UNOC3 : l’océan revient au centre du jeu diplomatique vert

L’ambassadeur français pour les pôles et l’océan Olivier Poivre d’Arvor – et pilote de l’UNOC – ne cachait pas son plaisir le dernier jour de la troisième Conférence de l’ONU sur l’océan à Nice. La mobilisation de 175 pays a permis de réelles avancées pour la protection de 64 % de l’océan, longtemps à part dans les négociations internationales. Et ce malgré les crispations franco-françaises habituelles autour des aires marines protégées.

par Anne Henry (avec Carine Mayo)

Trois lobbyistes pour un scientifique, voilà l’ambiance sous les tentes blanches de la Zone bleue des négociations, installées sur le port de Nice, du 9 au 13 juin 2025. Mais sous la houlette de la présidence de la France et du Costa-Rica, 64 chefs d’Etat, 115 ministres de l’Ecologie et 14 000 délégués des différents pays présents n’ont pas chômé, pour permettre de réelles avancées : un traité pour encadrer juridiquement la haute mer, l’Appel de Nice sur la réduction de la production plastique qui pollue l’océan et l’engagement de nombreux pays, dont la France, à étendre leurs aires marines protégées. Une mobilisation qui a montré que la diplomatie verte et le multilatéralisme restaient efficaces en ces temps troubles.

Course aux signatures pour la haute mer

Le traité sur la haute mer (ou BBNJ), après 15 ans de tractation et une adoption en 2023, devrait être signé à New-York le 23 septembre 2025. Salué par les scientifiques, il entrera en vigueur début 2026. Les ONG espèrent toutefois que les moyens seront mis en œuvre pour le contrôler et sanctionner. Cette annonce a été possible grâce à la ratification de 60 pays (minimum imposé par l’ONU) qui ont validé le traité préalablement sur le plan national. L’ambassadeur surveillait toute la semaine le compteur des chiffres : « Nous étions à 31 signatures à la veille de la cérémonie d’ouverture. A la fin de l’UNOC, nous enregistrons 56 ratifications et 14 à venir avant fin septembre. A noter l’engagement de la Chine et de l’Indonésie qui devraient inciter d’autres pays à suivre le mouvement. » L’UNOC3 a joué un véritable rôle d’accélérateur.

Pied de nez aux États-Unis

Pour rappel, l’objectif du traité est de protéger 30 % des océans d’ici 2030, contre 11 % aujourd’hui. Ce texte permettra de poser un cadre juridique dans les eaux internationales, au-delà des zones économiques exclusives (ZEE) qui s’étendent jusqu’à 370 km des côtes, afin de lutter contre la pêche illégale et la surpêche, créer de nouvelles aires marines protégées (AMP) et encadrer l’exploitation des ressources marines génétiques et l’extraction minière. Un véritable pied de nez aux États-Unis qui ont joué la politique de la chaise vide à l’UNOC, dans le prolongement de leur récente décision d’accélérer l’exploitation minière en eaux profondes internationales. Une place vide qui a fait le jeu des Chinois (délégation de 150 personnes), pressés d’apporter leur soutien au traité sur la haute mer. Pour notre ambassadeur, « même si nous n’avons pas le même balcon sur l’océan, la Chine est un allié de poids dans sa protection. Les États-Unis n’ont pas voulu donner leur procuration à la copropriété mais nous espérons qu’ils reviendront » En tout état de cause, le traité s’imposera aux pays non-signataires, de par le principe de précaution.

Le Rio du Climat

« Nice aura été le Rio pour le Climat », conclut Olivier Poivre d’Arvor, faisant référence à la Conférence de l’ONU de 1992 sur l’environnement, véritable électro-choc en matière de prise de conscience des effets du changement climatique. Ainsi, l’océan va maintenant bénéficier d’une COP1 – Conférence des parties – dédiée à la haute mer en septembre 2026, pour notamment cartographier les AMP. Les pays se retrouveront pour signer alors des engagements plus contraignants que ceux de l’UNOC. Les déclarations finales qui seront actées en fin de COP s’imposeront de facto aux pays de l’ONU. Il était temps, alors que le climat en est déjà à sa trentième COP, dont le rendez-vous est fixé en novembre 2025 prochain à Belém au Brésil.

Lutte contre la pollution plastique

Quatre-vingt-seize pays ont signé l’Appel de Nice qui porte sur cinq principes comme l’a expliqué la ministre française de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher : « réduire la production plastique, privilégier l’éco-conception, enlever les produits chimiques problématiques pour la santé de la production plastique, accompagner financièrement certains pays dans cette démarche et avoir un traité qui puisse évoluer … C’est un mensonge de croire que le recyclage suffira ». Un appel salué par les ONG comme Greenpeace ou Surfrider Fondation Europe, à partir du moment où cet appel sera relayé par un traité contraignant, signé par les ministres de ces pays en août prochain à Genève sous l’égide de l’Onu.

Les pieds dans le tapis des AMP pour la France

Mais la principale tension de la semaine s’est passée autour du nouveau périmètre français des aires marines protégées. Elles sont censées mettre à l’abri la faune et la flore marines dans des périmètres bien identifiés, avec une protection à géométrie variable (avec ou sans pêche). Cela faisait des semaines que le gouvernement français promettait pour l’UNOC, de nouvelles cartes définies en collaboration avec les pêcheurs. La ministre Agnès Pannier-Runacher a ainsi déclaré cette semaine que les AMP nationales (métropole + outre-mer) en protection forte (réduction de la pression sur les écosystèmes, avec loisirs régulés, lutte contre la pollution et fin du chalutage de fond) passaient de 4,8 à 14,8 % du territoire marin, dont 10 % en protection stricte (sans activité humaine). Ainsi fin 2026, 74 % de la surface maritime française sera protégée. Le premier problème est la définition de la « protection forte ». Les ONG dénoncent le fait qu’il n’y ait pas de statut juridique français. Selon le gouvernement, ce n’est pas une spécificité française, mais l’application stricte de la directive européenne Habitat.

Le monde de la pêche rassuré

Par ailleurs, l’ONG Bloom a tiré la sonnette d’alarme en estimant que le nouveau zonage des AMP en protection forte présenté par le gouvernement correspondait peu ou prou à des zones déjà protégées du chalutage de fond (pratique déjà interdite dans 50 % des eaux hexagonales). L’ONG a présenté uniquement la carte des eaux territoriales françaises d’Atlantique Nord, pour permettre la comparaison. Sollicité sur les autres zones, Bloom n’a pas répondu à notre requête. Bataille de chiffres, de définitions, de cartes … Olivier Poivre d’Arvor a annoncé que dès lundi 16 juin, le ministère de l’Ecologie et Bloom allaient confronter leurs cartes. Manque de préparation ? Précipitation sur le sujet ? En tout cas, le monde de la pêche est rassuré. « Nous avons été entendus par nos politiques », avoue Constance Wattez, du directoire du groupe de pêche Sofipêche de Boulogne-sur-Mer, présente sur place. Les activités de la profession devraient être peu perturbées, même si elle rappelle être déjà engagée dans la décarbonation et la transition des pratiques de pêche.

Une économie bleue durable

Neuf milliards d’euros (issus des banques publiques, privées, philanthropes) ont été mobilisés pour la Blue economy durable dans les cinq ans à venir. Un point important quand on sait que 50 % des revenus de l’océan proviennent de l’exploitation d’hydrocarbures et du tourisme. A cette occasion, la CEC (Convention des entreprises pour le climat parcours océan), qui accompagne 48 entreprises, était sur place pour s’inspirer de la dynamique de l’UNOC. Elle a également organisé une conférence pour partager au cœur de l’évènement l’intérêt d’une démarche d’économie bleue régénérative, qui amène à faire évoluer les modèles économiques pour réduire l’empreinte carbone et être plus respectueux du vivant : « Les activités économiques qui s’inscrivent dans le cycle de l’eau doivent lui permettre de s’exprimer dans toute sa vivacité et son potentiel de vitalité », explique Caroline Maerte, codirectrice générale de la CEC.

Mobilisation des villes contre la submersion

Quatre cent cinquante maires et gouverneurs des régions et villes côtières – dont des villes américaines – se sont retrouvés pour trouver des solutions face aux risques de la hausse du niveau de l’océan, en travaillant avec les assureurs. « Il est encore possible pour les villes de rejoindre cette coalition sur la Plateforme océan et climat (POC), pour bénéficier d’aide d’experts et de financement », souligne Théophile Bongarts, responsable Pôle adaptation côtière à la Plateforme Ocean Climate, qui a piloté cette rencontre. Les pays se sont mis d’accord également pour mettre fin aux subventions de la pêche illégale (un poisson pêché sur quatre en provient), à la pollution sonore de l’océan (37 pays), à la fin du travail forcé dans le domaine maritime et pour protéger les raies et requins. Quatre vingt pour cent des armements mondiaux (porte-conteneurs … ) étaient également présents pour s’engager vers le zéro carbone d’ici 2050. L’UE – premier domaine maritime avec ses 25 millions de km² – a lancé un Blue Deal pour financer d’ici à 2027 le Jumeau numérique de l’océan, la gouvernance de l’océan et sa sécurité maritime.

Faible mobilisation contre l’extraction minière marine

Que retenir d’autres de l’UNOC ? La création des « Ocean champions » : un groupe de 20 pays, qui ont ratifié le traité sur la haute mer et rejoint la coalition contre l’exploitation des fonds marins (37 pays, dont 4 seulement qui ont rejoint la coalition durant l’Unoc). Il existe déjà une Autorité internationale des fonds marins, mais les pays demandent un code minier marin pour encadrer les potentielles exploitations. L’ONG Greenpeace, qui a manifesté durant l’UNOC dans les rues de Nice sur cet enjeu, regrette que «  peu de nouveaux soutiens ont été annoncés pour défendre un moratoire sur cette industrie destructrice sur les fonds marins ».

Avancées de la science

L’UNOC3, c’est aussi un vrai succès de mobilisation de 2500 scientifiques en amont du sommet (une première dans l’histoire des UNOC), puisque l’on ne connaît que 5 % des fonds marins. De nombreux projets ont été présentés pour cartographier et surveiller l’océan (80 milliards d’euros pour la Mission Neptune, Pacte européen de l’Océan, Jumeau numérique de l’océan, contrôle satellite Mercator, baromètre numérique Starfish qui publiera ses résultats tous les 8 juin …). Il était temps car l’océan bénéficiait jusqu’à maintenant de moyens financiers 250 moins importants que l’espace. D’ici 15 ans, cette meilleure connaissance de l’océan, associée au traité sur la haute mer, permettra de réaliser des études d’impact environnemental en amont de tout projet industriel.

Frein des pays de l’OPEP

L’une des critiques majeures contre l’UNOC, c’est aussi l’absence de la lutte contre les énergies fossiles dans la déclaration finale de vendredi 13 juin, due à la pression des pays producteurs de pétrole dans la négociation. Par ailleurs, pour André Abreu, de l’ONG Fondation Tara Océan, « les pays des BRIC – très suivis par l’Afrique et l’Amérique latine – et l’OPEP ont été un vrai frein dans la signature du Traité de réduction de la production plastique. Et l’absence des États-Unis a pesé sur les négociations ».

Vivier de solutions

Enfin, soulignons la mobilisation des peuples autochtones, de la jeunesse, de personnalités comme la glaciologue Heïdi Sevestre, l’explorateur Jean-Louis Étienne, ou le défenseur des baleines Paul Watson … soit 68 000 visiteurs dans la Zone Verte La Baleine ouverte au grand public, dans le centre-ville de Nice, véritable vivier de solutions autour de l’océan. Ainsi, Plastic Odyssey – bateau qui promeut des solutions de recyclage du plastique – était présent pour annoncer une nouvelle collaboration avec l’Unesco afin de dépolluer 25 îles sanctuaires de la biodiversité, avec des techniques innovantes (notamment grâce à un parachute ascensionnel). Ou encore Energy Observer3, un nouveau bateau fonctionnant à l’ammoniac liquide vert, sans carbone et adapté aux grandes traversées.

Les JNE étaient présents avec 8 journalistes à l’UNOC. Vous pourrez retrouver leurs articles sur les sites de Reporterre, Vert le média, Patrimoines du monde, Curieux

Photo : les JNE à l’UNOC3 de Nice © DR

 

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