Ce livre nous révèle plusieurs dizaines de lettres adressées entre 1975 et 1985 par Alexandre Grothendieck, génie des mathématiques et précurseur de l’écologie radicale, à deux de ses amis, Christian Escriva et Odile Sallantin. Durant cette période, Grothendieck enseigne à l’université de Montpellier tout en menant une vie simple dans un village près de Lodève après avoir claqué la porte en 1970 de l’IHES (Institut des hautes études scientifiques), puis en 1973 du mouvement Survivre et Vivre qu’il avait co-fondé avec deux collègues mathématiciens, Claude Chevalley et Pierre Samuel (père de l’auteur de ces lignes).
La publication de cette correspondance tord le cou à l’idée reçue selon laquelle Grothendieck aurait alors cessé de « faire des maths ». Bien au contraire, les mathématiques restent au coeur de ses réflexions. Mais le thème dominant de ses réflexions telles qu’elles transparaissent dans ces lettres est la recherche de soi, nourrie de l’auto-analyse de ses rêves et de ses lectures : Carlos Castaneda, Khrisnamurti, le Tao Te King, la Baghawad Gita,… On note aussi une insistance, à la limite de l’obsession, sur la sexualité. Grothendieck y confie encore sa crainte de devenir un « maître » spirituel, après avoir refusé d’en être un dans le domaine des mathématiques, puis dans celui de l’écologie.
En 1979, la correspondance se concentre sur la rédaction par Alexandre Grothendieck de son livre « Eloge de la mère », dont d’importants extraits sont proposés. Après des lettres de Grothendieck à Odile Sallantin jusqu’en 1985, ce livre se termine par une missive adressée par le mathématicien à son jardinier le 19 janvier 2012, peu avant sa mort en 2014. Cet « ultime » message montre l’intérêt persistant de Grothendieck pour le jardinage bio et le monde végétal avec lequel il croyait que l’homme pouvait établir un contact direct (le jardinier lui a offert le livre de Francis Hallé, « Eloge de la plante »).
Une préface cosignée par le mathématicien Alain Connes (médaille Fields en 1982) et le psychanalyste Patrick Gauthier-Lafaye nous aide à mettre en perspective les éléments apportés par ce livre. On avouera avoir trouvé trop longues et fastidieuses les explications données par Christian Escriva entre les lettres de Grothendieck : il n’a hélas pas retrouvé les lettres qu’il lui envoyait et s’est cru obligé de resituer le contexte de chacune en long et en large, en s’attardant parfois plus sur ses propres idées que sur celles du mathématicien. Et on peut s’interroger sur l’opportunité de publier des correspondances d’un auteur décédé qui avait expressément demandé qu’aucun de ses textes ne soit rendu public, du moins de son vivant. Reste que cet ouvrage nous éclaire d’une manière unique sur des dimensions sinon « cachées », du moins méconnues, d’un personnage hors du commun.
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Éditions Odile Jacob, 544 pages, 29,90 € – www.odilejacob.fr
Contact presse : Mathilde Mast – mmast@odilejacob.fr
(Laurent Samuel)
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