditions climatiques « inhabituelles », auxquelles Sonelgaz est appelée à s’adapter.

Du nouveau pour les énergies renouvelables

Dans ce contexte, de nouvelles annonces ont été faites sur les énergies renouvelables (ENR), à l’occasion de l’ouverture des plis concernant la réalisation du projet de 15 centrales photovoltaïques (entre 80 et 220 MW, chacune) d’une capacité totale de 2000 MW. Il s’agit de la première phase du programme de production de 15.000 MW d’électricité solaire photovoltaïque à l’horizon 2035, initié par le président Abdelmadjid Tebboune. Avant la fin septembre, les noms des entreprises retenues pour ce projet seront connus. A ce moment, on en saura plus aussi sur le projet Solar 1 000 de la société SHAEMS, dont l’ouverture des plis est prévu en septembre. Un autre projet de 3.000 MW sera lancé début novembre 2023. Au total, 6000 MW, selon le P-DG de Sonelgaz.

Pour le ministre de l’Energie et des Mines, ces projets permettront de concrétiser des partenariats entre des entreprises nationales et étrangères, qui contribueront à renforcer et développer les compétences et le transfert de technologie dans ce domaine. A côté d’entreprises étrangères, des sociétés algériennes spécialisées dans les énergies renouvelables participeront à ces projets.

Les feux de forêts

Le bilan des premiers incendies de forêts – 34 morts et de nombreux blessés – a ému l’opinion publique (plus que les cas de noyades, près de 200 en deux mois) et soulevé des questionnements sur leurs causes. Des images impressionnantes ont circulé sur les réseaux sociaux. La lutte contre les incendies de forêts, en Algérie, a été compliquée, ces dernières années, du fait des nouvelles conditions créées par le réchauffement climatique, mais aussi, dans une proportion qui reste à déterminer, les actes criminels. Les personnels chargés de la prévention des feux de forêts et de leur extinction, ont commencé à s’y adapter et à parfaire leur connaissance de ce fléau pour le combattre plus efficacement.

Directeur général de l’information et des statistiques à la Direction générale de la Protection civile (DGPC), le colonel Farouk Achour a, lui aussi, parlé du phénomène bien connu des météorologues, mais dont le profane ignorait l’existence : le dôme de chaleur entre le nord de l’Afrique et le sud de l’Europe. Il faut en tenir compte parce qu’il agit sur la direction des rafales de vents en leur changeant de sens toutes les 30 secondes au lieu de la demi-heure, a-t-il expliqué. C’est un aléa qui rend plus difficile la lutte contre les feux de forêts (radio algérienne, chaîne 3, Invité de la rédaction, 24 juillet 2023).

Le colonel Farouk Achour n’a pas exclu la part du « criminel » dans les feux de forêts. La preuve qu’il avance : des bouteilles contenant de l’essence accrochées à des arbres ainsi que des pneus usés, ont été découverts à Tipaza (à l’ouest d’Alger). Autre preuve : plusieurs individus soupçonnés d’être à l’origine du déclenchement de feux de forêt ont été arrêtés. Leurs dossiers ont été transférés à la Section antiterroriste et lutte contre le crime organisé du tribunal de Sidi M’Hamed (Alger). Il y a également l’incivisme : à Blida, un feu est parti d’une décharge sauvage.

Les plans de prévention des feux de forêts sont annoncés bien à l’avance. La Direction générale des forêts fait sa part : débroussaillage, entretien des accotements, entretien des points d’eau, des tranchées pare-feux, des pistes ; postes vigies, brigades mobiles. Cette année, les pouvoirs publics ont acquis des moyens aériens. De leur côté, les riverains des forêts commencent à prendre conscience du risque (y compris en milieu périurbain où des villas ont été construites récemment). Le Plan national climat, validé par le gouvernement algérien en septembre 2019, reconnaît le faible niveau de sensibilisation de la population et de sa capacité d’adaptation face aux incendies de forêts. Des spots diffusés à la télévision expliquent ce qu’il faut faire « avant, pendant et après l’incendie de forêt ». Les riverains doivent participer à la prévention en protégeant leurs parcelles agricoles et leurs vergers contre le feu (le cactus est un excellent coupe-feu) et en donnant la première alerte à temps. A fin juillet 2023, les moyens mobilisés ont, semble-t-il, permis d’atténuer l’impact des feux de forêts. On est loin des 222 000 ha qui ont brûlé en 1983 et des 280 000 ha de superficies brûlées en 1994.

Les services de santé ont prévu des dispositions pour la prise en charge des personnes victimes de brûlures. Les cas les plus graves sont transférés à Alger et répartis entre l’Hôpital central de l’Armée à Aïn Naadja et l’hôpital des grands brûlés à Zéralda. Pour sa part, le ministère de l’Industrie et de la Production pharmaceutique a appelé l’ensemble des entreprises pharmaceutiques spécialisées dans la fabrication des produits pharmaceutiques et du matériel médical utilisés dans le protocole thérapeutique contre les brûlures, à augmenter les quantités produites et à orienter des quotas vers les régions sinistrées.

Sommet Afrique sur le climat

Un Sommet africain sur le climat est prévu du 4 au 6 septembre prochain au Kenya. L’Afrique, étant la plus affectée par les effets négatifs du changement climatique, est au cœur de la problématique du financement pour y remédier. Lors de la 40e session du Conseil exécutif de l’Union Africaine (UA), tenue à Addis Abeba (Ethiopie) en février 2022, le président Tebboune a proposé la création d’un mécanisme africain de résilience et de gestion de la réponse aux catastrophes. Ce serait une Force civile continentale qui prendrait en charge efficacement et en temps réel les catastrophes, en apportant l’appui nécessaire aux pays africains touchés. La proposition a été d’abord adoptée à l’unanimité par le Conseil de paix et de sécurité de l’UA lors de sa réunion tenue au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement en octobre 2022, puis entérinée ensuite en mai dernier par le Sommet humanitaire extraordinaire de l’UA à Malabo (Guinée équatoriale).

Cette initiative est fondée sur le principe d’apporter des solutions africaines aux problèmes du continent. Autrement dit : l’Afrique doit pouvoir se prendre elle-même en charge. Au lieu de solliciter l’aide d’un pays d’un autre continent en cas de catastrophe naturelle, un Etat africain fera appel aux pays voisins qui disposent de moyens et d’expérience pour faire face à cette situation. L’Algérie financera la première réunion dédiée à la mise en place de ce mécanisme. La communauté internationale est appelée à soutenir et appuyer une telle initiative. C’est dans les préoccupations du Conseil de sécurité de l’ONU. Il y a peu, cette instance a abrité un débat sur l’impact du changement climatique sur la paix et la sécurité internationales. C’était la deuxième réunion officielle du Conseil de sécurité cette année sur un sujet lié au changement climatique, à la paix et à la sécurité. La question débattue : comment le Conseil de sécurité peut-il mieux intégrer l’impact du changement climatique sur la paix et la sécurité dans ses efforts de prévention, de résolution des conflits et de consolidation de la paix.

Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du dimanche 6 août 2023.

Photo du haut : ce n’est pas le soleil qui manque à Alger. Il a été accablant durant la canicule de juillet, mais il a alimenté en électricité un kiosque de l’ETUSA (entreprise publique de transport) © M’hamed Rebah