Coexister avec le lynx, des pistes pour le futur : le compte-rendu du webinaire JNE/WWF avec Martine Bigan et Rebecca Burlaud

Cette rencontre, qui a eu lieu le 11 juin 2021, était animée par Anne-Sophie Novel, journaliste (JNE), dans le cadre du projet EuroLargeCarnivores et de la journée internationale du lynx.

Compte-rendu rédigé par Carine Mayo

Les invitées étaient Martine Bigan, vice-présidente du Conseil National de Protection de la Nature (CNPN), rapporteure du projet de plan national d’action en faveur du lynx boréal, et Rebecca Burlaud, chargée de mission lynx à la Société Française pour l’Etude et la Protection des Mammifères (SFEPM).

Béatrice Jouenne a présenté le projet EuroLargeCarnivores, dont elle est coordinatrice pour le WWF-France qui vise à favoriser la coexistence avec les trois grandes espèces de carnivores : le loup, l’ours et le lynx. Un projet dont le but est de partager les bonnes pratiques en matière de connaissance et de conservation des grands carnivores à découvrir sur le site EuroLargeCarnivores.

Martine Bigan a passé sa carrière au ministère de l’Environnement et a suivi la réintroduction du lynx dans les Vosges. Elle suit aujourd’hui pour le Conseil National de Protection de la Nature la question du lynx et est rapporteure d’un projet de plan national d’action qui a émis des recommandations. Un plan national d’action est une démarche opérationnelle qui vient en complément de la protection juridique pour les espèces les plus menacées. Il contient un bilan des connaissances, une analyse des enjeux de conservation et identifie certaines actions pour diminuer l’impact de certaines activités humaines. C’est une démarche de l’Etat qui associe tous les acteurs concernés par la présence de l’espèce en question.

Rebecca Burlaud est salariée de la SFEPM qui a monté le projet Oeil de lynx. Celui-ci s’attache à l’étude à la recherche et au volet communication et sensibilisation sur cette espèce.

Ce que l’on sait sur le lynx en France
Il y a à peu près 150 individus en France, dans trois zones : les Vosges, le Jura et les Alpes. Le noyau dur de la population est situé dans le Jura et il resterait 3 à 5 individus dans les Vosges. Quant aux Alpes, elles constituent un front de « colonisation ». Il y a des problèmes de consanguinité qui peuvent causer un souffle cardiaque chez certains individus, ce qui compromet le maintien d’une population viable. L’un des enjeux est donc d’assurer une meilleure connectivité entre ces populations. Le projet Oeil de lynx mené par la SFEPM essaie d’avancer sur des connaissances sur la génétique et le régime alimentaire. Le lynx est mal connu du grand public. Aux personnes qui auraient peur de se trouver face à un lynx, Rebecca Burlaud explique que ce félidé est comme un gros chat curieux qui observe les promeneurs, mais que l’on voit rarement.
Les lynx sont des animaux solitaires. Le rut a lieu en février. Leur domaine vital s’étend de 50 à 400 kilomètres carrés. Ils ont besoin de vastes territoires forestiers, mais n’hésitent pas à sortir de la forêt. Quand la chasse reprend, les jeunes n’ont que quelques mois et ne sont pas autonomes. Lors de battues, les petits peuvent être séparés de leur mère, ce qui peut compromettre leur survie.

Un problème d’acceptation sociale
Dans les Vosges, il y a eu un problème d’acceptation sociale dû aux activités d’élevage et de chasse. Sur la vingtaine d’individus relâchés dans les années 1980, il ne resterait que trois lynx car certains ont été tués. Il est difficile de mettre tout le monde autour de la table et d’arriver à un consensus. Selon Martine Bigan, la réintroduction a peut-être fondée sur un trop petit nombre.
Jean-Claude Génot (JNE), ancien chargé de protection de la nature au sein du parc naturel régional des Vosges du Nord, précise que dans le cadre du programme Life Palatinat, des lynx ont été relâchés en Allemagne et sont susceptibles de coloniser les Vosges. Mais la plupart des chasseurs voient en le lynx un concurrent, car il mange des chevreuils. Lorsqu’un lynx est tiré, il y a souvent une impunité. Pour Jean-Claude Génot, il faudrait une cellule d’enquête, comme il en existe en Espagne, qui intervienne pour destruction illégale d’espèce protégée. Depuis le retour du lynx en 1974 en France, il y a une quinzaine de destructions illégales avérées.

Autres menaces
Outre la chasse, le lynx est aussi victime de collisions routières. Sept lynx par an ont été tués par collision au cours de ces dix dernières années. La plupart des collisions ont lieu autour du Jura car c’est de là que partent les lynx qui s’émancipent. Il y a un réseau qui travaille sur la communication en direction des automobilistes. Le dérangement par les activités touristiques, forestières, cynégétiques (battues) peut aussi influer sur le maintien des populations mais est mal documenté. Cent cinquante lynx ont disparu depuis la réintroduction des lynx, soit l’équivalent de la population actuelle de lynx !

Des exemples de coexistence réussie
Le lynx est un super prédateur. La connaissance de son régime alimentaire montre qu’il ne mange pas que des ongulés. La part de proies secondaires est moins bien connue. La connaître permettrait de faire tomber les préjugés. Le lynx peut aussi être considéré comme un allié des forestiers : en prédatant les ongulés, il facilite la régénération forestière.
Il y a eu deux projets de réintroduction en Allemagne faits en collaboration avec les sociétés de chasse. Quand les fédérations sont impliquées dès le départ, c’est une garantie qu’il y aura moins d’accrocs. Des rencontres entre chasseurs français et allemands ont eu lieu, mais cela n’a pas réussi à modifier la position des chasseurs français.

Des actions de sensibilisation sont menées par la SFEPM lors de la journée internationale du lynx
Depuis 20 ans, il existe un projet avec les écoles primaires du PNR des Vosges du Nord (10 classes par an) intitulé Œil de lynx qui se termine avec une journée du lynx.
Dans le cadre du PNR des Vosges du Nord, un Parlement du lynx est organisé : il s’agit de réunions entre éleveurs français et allemands ; entre chasseurs français et allemands. Il pourrait être intéressant d’associer naturalistes, scientifiques et chasseurs pour assurer un suivi du lynx. Dans le cadre du programme LIFE allemand, un chien a été dressé pour suivre la piste du lynx, ce qui contribue à l’amélioration des connaissances.

Pour en savoir plus sur les populations de grands carnivores en Europe
http://www.eurolargecarnivores.eu/en/factsheets

Pour approfondir sa connaissance du lynx
http://www.sfepm.org/journee-internationale-du-lynx.html

A découvrir également, le numéro spécial du Courrier de la Nature consacré au lynx