Les sols, le climat et les inondations : la révolution 4 p 1000 ?


par Frédéric Denhez
Denhez-Frederic

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Quatre pour mille. Ce n’est pas la croissance espérée pour cette année, c’est bien mieux : une possible révolution. Car en augmentant la teneur de nos sols en matières organique de quatre pour mille, chaque année, nos sols absorberaient tout ce que nous exhalons de CO2, chaque année. Or, un sol riche en matière organique se trouve plutôt sous les prairies, les plaines peu labourées, les territoires diversifiés. Pas sous un champ de blé à haut rendement, une ferme à 1000 vaches, encore moins sous une route, un hypermarché ou un quartier pavillonnaire. Stéphane Le Foll (ministre de l’Agriculture), en annonçant mardi 17 mars le lancement d’un programme de recherches international sur ce sujet, a donc peut-être marqué le début de la fin de l’agriculture intensive et de l’étalement urbain.

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Certes, il prend le train en marche, conduit depuis quelques années par des chercheurs de l’Inra et l’Association française des sols. Certes le chiffre, théorique, n’est pas à prendre au pied de la lettre. Mais ne boudons pas notre plaisir, car cette annonce vient démontrer qu’enfin les sols commencent à être considérés, en France, comme autre chose qu’un réservoir de l’extension urbaine et un simple appareil pour maintenir les plantes bien droites. Preuve en est, cette annonce a suivi le vote d’un amendement à la loi sur la transition énergétique. Très discret, portant le numéro 836, inscrit dans l’article 48 portant sur la création de la « stratégie bas-carbone » nationale, il a introduit cette idée qu’il faut « tenir compte de la spécificité du secteur agricole et de l’évolution des capacités naturelles de stockage du carbone des sols ».

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Il n’y pas trente-six solutions. Si l’on veut que les sols absorbent plus de carbone, il leur faut accroître leur teneur en matières organiques qui en sont formées. La matière organique, c’est du carbone. C’est surtout de la vie, des champignons en réseau avec les racines, des vers de terre dans leurs galeries, des bactéries par milliards qui, inlassablement, dégradent la roche, retournent la terre et transforment… la matière organique morte en éléments organiques de plus en plus petits puis en éléments minéraux fondamentaux. Un sol, c’est un écosystème, le seul à se nourrir de lui-même, ou presque. De cette mince pellicule entre roche, air et eau, nous dépendons pour notre survie. Le sol, c’est notre alimentation, une grande partie de la biodiversité « commune », un régulateur du carbone et de l’eau.

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Or, le sol, labouré trop profond, trop souvent, est martyrisé. Retournée par le versoir, la matière organique s’oxyde et fabrique du CO2. Dérangés, coupés en morceaux, les organismes qui en assurent la « minéralisation » meurent, fuient, peinent à se reproduire. Cycle infernal : moins de matière organique pour moins d’organismes qui s’en nourrissent et la fabriquent, et la terre perd sa matière organique c’est-à-dire, in fine, ses éléments minéraux, engrais naturels. Il faut alors mettre de l’engrais qui a le défaut de gaver la plante, laquelle a dès lors moins besoin des champignons vivant en symbiose avec ses racines. Or, ces champignons participent aussi au grand cycle de la matière organique et à la structure du sol, garante de sa capacité à s’aérer et à accepter l’eau de la pluie…

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Labourage trop profond, trop d’engrais, mais aussi trop de produits phytosanitaires qui laissent le sol en léthargie. Ajoutons une autre dimension : plus un paysage est varié, plus la gamme de culture est vaste, bref, plus ce qu’il y a dessus est diversifié, plus ce qu’il y a dans le sol l’est aussi. Et inversement. Or, plus la biodiversité du sol, liée à celle qu’elle nourrit, arbres et plantes, est forte, plus il y a de matière organique.

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On voit donc en quoi ce « 4 pour 1000 » peut être révolutionnaire si l’on tire le fil jusqu’au bout. Car il incite à privilégier des pratiques agricoles plus respectueuses du sol, plus agronomiques, situées entre le conventionnel repoussoir et le bio idéal. Des pratiques auxquelles de plus en plus d’agriculteurs conventionnels s’adonnent, car elles leur coûtent moins cher en « intrants » (gasoil, produits chimiques), en « fer » (charrues), en « chevaux » (la puissance des tracteurs), et en lombalgies (les agriculteurs se cassent le dos dans leurs tracteurs). Des pratiques qui, parce qu’elles sont propres à chaque territoire, les rendent réellement responsables de ce qu’ils font. Ils redeviennent paysans.

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Des pratiques qui, en plus, améliorent largement la capacité des sols à retenir l’eau de la pluie. Dans notre pays d’ingénieurs, on répond à un risque par du génie civil. Moyennant quoi nous oublions ce risque. Il est pourtant facile de voir qu’un sol de prairie absorbe plus d’eau, plus vite, qu’un champ de blé, un champ nu gelé en hiver ou un gazon-thuya. Ce faisant il limite le ruissellement, père des rivières qui grossissent et débordent. Le sol vivant est une éponge efficace et pérenne. Endormi, car il n’existe pas de sol mort en France, il devient étanche comme ces champs qui deviennent des mares à la moindre pluie, aussi glissant qu’une toile cirée pour la grosse averse.

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Notre adaptation au réchauffement climatique rejoint donc la gestion du risque inondation, et plus généralement celle de la disponibilité de l’eau : elle passe par les sols. L’agriculture modernisée par l’objectif 4 pour 1000 sera la clé de voûte de notre avenir. SI tant est qu’il en reste des sols. Or, en dépit de la réforme des documents d’urbanisme, l’on continue à étaler l’urbain. C’est que le foncier coûte cher en ville, et que les élus de communes impécunieuses détiennent le pouvoir féodal du permis de construire qui leur donne le droit d’être achetés.

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4 pour 1000 ? Chiche ! Mais alors réformons le foncier, c’est-à-dire le code civil, et redonnons à l’État, garant de ce bien commun qu’est le sol, la responsabilité de sa gestion.

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Frédéric Denhez a publié Cessons de ruiner notre sol, aux éditions Flammarion. Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.
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