Congrès UICN à Marseille : perte de la biodiversité, quels impacts et conséquences sur le monde actuel ? – Une conférence de François Moutou (JNE)

Voici une synthèse de la conférence présentée au Congrès mondial de la nature de Marseille par François Moutou, vétérinaire, épidémiologiste, vice-président de la SNPN (Société nationale de protection de la nature) … et membre des JNE.

par Catherine Levesque-Lecointre

Soixante-quinze des maladies infectieuses sont d’origine animale : ce chiffre revient souvent dans les différentes conférences qui abordent l’approche One health (une seule santé), désormais dans toutes les bouches. Mais l’homme étant un animal, il convient de relativiser ce chiffre et de réviser quelques définitions.
Selon l’OMS, une zoonose est une maladie dont l’agent responsable circule régulièrement entre animaux et humains, et réciproquement. La domestication est de fait une grande source de maladies puisque les animaux domestiques vivent au contact régulier des humains. Dans le cas de la Covid-19, des malades ont contaminé des chiens, des chats, des visons et ces derniers ont contaminé quelques humains…
Quand on parle de maladies infectieuses, on signifie que l’agent se multiplie dans l’organisme de l’hôte. Quand on parle de maladies contagieuses, l’agent se transmet d’un individu malade à un individu sain. Une maladie peut être transmissible sans être contagieuse. Lorsqu’on parle de mortalité, on se réfère à la totalité de la population, alors que la létalité se calcule par rapport au nombre de malades.
Il convient également de bien distinguer zoonoses et maladies d’origine animale. Tous les cas de rage (portée par des chauves-souris) sont liés à un contact avec un chien (50 000 à 60 000 personnes en meurent chaque année), alors que la diversité des virus rabiques est portée par les chauves-souris. Mais nous vivons avec nos chiens domestiques, pas avec les chauves-souris. La transmission du virus rabique entre humains n’est pas connue, contrairement au cas du virus Ebola. Chaque épidémie démarre après un contact avec le réservoir animal, relayé ensuite par des transmissions entre humains.
Le sida (HIV) provient à l’origine de plusieurs virus simiens, les SIV, transmis par des singes à des humains. Mais aujourd’hui, 100 % des transmissions des HIV se font entre humains, sans retour aux virus simiens. Ce n’est donc plus une zoonose mais une maladie d’origine animale.

La biodiversité comprend à la fois les espèces et les relations qui les unissent. Actuellement, 1,2 million d’espèces sont connues, mais on estime que 86 % des espèces terrestres et 91 % des espèces marines restent à décrire… Par exemple, des millions de virus font partie de la biodiversité et sont encore à découvrir. On les associe spontanément à quelque chose de désagréable alors que leur fonction écologique est importante, notamment dans l’océan. La plupart des virus n’ont pas d’impact sur les humains.
Chez l’humain, on compte plus de bactéries dans l’organisme que de cellules ! Ce qui ne va pas sans questionner sur la notion d’espèce.
Le génome humain intègre par ailleurs 8 % d’endovirus (virus endogènes) acquis lors des temps géologiques. La placentation et ses différents types chez les mammifères correspondent à autant de rencontres avec des rétrovirus il y a des millions d’années. Sans ces rétrovirus, non pathogènes, le fœtus serait rejeté comme un greffon…
Nous pouvons ainsi tomber malade sans apport extérieur pour peu que notre microbiote – ensemble des microorganismes qui nous habitent – voie son équilibre rompu par un stress majeur.
Quand on considère les liens entre santé et biodiversité, de nombreux paramètres épidémiologiques de nature anthropiques sont à prendre en compte :

• Coût sanitaire de la domestication
Aujourd’hui ,la totalité de la biomasse des mammifères terrestres est constituée à 60 % des domestiques (dont 1,5 milliard de bovins), de 36 % d’humains (7,5 milliards) contre 4 % pour l’ensemble des mammifères sauvages.
C’est le virus de la peste bovine, éradiquée en 2011, qui est à l’origine de celui de la rougeole, lequel demeure le virus le plus contagieux chez l’homme. Des enfants non vaccinés sont morts de la rougeole récemment en Europe…

• Démographie et échanges entre individus
L’espèce humaine est apparue il y a environ 300 000 ans. La population a atteint le premier milliard d’humains il y a environ deux siècles. Depuis 1974, on compte grosso modo un milliard d’humains en plus sur Terre tous les douze ans.
Nous serons 8 milliards en 2024, avec une stabilisation estimée à 11 milliards à la fin du siècle. Et tout ce petit monde circule de plus en plus. Depuis 40 ans, le transport aérien voit le nombre de passagers doubler tous les quinze ans. En 2019, 4 milliards de personnes ont été transportées, un contexte idéal pour des microbes !

• Changement d’usage des sols
En grignotant les espaces naturels pour l’agriculture ou l’urbanisation, nous engendrons des contacts nouveaux avec des espèces sauvages potentiellement porteuses de virus.

La notion de « cul de sac épidémiologiques»
En matière de virus, faut-il plutôt craindre le transport aviaire ou les migrations d’oiseaux ? Le virus West Nile, qui a causé de nombreuses morts en Amérique du Nord, est arrivé en 1999 via des oiseaux en cage transportés en avion. Il n’a pas eu d’effet aussi grave en Amérique latine, probablement grâce à la dilution due à la plus grande diversité d’espèces aviaires présentes qu’au nord.
Il en va de même avec la maladie de Lyme, transmise par des tiques à l’homme à partir de petits rongeurs porteurs. Des études américaines montrent qu’on a moins de chance de la contracter dans une forêt qui abrite les bactéries à l’origine de la maladie, des souris, des tiques et des oppossums, que dans la même forêt dépourvue d’oppossums.
Bien avant la Covid-19, en 2002, un élevage de civettes a été touché par un coronavirus en Chine. Si les oiseaux et les chauves-souris constituent un réservoir ancestral des coronavirus, on ignore comment le virus a été transmis à ces civettes, puis aux humains. Parmi les pistes avancées, la proximité, sur les étals des marchés chinois où il est d’usage de vendre les animaux vivants, entre les civettes, consommées traditionnellement avant l’hiver, et plusieurs espèces d’oiseaux.
En simplifiant les agrosystèmes, la logique commerciale va contre la logique écologique. Il convient notamment de privilégier la diversité génétique au clonage et d’accepter de laisser intacts des espaces nature, l’humain étant une espèce parmi les autres. Le respect de la biodiversité est donc l’une des réponses au risque sanitaire.

(*) François Moutou a publié Adopteunvirus.com, Quand les microbes passent de l’animal à l’homme, aux éditions Delachaux et Niestlé. ll est le coauteur de Les zoonoses, Ces maladies qui nous lient aux animaux , aux éditions Quae (téléchargeable gratuitement ici) et Faune sauvage, biodiversité et santé, quels défis ? (téléchargeable gratuitement ici). Il a travaillé au laboratoire de santé animale, unité d’épidémiologie de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).

Photo du haut : François Moutou au Congrès mondial de l’UICN © Delphine Nicodème