Soin Soin est une revue de réflexion sur le soin psychiatrique. Elle est publiée par une association marseillaise fondée en septembre 2023 par Mathieu.
par Jocelyn Peyret
Mathieu évolue dans le milieu militant marseillais. A un moment, selon son comparse Alex qui répondait à notre interview, il aurait « dévissé un peu et s’est retrouvé en psychiatrie. Il s’est vite rendu compte qu’il y avait un gros problème, on était plutôt du côté des mauvais traitements que du soin. Il a vu autour de lui que les gens galéraient, qu’ils étaient souvent là contre leur gré, sous des mesures de privation de liberté et que leurs états ne s’amélioraient pas forcément, voire empiraient. L’idée du journal, ça vient de ça, de cette conscience politique que Mathieu pouvait et de son passage en psychiatrie qui a suscité chez lui un certain nombre de réflexions et de révoltes par rapport au système de soins. Il voulait en faire quelque chose. Il aimait beaucoup les brochures militantes et il a lancé un journal de réflexions et de critiques sur la psychiatrie. »
Soin Soin nous propose de parcourir tant l’histoire de la psychiatrie que d’en comprendre les ressorts. Le journal retrace ses origines tout en proposant des alternatives contemporaines à la psychiatrie sécuritaire qui a refait surface dans les années 2000, sous la présidence de Nicolas Sarkozy tout particulièrement.
Le mouvement de l’anti-psychiatrie que défend Soin Soin prend en partie ses racines dans les années 1970 avec, entre autres, le journal Tankonalasanté et Michel Foucault. « Ces années étaient assez effervescentes sur le plan des réflexions, des critiques à l’endroit des institutions disciplinaires comme les appelait Michel Foucault. Il y avait beaucoup de réflexions de cette institution qui reposait sur beaucoup d’archaïsme, sur du scientisme, sur des rapports sociaux oppressants de domination qui ne permettent pas aux personnes de s’en sortir. Les conditions institutionnelles affermissent les états de souffrance des personnes. Le but, c’est de redonner la place légitime et entière aux usagers et aux usagères, aux personnes psychiatrisées, à la fois dans et à travers leur vécu, leurs expériences en lien avec leur souffrance. »
La filiation à laquelle se revendique Soin Soin est avec la psychothérapie institutionnelle qui est née dans les années 1940 avec François Tosquelles, « un militant qui fuyait la guerre d’Espagne et qui est allé se planquer dans une clinique à Saint-Alban. Il va révolutionner clairement la manière de faire du soin. Il va faire tomber toutes les barrières un peu symboliques qui se posent entre le soignant et les soignés. Ce courant-là de psychothérapie institutionnelle a insufflé un vent de révolution, de remise en cause des pratiques soignantes avec des cliniques de psychothérapie institutionnelle qui existent encore en France. »
Parmi les alternatives existantes aujourd’hui, le CoFoR à Marseille est une association avec « une approche plus communautaire pour remettre les personnes souffrantes au centre, de considérer leur expertise et leur vécu comme étant des formes de savoir aussi importantes, aussi justes et aussi légitimes que des savoirs académiques. Et ça, c’est complètement révolutionnaire ».
Le journal de réflexion sur le soin psychiatrique propose également des ouvertures sur des sujets d’actualité, de société, comme celui concernant les impacts sur la santé mentale des conflits. L’interview d’une psychiatre palestinienne qui était sur place pendant le conflit permet de définir ce qu’est qu’un trauma historique. Alex explique que le but était d’ « ouvrir sur d’autres approches de faire du soin en dehors de l’Occident. C’était hyper-instructif de comprendre que la manière de soigner en Occident, qui reposait beaucoup sur une espèce de rationalité scientifique, n’est pas forcément opérante dans d’autres contextes culturels. En Palestine, effectivement, il y a d’autres leviers, d’autres ressorts qui permettent aux personnes de gérer leur santé mentale, qui est quand même un peu détruite. Là, on parle quand même d’un contexte de guerre avec toutes les répercussions que ça peut avoir pour toute la population civile. Il y a cette idée d’intériorisation, de vivre en fait toujours dans un contexte conflictuel, dans un contexte d’oppression. Ça suscite des troubles psy, c’est évident. En fait, il y a des champs culturels et des manières de se représenter le soin, de faire du soin, qui appartiennent et qui sont propres aux sociétés. L’Occident n’a pas à vouloir calquer ses méthodes sur des cultures qui lui échappe et dont il ne comprend absolument rien. Il n’a pas à vouloir imposer des visions qui ne sont pas opérantes et qui ne marchent pas dans des contextes culturels particuliers avec des populations qui ont leurs histoires, leurs traumatismes, et qui ont aussi leur manière de réguler leur santé mentale. »
Soin Soin est disponible sur des tables de presse, mais aussi dans 70 lieux de distribution. Pour les plus impatient.es, il est téléchargeable en pdf sur le site du journal. Autofinancé et en auto-diffusion, il est gratuit ou à prix libre.
Pour aller plus loin
– contact@soinsoin.fr – www.soinsoin.fr
– www.coforetablissement.fr
– www.lesautresvoixdelapresse.fr