C’est avec l’aimable autorisation d’Actu Environnement que les JNE publient cet article mis en ligne sur ce site de référence sur l’actualité environnementale.
La cour administrative de Lyon a annulé la radiation du commissaire enquêteur Gabriel Ullmann, à l’origine d’un débat national sur l’indépendance de ces commissaires. La composition des commissions chargées d’établir les listes d’aptitude est en jeu.
par Laurent Radisson *
Sa radiation en décembre 2018 de la liste des commissaires enquêteurs avait ouvert un débat national sur le respect de l’indépendance de ces personnes chargées de conduire les enquêtes publiques. Par une décision du 1er mars 2023, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé la décision de radiation de Gabriel Ullmann prise, à la demande du préfet de l’Isère, par la commission départementale chargée d’établir la liste d’aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur, de même que le jugement du tribunal administratif de Lyon qui avait rejeté sa demande d’annulation.
Les juges d’appel enjoignent également à la commission de réinscrire M. Ullmann sur cette liste dans un délai de deux mois. Ils ont toutefois considéré qu’il n’y avait pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte, comme le demandait pourtant le requérant.
Pas d’incidence sur la conduite des enquêtes publiques
En première instance, le tribunal avait considéré que les deux griefs retenus par la commission pour prononcer la radiation, à savoir un positionnement en tant qu’expert qui excédait le cadre de sa mission et un manque d’impartialité, ne pouvaient légalement justifier cette décision. Il avait toutefois rejeté la requête de M. Ullmann en substituant à ces deux griefs un motif tiré d’un manquement à l’objectivité qui s’impose dans ces fonctions.
La cour d’appel juge que le motif substitué n’était pas de nature à justifier légalement la décision de radiation. Les juges de première instance avaient fondé la substitution sur le comportement inadapté du commissaire enquêteur à l’égard des services de l’État lors de l’enquête publique qu’il menait sur le projet industrialo-portuaire Inspira, en Isère. Un projet dont la déclaration d’utilité publique et l’autorisation environnementale ont, depuis, toutes deux été annulées par la justice.
« Cependant, les obligations de réserve et de neutralité ne sont pas applicables au commissaire enquêteur, qui n’est pas un agent public », juge la cour. Celui-ci, ajoute-t-elle, ne peut être sanctionné pour ses positions critiques à l’égard des politiques publiques et de l’action de l’État que s’il méconnaît les obligations qui s’imposent à lui ou s’il ne présente pas les garanties d’objectivité, d’impartialité et de diligence requises par le code de l’environnement. Le tribunal administratif ne pouvait donc retenir la teneur inappropriée des courriels de M. Ullmann, « dont il n’était pas démontré l’incidence sur la conduite de l’enquête publique », pour caractériser un prétendu manque d’objectivité.
Potentiels conflits d’intérêts dans les commissions d’aptitude
« Ce qu’il faut retenir, c’est que la cour a retenu qu’il n’y a eu aucun manquement de ma part dans l’exercice de mes fonctions », réagit Gabriel Ullmann. En le blanchissant, la justice administrative remet en cause la décision de la commission départementale de l’Isère dans cette affaire, mais aussi, plus largement, la composition et les potentiels conflits d’intérêts qui peuvent apparaître au sein de ces commissions départementales chargées d’établir les listes d’aptitude des commissaires enquêteurs sur l’ensemble du territoire.
Pour rappel, selon le décret du 4 octobre 2011 qui les encadre, ces commissions, présidées par le président du tribunal administratif, sont composées de quatre représentants de l’État désignés par le préfet, d’un maire désigné par l’association départementale des maires, d’un conseiller général désigné par le conseil départemental et de deux personnalités qualifiées. Un commissaire enquêteur, désigné par le préfet, assiste aux délibérations de la commission, mais avec une simple voix consultative. « Se pose la question de la partialité de ces commissions d’aptitude composées de maîtres d’ouvrage publics qui peuvent faire appel aux commissaires enquêteurs pour leurs propres projets », pointe M. Ullmann. Car si les commissaires enquêteurs sont désignés par le président du tribunal administratif, celui-ci ne peut les désigner que parmi les membres de la liste établie par la commission.
Dans cette affaire, le président du conseil départemental était aussi président du syndicat mixte chargé de piloter le projet Inspira. Il avait demandé au président du tribunal administratif l’éviction de M. Ullmann de la commission d’enquête dès l’ouverture de l’enquête publique de ce projet, échaudé par les avis défavorables que ce dernier avait émis dans le passé, en particulier sur le projet de Center Parcs de Roybon. Le président de la juridiction administrative ne lui ayant pas donné raison, il s’était tourné vers le préfet qui avait accepté de signer l’arrêté de composition de la commission qui allait évincer M. Ullmann. Dans cette instance siégeaient le préfet et l’aménageur du projet Inspira en tant que représentant du département, alors que Gabriel Ullmann venait d’émettre, entre-temps, un avis défavorable sur ce projet.
Mettre en place des garde-fous
Ces conflits d’intérêts soulignent la nécessité de mettre en place des garde-fous, qui pourraient passer par une modification des textes réglementaires encadrant la composition et le fonctionnement de ces commissions. À moins que le ministère de la Transition écologique fasse état aux préfets de son interprétation des textes actuels à travers une circulaire.
Dans un mémoire produit dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui avait été soulevée dans le cadre de ce contentieux, mais que le Conseil d’État avait refusé de transmettre au Conseil constitutionnel, il avait en effet affirmé : « Les dispositions du code de l’environnement ne sauraient être interprétées comme ayant pour effet de permettre une participation des représentants de l’État aux délibérations de la commission d’aptitude lorsque les intéressés sont à l’origine des poursuites ».
Cet article a été publié le 02 mars 2023 sur le site Actu Environnement.
* Journaliste, Rédacteur en Chef de Droit de l’Environnement