La forêt française à l’heure du produire plus

Ecologue et membre des JNE, Jean-Claude Génot passe au crible le slogan gouvernemental « Produire plus tout en préservant mieux la biodiversité ».

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par Jean-Claude Génot

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Le slogan gouvernemental « Produire plus tout en préservant mieux la biodiversité » mis en avant lors du Grenelle de l’environnement est un parfait exemple de double contrainte, que François Terrasson (1939-2006), maître de conférences au Muséum National d’Histoire Naturelle et administrateur des JNE, a détaillé dans son ouvrage le plus connu, La peur de la nature.

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Ce « Produire plus, tout en préservant mieux la biodiversité » a l’air de sortir tout droit des officines gouvernementales. Il nous rappelle le « travailler plus pour gagner plus ». Mais pourtant, ce n’est pas « produire plus pour préserver plus la biodiversité ». Soyons sérieux : le quantitatif pour la production et le qualitatif pour la nature ! Ce slogan est une réussite car il est le parfait symbole de notre société du tout économique et de l’anti-nature. Le mythe de la croissance éternelle conduit immanquablement à produire plus et la fin de la nature se traduit par l’usage incontournable du terme biodiversité. Il n’y a pas si longtemps la nature c’était ce qui ne dépendait pas de l’homme, aujourd’hui la biodiversité c’est la nature qui a (soi-disant) besoin de l’homme. La sémantique marque un changement profond d’idéologie, conforme à notre société dominatrice et totalitaire vis-à-vis de la nature. Pourtant, les spécialistes de la forêt savent que le mal de la France n’est pas de produire trop peu de bois mais de très mal le transformer en produits à haute valeur ajoutée. Et puis il n’est jamais question d’économiser le bois, par exemple en récupérant les fibres cellulosiques ou en utilisant des chaudières à bois plus performantes…

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Une double contrainte impossible à appliquer

Mais en quoi ce slogan est-il schizophrénique?

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A première vue, on semble loin de « Soyez spontané » ou de « Ignorez ce panneau » que François Terrasson s’est évertué à nous expliquer dans ses ouvrages et lors de ses conférences. Mais en y regardant de plus près, la double contrainte apparaît de façon évidente. Jugez plutôt.

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Produire plus de bois, qu’il s’agisse de bois d’œuvre, de bois d’industrie ou de bois énergie, tend nécessairement à couper plus d’arbres pour augmenter le volume produit. Pour cela on peut couper des arbres de tout diamètre selon les usages, en particulier les arbres les plus âgés qui ont l’immense avantage de fournir le plus de volume par individu et de faciliter la régénération naturelle après leur départ. Or couper plus d’arbres âgés, c’est supprimer les espèces liées à ces vieux arbres vivants ou morts, donc ce n’est pas préserver mieux la biodiversité des forêts. De plus, une récente étude bibliographique du CEMAGREF de Nogent-sur-Vernisson montre que les forêts exploitées abritent moins d’espèces que dans celles qui ne le sont pas, donc produire plus ne rime pas avec biodiversité. Finalement, l’obéissance à la première injonction « produire plus » entraîne de désobéir à la seconde injonction « tout en préservant mieux la biodiversité ».

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A l’inverse, si l’on veut mieux préserver la biodiversité des forêts, sachant que les espèces les plus difficiles à protéger sont celles liées aux stades âgés et sénescents qui nécessitent de garder les arbres le plus longtemps possible donc de ne pas couper trop de gros arbres, forcément cela revient à ne pas produire plus. Ainsi l’obéissance au « tout en préservant mieux la biodiversité » conduit à désobéir au « produire plus ».

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La preuve est faite que le slogan du Grenelle sur la forêt est un bel exemple de double contrainte, rendant schizophrènes les gens qui veulent l’appliquer puisque quelle que soit le sens dans lequel on prend cette injonction : en obéissant, on désobéit puis en désobéissant, on obéit.

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Mais c’est sans compter sur tous ceux pour qui la nature en forêt ne peut pas exister sans l’homme. Ceux-là se contenteront de quelques îlots de vieux arbres tandis que le reste de la forêt sera rajeunie par le « produire plus », en d’autres termes l’effet « réserve ». Quant aux forestiers productivistes qui ont imposé de produire plus, leur argument pour ne pas laisser les forêts vieillir laisse pantois : face au changement climatique, mieux vaut éviter des arbres âgés sensibles au vent et aux agents pathogènes ! C’est un peu comme si, dans notre société, on tuait les vieux parce qu’ils risquent d’être malades ou de mourir bientôt…

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D’ailleurs, cette schizophrénie déclenchée par la nouvelle politique forestière nationale est mal vécue par de nombreux forestiers publics, pris entre la demande pressante de volume venant de leur hiérarchie et les multiples mesures en faveur de la biodiversité qu’ils sont censés appliquer en forêt. Autre paradoxe et non des moindres, au moment où les forestiers insistent sur la nécessité de préserver les sols, base de la productivité forestière, on introduit volontairement le machinisme en forêt, à la mode scandinave.

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Des arbres plus calibrés

Le plus grave est que cette nouvelle sylviculture dite « dynamique » visant à obtenir des arbres au bon diamètre de façon plus rapide va conduire à baisser les âges d’exploitabilité et donc raccourcir le cycle de renouvellement des forêts.

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Exit les gros arbres ! Il faut trop de temps pour les obtenir et le temps, c’est de l’argent. Mais parce que l’on ne peut pas totalement faire l’impasse sur la prise en compte de la biodiversité, l’ONF a imaginé de laisser 1% des forêts publiques en îlot de sénescence (des mini réserves intégrales de quelques hectares où les arbres vieilliront et ne seront pas coupés). On ne sait pas où l’ONF est allé chercher ce 1% ? Il n’y a aucune base scientifique qui permet de dire que ce seuil est suffisant. Bien sûr, il y a aussi 2% en îlot de vieillissement, on laisse les arbres un peu plus longtemps mais on finit par les couper. Il est clair que si cette nouvelle gestion s’applique, les forêts seront composées d’arbres plus calibrés : moins gros, moins hauts et plus espacés, avec de temps en temps un bouquet de vieux arbres. Bref une forêt dont rêvent les forestiers frustrés de ne pas copier le modèle agronomique.

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Ces îlots seront les vieux arbres qui cacheront … les fourrés !

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Pendant les colloques, on nous expose le joli réseau écologique qui se trame en forêt : les réserves intégrales de 50 à 100 ha minimum, les îlots de sénescence de 0,5 à 3 ha et les arbres d’intérêt biologiques dits arbres « bios » (2 arbres à cavité et 1 arbre mort pour un hectare). Le scénario peut plaire, mais il est théorique et sur le terrain son application laisse à désirer. Les surfaces en réserve intégrale progressent trop lentement en France et leur surface n’est pas à la hauteur du taux de boisement de la France. Quand l’ONF se réjouit d’avoir (enfin) des réserves intégrales de 2 000 ha comme celle des hauts plateaux du Vercors, la Roumanie possède de nombreuses réserves intégrales forestières dont celle de la Néra avec 5 000 ha, l’Allemagne compte une zone de 17 000 ha sans intervention sylvicole au sein du parc national de la forêt de Bavière et la Biélorussie peut s’enorgueillir d’avoir 23 000 ha en libre évolution dans la réserve naturelle de Berezinsky.

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Les îlots de sénescence sont créés au compte-goutte et l’ONF se donne plusieurs périodes d’aménagement pour les mettre en place. On peut se demander si dans certaines forêts, il restera encore des vieux arbres dans 40 à 60 ans ! De plus les surfaces en réserve intégrale sont décomptées du 1% en îlot de sénescence. Il n’y a pas de petites économies !

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Enfin, les arbres « bios » à raison de 3 par hectare sont très rarement respectés parce qu’au moins un tiers des forêts (exemple des Vosges du Nord) est trop jeune pour posséder des arbres morts ou à cavités, parce qu’on ne garde aucun arbre « bio » à proximité des sentiers balisés, des chemins et des routes pour raison de sécurité et enfin parce que tous les forestiers ne se bousculent pas pour en désigner. Il y a un fossé entre les déclarations officielles de l’ONF et l’application des belles mesures annoncées sur le terrain.

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Plus de place pour la régénération naturelle

La compréhension du produire plus par l’industrie du bois se traduit également par la volonté de planter (de préférence des résineux) plutôt que d’avoir recours à la régénération naturelle. Pour les productivistes, produire c’est planter, c’est donc construire une forêt le plus souvent contre la nature, ce qui mènera à des champs d’arbres.

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Dans cette grande offensive pour exploiter plus de bois, l’usage des mots employés par les forestiers n’est pas neutre. A eux la sylviculture « dynamique », ça fait jeune, ça sent bon le progrès et aux protecteurs de la nature la gestion « conservatrice » dénoncée par les productivistes (parce que l’on ne coupe pas assez vite les vieux arbres !), ça fait vieux et ringard, ça sent presque le réactionnaire qui s’entête à s’opposer à la voie du progrès ! Ca nous rappelle la rhétorique d’un certain gouvernement face aux syndicats qui campent sur leurs acquis sociaux tels des attardés…

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En fait, je dois être parano, car finalement ce slogan du Grenelle ne cache aucun piège, au contraire il annonce clairement la couleur ! En produisant plus, il y aura moins de nature, pardon de biodiversité. Dès lors, la biodiversité restante sera plus facile à préserver ! Et en route pour la muséographie de la biodiversité des forêts : une mare, une clairière et un îlots de vieux bois. Oui c’est vraiment plus facile à protéger…

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Au fait, et si les chiffres de l’Inventaire Forestier National sur les accroissements annuels qui ont servi à lancer cette mobilisation générale pour couper plus étaient erronés ? Allez, un volontaire pour aller vérifier…

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1 réflexion au sujet de « La forêt française à l’heure du produire plus »

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