Les journées d’été des Ami.e.s de la Confédération paysanne en Deux-Sèvres

L’association des Ami.e.s de la Conf existe depuis 22 ans (création en 2003 au Larzac) et organise ses journées d’été tous les deux ans. Du 4 au 7 juillet 2025, celles-ci se sont déroulées en Deux-Sèvres, dans le bocage…. Objectifs : « aborder des questions de fond, mieux connaître les réalités locales des paysans et paysannes, et repartir nourris et plus efficaces aux côtés de la Confédération paysanne ».

par Pierre Grillet

Au programme, des tables rondes autour de l’évolution des votes dans les campagnes, le durcissement du gouvernement vis-à-vis des associations, la question primordiale du renouvellement des générations pour les paysans, celle de la sécurité sociale de l’alimentation et des enjeux autour de l’élevage paysan aujourd’hui. Des ateliers dont la ligne directrice porte sur notre rôle en tant que citoyens face aux prochaines élections, autour des enjeux liés à l’eau et de nos relations humains- animaux (1) ont également été proposés ainsi que des visites de fermes et de sites naturels. Une cantine bien connue dans la région, le collectif associatif  le Plat de Résistance se chargeait de confectionner la nourriture à prix libre (2).

Les Ami-es de la Conf, c’est quoi ? (3)

Les Ami.e.s de la Conf  veulent être une association ouverte à chaque citoyen-ne qui souhaite « soutenir des agriculteurs et agricultrices qui veut changer les choses, les soutenir dans leurs combats pour une agriculture paysanne, respectueuse de la nature et des humains » et intervenir directement autour d’un sujet qui concerne tout le monde : l’alimentation. Sur son site, on peut lire : « l’association porte les mêmes valeurs que la Confédération paysanne (la Conf) et ses actions soutiennent celles du syndicat ». C’est un ancien représentant national de la Conf, paysan de la mer, Jean-François Périgné, aujourd’hui à la retraite et membre des Ami.e.s de la Conf qui termine ainsi un article : « Ne l’oublions jamais, la communauté de destin entre la Conf et les Ami·e·s est une évidence. Je ne connais pas d’association des Ami·e·s de la FNSEA… et pour cause ! ». Une remarque qui prend tout son sens lorsqu’on connaît les orientations du syndicat dit « majoritaire » pour qui, seuls les agriculteurs, enfin seulement une partie de celles et ceux qui adhèrent à ce syndicat (4), devraient être en capacité de décider des choix de production et des moyens utilisés. La loi Duplomb, quasi entièrement dictée par les dirigeants de la FNSEA, en est un exemple malheureux. Le Sénateur LR Laurent Duplomb, lui-même ancien cadre FNSEA, suite aux multiples critiques que sa loi a suscité à travers le pays, s’est contenté de déclarer au sujet des contestataires : « ce sont des pimpins qui n’y connaissent rien ! ». Joli mépris pour les citoyens, mais aussi pour les nombreux paysans et leurs syndicats comme la Confédération paysanne, mais également le Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux) ou encore l’Union nationale de l’apiculture française, ainsi que de nombreux scientifiques qui s’opposent vigoureusement à cette loi.

Un réseau qui veut s’étendre et s’étoffer à travers tout le pays

Depuis sa création, l’association n’a cessé de s’étendre sur l’ensemble du territoire. Ses adhérents ont formé des groupes locaux dans plusieurs dizaines de départements. Les groupes constitués peuvent participer à l’entraide avec des paysans confédérés, à des campagnes sur l’agriculture et l’alimentation, à diverses actions militantes et de solidarité, et font remonter les informations locales au niveau national.

Pour démontrer tout l’intérêt que chaque citoyen (et pas seulement les agriculteurs) apporte au type d’agriculture pratiqué, à ses impacts sur les ressources naturelles, au mode d’alimentation choisie, l’association a besoin de renforcer encore le nombre de ses adhérents.

Les journées d’été : l’exemple de la table ronde sur la Sécurité sociale de l’alimentation

Cet article n’a pas pour but de faire un compte rendu détaillé de ces journées. Son auteur n’a participé qu’à celle du samedi 5 juillet et assisté à la table ronde autour de la Sécurité sociale de l’alimentation, l’objet de ce paragraphe. Le point de vue d’une adhérente auprès des Ami.e.s de la conf et participante à ces journées fait l’objet d’un article complémentaire.

L’accès pour toutes et tous à une alimentation choisie et de qualité : un sujet qui intéresse et interroge

La salle des conférences sur le site de La Fabrik à Saint Pardoux qui accueillait ces journées d’été était remplie. Plus de 90 personnes ont assisté pendant près de 2 heures aux explications fournies par les intervenants. Si le sondage réalisé dans l’assistance avant la conférence démontrait que beaucoup de personnes présentes avaient déjà entendu parler de la SSA, une écrasante majorité d’entre elles était demandeuse d’informations et de précisions sur ses contenus et modalités d’application.

L’aide alimentaire versus la Sécurité sociale de l’alimentation

Parmi les intervenants, Bénédicte Bonzi, anthropologue, spécialiste de la question des violences alimentaires et autrice du livre la France qui a faim (5), a d’emblée situé le niveau d’ambition pour la mise en place d’une Sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Actuellement, les appauvris ayant des difficultés pour se nourrir peuvent recourir à l’aide alimentaire. Celle-ci n’est en aucun cas une solution et de toutes façons ne peut que se réaliser dans une situation d’urgence non pérenne. Prendre l’habitude de fournir une aide alimentaire, c’est reconnaître que des personnes ont été appauvries sans leur permettre de sortir de cet appauvrissement. Elle maintient ces personnes dans un état de dépendance à autrui. Elle humilie les demandeurs. Elle ne permet pas aux appauvris de choisir leurs aliments, ni d’accéder à une nourriture de qualité. Elle convient très bien aux grandes surfaces qui peuvent défiscaliser les invendus destinés à ces aides. Les coûts de la surproduction sont ainsi diminués et dans le même temps, on justifie celle-ci pour nourrir les « pauvres ». Elle ne modifie en rien le système agroalimentaire industriel pour lequel elle offre au contraire une image « vertueuse » vis-à-vis du public. Bref, le système capitaliste destructeur (pléonasme) s’en accommode parfaitement, comme toute opération caritative visant à « aider les démunis ».

Que recouvre une application généralisée d’une SSA ? (6) (7)

Une SSA est tout le contraire d’une aide alimentaire en s’appuyant sur trois piliers :
– l’universalité de l’accès : une somme identique est versée à chaque individu pour son alimentation ;
– le conventionnement des producteurs, transformateurs et distributeurs moyennant une pratique respectueuse des sols et du vivant (bio par exemple), un certain fonctionnement, notamment pour la distribution des produits et leur transformation (respect des prix aux producteurs, mais aussi forme du travail dans l’entreprise considérée). Ces conventionnements étant attribués par des caisses locales gérées par les citoyens ;
– le financement assuré par des cotisations sociales. Le citoyen qui percevra une allocation mensuelle de 150 euros environ ne pourra dépenser cet argent qu’auprès des organismes conventionnés possédant et distribuant des aliments de qualité. Libre à lui ou elle de s’approvisionner ailleurs sans utiliser cette allocation.

Ainsi, la possibilité de choisir sa nourriture, élément indispensable pour assurer une vie digne à chacun, sera accessible à toute personne, quel que soit son revenu. La production paysanne sera également largement valorisée par un tel système. N’oublions pas aussi que sortir l’agriculture de l’agro-business et la production alimentaire du capitalisme sont deux éléments incontournables dans le cadre du projet de SSA.

À propos des nombreuses expériences locales actuelles

Avec Jean-Claude Balbot, paysan, membre du réseau CIVAM – Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (8) et de l’Atelier Paysan (9), les deux intervenants ont présenté différentes expériences qui se mettent en place sur le territoire national et  s’avèrent de plus en plus nombreuses. Il convient d’être très clair vis-à-vis de ces expérimentations, précise à juste titre Bénédicte Bonzi : si chacune d’elles présente un grand intérêt pour les réflexions en cours, leurs modalités d’applications qui varient d’une expérience à l’autre sont très différentes par rapport à la mise en place d’une SSA nationale. Les financements proviennent et dépendent le plus souvent du bon vouloir de collectivités locales, leur application n’est pas universelle, les marges d’action sur l’ensemble des réseaux (producteur, transformateurs, distributeurs…) sont soit quasi inexistantes soit très limitées. Car il s’agit bien au final, de proposer un mode de production où on reconnaît à l’ensemble des créateur·ices de la valeur économique (c’est-à-dire l’ensemble des citoyens) la capacité de participer à la direction de l’économie, comme le précise l’association Réseau salariat.

Qui réfléchit à la SSA actuellement et comment participer ?

Jean-Claude Balbot précise que les réflexions autour d’une « alimentation choisie » sont en cours au sein de la Conf depuis au moins 2016. Les intervenants proposent au public de s’informer sur le site du Collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation (10). Nous nous permettons d’y rajouter le site de l’association Réseau salariat (11) qui apporte également beaucoup d’informations sur le sujet et traite la question plus globalement en parlant aussi de sécurité sociale du logement, de la culture, de la mort, de la matière et l’énergie et d’autres ainsi que du salariat à vie (12) et la nécessité pour parvenir à ces objectifs de la prise de pouvoir par les salariés de leur outil de travail…

À chacun de fouiller le contenu de ces sites et trouver sa place pour être partie prenante des réflexions en cours.

Malgré l’affluence dans la salle de conférences, la foule n’était pas au rendez-vous ce samedi et la moyenne d’âge des participants plutôt élevée. Étonnant alors que nous sommes confrontés à une crise de plus en plus aigüe du monde agricole, des usages de la ressource (eau, notamment) et avec cette fameuse loi Duplomb en pleine actualité et qui concerne tous les citoyens.

Quelques questions à une adhérente des Ami.e.s de la Conf et participante aux journées d’été

Bonjour Hélène Girard,

Tu habites le Marais poitevin et tu es très impliquée dans les luttes pour le vivant, en particulier autour de la question cruciale de la ressource en eau. Tu as assisté aux journées nationales des Ami.e.s de la Confédération paysanne, merci de bien vouloir répondre à quelques questions pour les JNE.

Tu es adhérente de l’association depuis combien de temps ?
J’ai adhéré aux Amis le 8 septembre 2023, jour du procès des 9 inculpés de Sainte-Soline (dont Benoît Jaunet, alors porte-parole Confédération paysanne, faisait partie).

Quelles sont les motivations qui t’ont incité à rejoindre les Ami.e.s de la Conf ?
Au départ, l’injustice face à ce gouvernement répressif qui criminalise, entre autres, le porte-parole des paysans de la Conf. Ceux-là même qui protègent le vivant (dans les sols et nos assiettes)
Puis s’est rajouté le besoin vital d’aider nos paysans… en voie d’extinction. Effectivement, les lectures conjointes de la BD d’Inès Léraud, Champs de bataille, et du livre Silence dans les champs de Nicolas Legendre m’ont fait prendre conscience du gigantesque plan social des paysans (au nombre de 1 million après la guerre de 14-18 et proche de 300.000 à nos jours ) qu’a été le remembrement de nos territoires dès les années 1960. On va droit dans le mur.
Puis la colère face aux gouvernements successifs qui privilégient toujours le modèle agricole productiviste et écocide.

Que retires-tu de ces rencontres d’été ?
Les rencontres d’été ont été pour moi un booster d’énergie, autant par les belles rencontres chez les Amis (nous nous sentons moins seuls) que le contact direct et concret avec les paysans (qui nous ont fait visiter leurs fermes), ainsi que les guides naturalistes et botanistes qui œuvrent, tant bien que mal, à la préservation de ces coins de paradis qui restent (visite de la réserve naturelle bocagère des Antonins à Saint-Marc-La-Lande, 79).
Les tables rondes, aux orateurs de qualité, même si j’ai été frustrée par le temps trop court accordé aux questions et débats, m’ont donné envie d’approfondir certains thèmes (comme la SSA) et de découvrir le rapport à la mort des animaux de la part de nos éleveurs….

Samedi, les participants n’étaient pas très nombreux et la moyenne d’âge assez élevée, comment se situe le groupe des Deux-Sèvres ? Si le constat est identique, comment vois-tu la possibilité d’attirer plus de jeunes ?
Pour avoir quelquefois participé à des campagnes de « recrutement d’Amis », je peux effectivement témoigner qu’une grande majorité des effectifs en Deux Sèvres est à l’image nationale : nous avons, la plupart du temps, affaire à des retraités. Peut-être ont-ils plus de temps pour cuisiner, aller au marché, puis nous écouter ? Sont-ils aussi plus sensibles à la cause car ils peuvent comparer le présent avec leur vécu et voient l’évolution de nos campagnes ? Y a-t-il aussi un facteur financier (capables de payer une adhésion supplémentaire à leur palmarès, déjà large, d’assos aidées). Quoi qu’il en soit, même si le nombre d’adhésions augmente constamment, la plupart d’entre elles soutiennent financièrement sans avoir la volonté de s’engager plus pour faire évoluer les choses.
Le recrutement des jeunes est effectivement compliqué. Je réussis de temps en temps à « accrocher » quelques jeunes couples avec enfants en poussette, revenant du marché….
Il nous faut réfléchir à d’autres moyens de communications employés par les jeunes générations (réseaux sociaux ? jeux de société ?)

Comment envisages-tu de t’impliquer au sein de cette association ?
Continuer à travailler sur l’information, la communication et le recrutement : présence sur le stand des Amis dans les différentes manifestations (fêtes paysannes, luttes environnementales, projections film-débat, etc.) et en parler autour de moi (amis, connaissances), sans doute, m’investir dans la réflexion sur la SSA et favoriser les acquisitions foncières par des biais passant par la société civile (Terres de Lien, mais aussi d’autres montages innovants) pour y installer des paysans.

Si un point complémentaire te semble important, n’hésite pas à le préciser.
Bien que ce ne soit pas en lien direct avec les Amis, je vois une porte d’entrée très intéressante pour toucher les jeunes couples en attente d’un heureux évènement : les ordonnances vertes.
Des collectivités s’engagent à offrir à la future maman un panier bio par semaine pendant toute la grossesse, ainsi que plein d’autres informations sur des pratiques vertueuses pour avoir un bébé en pleine forme.
À Strasbourg (première grande ville à s’engager), le retour d’expérience est tout à fait réjouissant par rapport au pourcentage de couples qui continuent dans cette trajectoire, faisant tache d’huile sur l’entourage élargi (famille, amis).

Relecture : Marie-Do Couturier

(1)  Lire le document disponible en pdf et réalisé par la Conf Paroles paysannes sur les relations humain animal : https://ariege.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=8547 De nombreux témoignages d’éleveurs intéressants pour alimenter les multiples discussions autour de ce thème. On peut ne pas être en accord total, mais on ne peut pas ignorer les paroles exprimées dans ce livret.
(2) Voir l’article publié sur le site des JNE : https://www.jne-asso.org/2024/03/18/les-pieds-dans-le-plat-de-resistance-alternatives-au-quotidien-capitaliste-et-soutien-alimentaire-aux-luttes-sociales-et-ecologiques/
(3) Site de l’association Les Ami.e.s de la Confédération paysanne : https://lesamisdelaconf.org/
(4) On oublie trop souvent que la FNSEA regroupe des agriculteurs aux situations très différentes allant de millionnaires, voire milliardaire comme son président, à celles et ceux qui peinent à gagner l’équivalent d’un SMIC. Parmi ceux-ci, ils sont nombreux à avoir adhéré aux Jeunes agriculteurs (JA) puis à la FNSEA, non par une vision commune et idéalisée du devenir agricole mais par facilité, notamment lors de l’installation et pour certaines aides ou simplement par tradition familiale, ou parce qu’ils considèrent qu’être sous la dépendance de magnats de l’agrobusiness permettrait de mieux les protéger. Contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, les adhérents de la FNSEA sont très divisés entre eux. Les récents règlements de compte au sein de ce syndicat pour la présidence de la SAFER en témoignent. Les « vrais » militants ne sont pas si nombreux et se retrouvent le plus souvent parmi les fervents et profiteurs de l’agro-industrie, très loin de représenter la majorité du monde agricole, guère plus de 15 %, selon le député et agriculteur Benoît Biteau, mais suffisamment puissants pour être présents dans la plupart des instances décisionnelles tant au niveau local que national. N’oublions pas que la participation moyenne des votants pour les élections aux chambres d’agriculture, n’excède guère 45% ! Et comme le dit Fabrice Nicolino (JNE), la FNSEA est « le seul syndicat qui milite pour la disparition d’une bonne partie de ses adhérents ! ».
(5) Bénédicte Bonzi. 2023. La France qui a faim. Éditions Seuil. Sur la question de la violence dans le système alimentaire à travers les impacts des politiques d’aide et de don.
(6) Voir l’article publié sur le site des JNE : https://www.jne-asso.org/2024/03/28/securite-sociale-de-lalimentation-ssa-un-outil-indispensable-pour-la-defense-de-lensemble-du-vivant/
(7) Lire aussi et surtout le livre de Laura Petersell et Kévin Certenais : Régime général. Pour une sécurité sociale de l’alimentation. Disponible sur le site du Réseau Salariat. Recension du livre sur le site des JNE : https://www.jne-asso.org/2024/03/19/securite-sociale-de-lalimentation/
(8) Site du réseau CIVAM : https://www.civam.org
(9) Site de l’Atelier paysan : https://www.latelierpaysan.org/
(10) Site du Collectif pour une Sécurité sociale de l’alimentation : https://securite-sociale-alimentation.org/
(11) Site de l’association Réseau salariat : https://www.reseau-salariat.info/
(12) Sur le salaire à vie, voir surtout le site de l’association Réseau salariat : https://www.reseau-salariat.info/. A lire aussi, un article publié sur le site des JNE : https://www.jne-asso.org/2025/03/20/le-salaire-a-vie-lune-des-solutions-pour-changer-totalement-nos-relations-avec-le-vivant/

Photo : la rencontre autour de la SSA lors des journées d’été des Ami.e.s de la Confédération paysanne, avec les intervenants Bénédicte Bonzi et Jean-Claude Balbot (assis derrière la table) © Pierre Grillet

Journalistes-écrivains pour la Nature et l’écologie Devenir adhérent Nos soutiens

Contact Espace Adhérents Facebook Bluesky Linkedin