L’absurdité du modèle économique des bassines dénoncé dans les médias

Le 1er novembre 2025, un article de Médiapart titrait : « Mégabassines : un modèle économique en train de couler ». Les deux auteurs, Yann Philippin et Amélie Poinssot, notaient en exergue : « La coopérative poitevine responsable de la retenue de Sainte-Soline est fragilisée par les dernières décisions judiciaires. Mais au-delà de ces difficultés, c’est toute l’architecture économique des mégabassines qui est compromise ».

par Pierre Grillet

Une enquête qui, selon les auteurs, « montre que le modèle économique des mégabassines est structurellement dans l’impasse, malgré un financement public massif » (1).

Ces derniers mois, une avalanche d’articles qui mettent en avant l’incohérence de ce « modèle économique »

Cet article fait suite à plusieurs alertes lancées dans la presse locale (Le Courrier de l’Ouest et La Nouvelle République) et nationale comme le journal Reporterre qui titrait le 8 juillet 2025 sous la plume de Sylvain Lapoix : « Le modèle économique des mégabassines du Poitou prend l’eau » (2), avec comme chapô : « Dans les Deux-Sèvres, la Coopérative de l’eau qui gère les mégabassines est en difficulté financière. Les coûts de ces ouvrages ont explosé, alors que s’accumulent les jugements défavorables et les ras-le-bol d’agriculteurs ». Le même auteur faisait déjà état des difficultés de la Coop de l’eau (qui gère les ouvrages en Deux-Sèvres) en 2024 en précisant : « Les agriculteurs sont loin d’être unanimes quant aux bienfaits des mégabassines. Ceux qui adhérent à la Coop de l’eau, dans les Deux-Sèvres, se plaignent de coûts élevés sans l’assurance de pouvoir irriguer ». D’où de plus en plus d’impayés qui fragilisent un peu plus la Coop de l’eau. On pouvait lire ainsi dans cet article : « Denis Mousseau, président de la FNSEA Nouvelle Aquitaine et exploitant raccordé à la future bassine d’Épannes, compte parmi les gérants des dix-neuf exploitations n’ayant pas réglé leur dû ». Enfin, un article publié sur le site des JNE le 9 septembre 2025 titrait : « Le fiasco des méga-bassines agricoles enfin reconnu : un système qui prend l’eau (et l’argent) » (3).

Quand l’histoire des humains s’en mêle !

Des traces d’habitats humains datant du néolithique ont été découvertes sur deux futurs sites de bassines en Deux-Sèvres. Les diagnostics réalisés par la DRAC Nouvelle Aquitaine ont mis au jour en 2021, à Mauzé-sur-le-Mignon, des traces d’habitat et de rites funéraires de l’époque gauloise datant de 3000 ans et fin 2024, à Aiffres, un village néolithique datant entre 6000 à 2000 ans avant notre ère. La Nouvelle République l’annonce ainsi sous la plume de Rémi Simonet : « Dans les Deux-Sèvres, deux chantiers de réserves de substitution sont à l’arrêt après la découverte de vestiges archéologiques » (4). Cet article fait suite à celui de Médiapart, écrit par Amélie Poinssot et publié le 1er novembre 2025, intitulé : « Deux chantiers de bassines bloqués par des fouilles archéologiques » (5). Des découvertes qui affaiblissent encore plus la Coop de l’eau : « Des fouilles qui, selon la loi, doivent être financées par l’aménageur s’il veut poursuivre son projet. Or, la Coop de l’eau 79 – dont notre enquête montre les graves difficultés financières – n’a pas donné suite aux prescriptions des services de l’État. Ce qui aboutit, à ce jour, à une suspension de facto des projets », peut-on lire. Ces découvertes ne datent pas d’aujourd’hui comme le précise l’article : « le service régional de l’archéologie de Nouvelle-Aquitaine l’a fait savoir à la Coop de l’eau dès septembre 2021 ».

Le communiqué du collectif Bassines non merci
Le 2 novembre 2025, suite à ces révélations, le collectif Bassines non merci publiait le communiqué de presse suivant (extraits) :

La Coop de l’eau 79 en plein naufrage, Stop aux méga-bassines !
« La Coop de l’Eau 79, société privée porteuse du projet de 16 méga-bassines et sous perfusion d’argent public, est en train de couler en beauté. Les faits parlent d’eux-mêmes :
6,3 millions d’euros de dettes en 2024, avec seulement trois bassines en activité sur les quatre construites, malgré 8,35 millions d’euros de subventions publiques déjà versées – que ce soit sous la forme de subventions d’investissement (7,6 millions jusqu’en 2024) ou de subventions d’exploitation (plus de 750 000 euros sur la période 2019 – 2023).
Un prix de l’eau multiplié par cinq pour les exploitations raccordées au bassines existantes – allant de 7 centimes par m3 annoncés à 35 centimes par m3 actuellement. Pour les non raccordés, il est de 16 centimes/m3!
Des impayés massifs à cause de la hausse du prix de l’eau : une quarantaine de mauvais payeurs recensés en 2023, et un an plus tard, le montant total des impayés y atteignant 941 000 euros !
Des adhérents en fuite (une dizaine en 2024 et d’autres qui pourraient suivre)
Les autres projets au point mort, incapables d’être financés sans une nouvelle perfusion d’argent public, des décisions de justices défavorables (annulation d’arrêté préfectoral sur les AUP). Le tribunal ayant imposé en juillet 2024 une réduction de 60 % des volumes d’eau prélevables, les revenus potentiels de la Coop de l’Eau 79 se voient réduits d’autant.
Alors que les tribunaux annulent les autorisations de prélèvements d’eau reconnus surdimensionnés, que les banques et les assureurs prennent leurs distances et que même les agriculteurs de la Coop s’en vont, une seule question demeure : jusqu’à quand les pouvoirs publics vont-ils s’entêter à soutenir un modèle qui s’écroule de lui-même ? Pour rappel, depuis 2018, le protocole encadrant les méga-bassines conditionnait les financements publics à une réduction de moitié de la fréquence de traitement (IFT)d’ici 2025. Nous y sommes et le résultat est accablant : aucun changement significatif. L’étude indépendante commandée par l’Agence de l’Eau révèle une baisse dérisoire de 1,2 % par an seulement, et souligne que : sur les 44 exploitations concernées par les 4 méga-bassines déjà en service, seules 4 exploitations s’engagent sur la réduction des pesticides. À ces multiples impasses, s’ajoute maintenant un nouveau blocage patrimonial ! Selon les révélations de Médiapart, deux projets de méga-bassines – à Mauzé-sur-le-Mignon et Aiffres – pourraient être définitivement remis en question suite à la découverte de sites archéologiques majeurs. Ainsi, la Coop de l’eau 79 se heurte désormais à l’histoire elle-même. Là où elle voulait creuser des cratères artificiels, elle est rattrapée par des vestiges irremplaçables de notre patrimoine commun. Ces découvertes ont conduit l’État à prescrire des fouilles archéologiques, à la charge de la Coop de l’eau 79. Leur coût, estimé à plus de 800 000 euros, s’avère insoutenable pour cette société déjà lourdement endettée. Pour l’instant, elle n’a donné aucune suite à ces obligations entraînant, de facto, la suspension des projets.
La chute de la Coop de l’Eau 79 est la preuve que les méga-bassines ne sont pas un projet d’avenir, mais un symbole d’échec et de fuite en avant. Nous appelons l’État, les organismes publics, les collectivités, quels que soient les financeurs, à cesser immédiatement tout soutien à ce système ruineux, destructeur et sans avenir. Ils doivent dès maintenant soutenir la transition agroécologique (fondée sur la sobriété, la sortie des pesticides, la diversification des cultures, la relocalisation des productions, la préservation des zones humides, la replantation de haies…) ainsi que la gestion collective et équitable de l’eau qui permettront véritablement de préserver la ressource pour l’ensemble des usages tout en respectant le vivant. Il est temps de tirer les leçons de cet échec incontestable que sont les méga-bassines et de construire enfin une politique agricole et de gestion de l’eau qui allie justice sociale, économique et environnementale !

Une soirée Halloween révélatrice à Poitiers, le 31 octobre…

Alors que le collectif BNM rassemblait, dans la bonne humeur et l’humour, le soir d’Halloween, 200 personnes au centre-ville de Poitiers pour fêter l’abandon de 41 projets de bassines autour du Clain dans la Vienne, la Coordination rurale et la FNSEA appelaient à une contre-manifestation, sur le même emplacement, en termes particulièrement provocateurs. Les appels évoquaient une soirée pour « traquer les antibassines », « BNM dans le viseur » et au moins un panneau « chasse » criblé d’impact de balles avec la mention BNM, ces deux derniers n’étant pas signés. Des appels qui montrent très clairement que quelques agriculteurs, alors qu’ils ne représentent qu’une très faible part de l’ensemble de la profession, sont prêts à aller très loin pour maintenir leurs projets coûteux, inutiles et confiscatoires. Alors que la manifestation organisée par BNM était interdite par le Préfet, ce qui ne l’a pas empêchée de se dérouler dans le calme, celui-ci avait autorisé celle des irrigants qui ont rassemblé 80 personnes. Mais les propos tenus du côté des partisans des bassines ont incité la députée Lisa Belluco et le préfet à saisir la procureure de la République (6). Une affaire (une de plus) à suivre…

(1) https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/011125/megabassines-un-modele-economique-en-train-de-couler
(2) https://reporterre.net/Le-modele-economique-des-megabassines-du-Poitou-prend-l-eau
(3) https://www.jne-asso.org/2025/09/09/le-fiasco-des-mega-bassines-agricoles-enfin-reconnu-un-systeme-qui-prend-leau-et-largent/
(4) https://www.lanouvellerepublique.fr/deux-sevres/commune/aiffres/des-decouvertes-archeologiques-bloquent-deux-projets-de-bassines-dans-les-deux-sevres-1762024439
(5) https://www.mediapart.fr/journal/france/011125/deux-chantiers-de-bassines-bloques-par-des-fouilles-archeologiques
(6) Selon France Bleu, « la préfecture de la Vienne et la députée écologiste poitevine Lisa Belluco ont déposé ce vendredi deux signalements auprès de la procureure de la République de Poitiers, suite à la découverte de plusieurs pancartes jugées menaçantes, avec des dessins de cible et le nom du collectif « Bassines Non Merci » inscrit dessus. L’une d’elles, à Biard, semble même criblée d’impacts de balles. Une autre installée dans le secteur d’Auchan Sud, qui n’était plus visible en fin de journée, portait l’inscription « BNM dans le viseur ». Aucune n’était signée ». Vendredi 31 octobre 2025. https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/vienne-le-prefet-et-la-deputee-lisa-belluco-saisissent-la-procureure-apres-des-pancartes-menacant-les-anti-bassines-8585034

Photo : le modèle « bassines » est prévu initialement pour supporter une agriculture industrielle et exportatrice au détriment de l’agriculture paysanne. Face à l’impasse des pratiques industrielles actuelles accompagnées de leurs outils qui se révèlent beaucoup trop coûteux, dangereux pour la santé et la gabegie des financements publics octroyés à une minorité d’agriculteurs, il serait préférable de consacrer de tels moyens au maintien et au développement d’une agriculture paysanne réellement nourricière et plus respectueuse des sols et du vivant. Il faut le rappeler : ce sont les petits paysans qui nourrissent le monde » © Pierre Grillet

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