« Sobriété : et si on parlait de démographie ? » L’intervention de Michel Sourrouille au Jeudi de l’écologie des JNE du 12 janvier 2023

Voici un compte-rendu de l’intervention de Michel Sourrouille, membre de Démographie Responsable et des JNE,  lors de la table ronde du 12 janvier 2023 à l’Académie du climat (Paris) organisée dans le cadre des Jeudis de l’écologie par l’association des Journalistes-écrivains pour la nature et l’écologie (JNE) sur le thème « sobriété : et si on parlait de démographie ? »

Le débat était structuré autour de trois questions, chacun des intervenants ayant la parole cinq minutes à chaque fois.

1) Y a-t-il trop d’humains sur Terre ?

Je suis né en novembre 1947, nous étions 2,3 milliards. Le 15 novembre 2022, nous sommes passé à 8 milliards. Sur 75 ans, cela correspond à un accroissement annuel de 76 millions d’êtres humains. Je ne prêtais aucune attention à cette évolution démographique, vivant ma vie à mon échelle. Naître dans un monde surpeuplé, c’est s’y habituer.

Mais, faisant des études de sciences économiques et devenant militant, j’ai été amené à m’intéresser à la problématique démographique dans les années 1970. J’ai vécu les débuts de l’écologie politique et étudié 4 évènements consacrés à la question démographique. D’abord la Bombe P, de Paul Ehrlich, publié en 1971 chez Fayard en France. Il y avait une explosion de la population et on devait réagir. L’année suivante, le rapport sur les limites de la croissance (Les limites à la croissance, nouvelle édition parue le 3 mars 2022 aux Éditions Rue de l’échiquier) a fait grand bruit. L’évolution exponentielle de cinq variables en interactions (population, alimentation, industrie, pollution et ressources non renouvelables) faisait prévoir un effondrement socio-économique au cours du XXIe siècle si on n’allait pas vers la croissance zéro. Conscientisé par ces connaissances, j’ai voté pour la première fois de ma vie à la présidentielle de 1974. Le candidat et agronome de renom René Dumont présentait un programme écologiste d’avenir et un projet de réduction de la natalité. La préoccupation démographique avait acquis une telle importance à l’époque que s’est tenue en 1974 la première Conférence internationale sur la population à Bucarest. Nous étions déjà 4 milliards.

J’avais définitivement intégré l’idée de la surpopulation humaine. Car avec 8 milliards aujourd’hui, le poids du nombre ne pouvait être allégé. Tous les indicateurs sont au rouge, les scientifiques le constatent : réchauffement climatique, 6e extinction des espèces, pic des combustibles fossiles et pic des métaux, etc. L’équation IPAT montre qu’il ne va pas être facile de revenir à une situation d’équilibre. L’impact environnemental, noté I, est le produit de trois facteurs : la taille de la Population (P), les consommations de biens et de services (A pour Affluence en anglais) et les Technologies utilisées pour la production des biens (T). Si l’on regarde ce qui se passe réellement, on constate que le taux annuel de la croissance de la population mondiale est de 1 % et le taux de croissance du PIB en moyenne de 3 %. Considérons pour simplifier que T est égal à 1, alors l’impact environnemental augmente de 4 %  environ. Or il faudrait pour résoudre uniquement le problème du réchauffement climatique diviser par 4 ou 5 nos émissions de gaz à effet de serre. Toute croissance, économique ou démographique est incompatible avec cet objectif.

Il est donc nécessaire d’opter pour la sobriété démographique, ce qui n’empêche pas de promouvoir aussi la sobriété dans le mode de vie.

2) Opter pour une sobriété en matière de démographie, est-ce un bon moyen de réduire notre empreinte écologique ?

Jusqu’à récemment, faute de mieux j’utilisais le mot décroissance. Or l’idée de sobriété s’impose aujourd’hui aux esprits. Décroissance est de l’ordre du quantitatif et du fatalisme, sobriété correspond mieux à une valeur, c’est l’expression d’un volontarisme. Par exemple l’association France-Nature-Environnement nous souhaite pour 2023 une année « sobre et heureuse ». Mais elle rajoute que c’est nécessaire pour éviter une sobriété « contrainte ». Je développerai cet aspect en 3e partie. Il existe différentes sobriétés, énergétique, alimentaire, partagée… On peut aussi parler de sobriété démographique. Cette attitude est déjà présente dans Essai sur le principe de population de Thomas Robert Malthus,  dont la première ébauche date de 1798.

Malthusien est devenu un terme de notre dictionnaire. Il est préférable de se dire malthusien (des naissances d’accord, mais en fonction des possibilités du milieu environnant), plutôt qu’antinataliste, opposé en toutes circonstances à la natalité. Le terme malthusien est explicatif, le mot antinataliste en reste au quantitatif. La loi de Malthus est incontournable. La fécondité humaine a une tendance naturelle à suivre une évolution exponentielle, un doublement tous les 25 ans en moyenne (1, 2, 4, 8, 16…). La production agricole, soumise à la loi des rendements décroissants, ne peut au mieux que suivre une évolution linéaire (1, 2, 3, 4, 5…). En conséquence, il y a un décalage croissant qui implique qu’on ne peut se contenter d’améliorer la productivité agricole si on ne maîtrise pas en même temps l’expansion démographique.

Malthus peut donc être considéré comme un précurseur de l’écologie en tant que recherche de l’équilibre entre l’humain et son milieu de vie. En termes contemporains, un système socio-économique doit rester compatible avec les possibilités de notre écosystème, la Terre. En 1970, la situation était en équilibre, mais les spécialistes s’inquiétaient déjà à l’époque de la surpopulation. Or, selon le calcul de l’empreinte écologique, en 2023 il nous faudrait 1,75 Terre pour régénérer ce que l’humanité consomme en termes de surface. On est en train de dilapider le capital terrestre au lieu de vivre de ses fruits. Le Jour du dépassement a eu lieu au niveau mondial le 28 juillet 2022. Si l’ensemble de l’humanité vivait comme des Français, il faudrait même 2,9 planètes, ce qui est impossible ; notre niveau de vie n’est pas généralisable. Il y a une finitude de notre planète dont il faudrait bien prendre acte politiquement. Notez que cet indicateur est très anthropocentré, on part du principe que les biocapacités sont entièrement dédiées à la seule survie des humains sans considération de la biodiversité.
En conséquence, il nous faut collectivement devenir à la fois écologiste et malthusien pour essayer de préserver le sort des générations futures, il nous faut agir.

3) Une politique en faveur de la baisse de la démographie est-elle réalisable et souhaitable ?

Une politique malthusienne de maîtrise de la fécondité est plus que souhaitable, c’est absolument nécessaire, on ne peut y échapper. Malthus indiquait clairement ce qu’il fallait penser des solutions à la surpopulation : « Si on n’applique pas des obstacles préventifs à l’exubérance de la fécondité humaine, alors des obstacles destructifs (guerres, famines, épidémies…) provoqueront l’effondrement. » En d’autres termes, si on ne diminue pas volontairement la population humaine, elle sera de toute façon réduite de façon radicale et forcée puisqu’on aura laissé libre cours à la violence de la nature et des humains…

Le rapport de 1972 sur les limites de la croissance indiquait que face à une évolution exponentielle de la population, il n’y a que deux façons de rétablir l’équilibre : ou abaisser le taux de natalité, ou il faudra bien que le taux de mortalité augmente à nouveau. Toute société qui tient à éviter un accroissement brutal de ce taux de mortalité doit prendre des mesures délibérées pour contrôler le fonctionnement de la boucle positive : réduire le taux de natalité : «  En d’autres termes, nous demandons que le nombre de bébés à naître au cours d’une année donnée ne soit pas supérieur au nombre de morts prévisibles la même année. » On envisageait donc une croissance zéro de la population alors que la population comptait 4 milliards d’humains. Avec le double aujourd’hui, il nous faut en toute logique mettre en œuvre une diminution

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Une politique en faveur de la baisse de la démographie est réalisable, mais plus on attend, plus il sera difficile d’agir. Il y a inertie de la croissance économique comme de la croissance démographique, ralentir la course à l’abîme aurait du être initié dès les années 1970. Il faut donc considérer un engagement  très volontariste, à la fois individuel, politique et associatif. Personnellement j’ai fait un choix éclairé de fécondité en acceptant un avortement en 1973 (avant la loi sur l’IVG) et en n’ayant qu’un seul enfant biologique. D’autres vont plus loin en restant sans enfant après une contraception définitive pour des raisons particulières ou de plus en plus écologiques. Une politique démographique repose avant tout sur le libre choix (pro choice) des femmes et des couples. Une naissance doit être désirée. Cinquante pour cent des grossesses ne sont pas planifiées, soit près de 121 millions de femmes. En définitive, 60 % de ces grossesses non intentionnelles aboutissent à un avortement, soit au total 30 % de l’ensemble des grossesses.

Pour que la décision de procréation soit exercée en toute connaissance de cause, l’État doit assumer son rôle éducateur. Au sortir des écoles, un jeune citoyen ne doit plus ignorer aucun des aspects de la question démographique : vie sexuelle, égalité de sexes, méthodes de contraception, relation entre population et alimentation, capacité de charge d’un territoire, etc. La politique fiscale en matière d’allocations familiales doit être repensée. N’oublions pas que la France a été anti-malthusienne depuis les lois de 1920 réprimant contraception et avortement. On est allé jusqu’à prévoir la peine de mort pour quiconque contribue à un avortement : une femme et un homme ont été exécutés pendant la Seconde Guerre mondiale. L’INED (Institut national d’études démographiques) avait lors de sa création en 1945 un objectif nataliste. L’avortement a été interdit jusqu’en 1974, la propagande antinataliste a été interdite jusqu’en 1992. On met en épingle l’Inde et les avortements fortement « conseillés » par le gouvernement d’Indira Gandhi. Mais aujourd’hui 37,9 % des femmes mariées et en âge de procréer ont volontairement choisi la stérilisation. Soyons réalistes, pas dogmatiques ni autoritaires.

Entre l’individu et l’État, il y a l’action des associations. En août 2021 a été crée une Alliance Européenne pour une Population Soutenable, regroupant différents mouvements abordant le thème de la surpopulation. On constate aujourd’hui que seule en France Démographie Responsable a pour objet d’œuvrer pour la stabilisation de la population humaine et sa diminution sur le long terme. Les Amis de la Terre avaient traduit et publié la bombe P en 1971, ils ont oublié cette origine. Greenpeace fait une fiche sur la surpopulation, il traite les malthusiens de « racistes » !

A cette table ronde du 12 janvier 2023, sur cinq intervenants, je suis le seul à constater le poids du nombre et la nécessité d’agir. Mais si on ignore les contraintes biophysiques, cela ne peut que nous conduire au désastre.