Julie Trimoulet : « Savoir qu’un autre monde est possible »

Ingénieure en développement de logiciels, Julie Trimoulet ne semblait pas avoir le profil pour s’engager en faveur de l’environnement au point de devenir activiste, puis de laisser de côté les manifestations pour développer une multitude d’initiatives locales, notamment une monnaie libre, et vivre autrement,. À 43 ans, elle est heureuse de façonner sa vie de façon beaucoup plus écologique qu’autrefois.

par Christine Virbel Alonso

CVA : l’informatique et l’environnement sont deux domaines qu’on n’associe pas forcément d’emblée. Comment vous y êtes-vous intéressée ?

JT : j’ai commencé à m’intéresser à l’écologie en 2004, à l’âge de 24 ans, grâce à un collègue de travail, grand défenseur de l’environnement. À l’époque, je travaillais en région parisienne pour de grandes entreprises que l’on n’associe pas non plus avec le respect de l’environnement ! Mon collègue consommait local, nous parlait souvent des problèmes liés à notre consommation (émission de gaz à effet de serre, destruction du vivant, conditions de travail…) et il nous envoyait également beaucoup d’informations par mail. C’est ainsi que j’ai pris conscience de l’impact destructeur de notre façon de vivre sur la planète, ainsi que des inégalités sociales qui en découlent. Je me suis aussi rendue compte que nous devions commencer par changer nous-mêmes. Comme l’a dit Gandhi : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. »

CVA : et cette prise de conscience s’est traduite de quelle façon ?

JT : par une phase de réflexion, grâce à diverses conférences, lectures et documentaires, mais aussi juste en regardant les changements autour de moi. La phase suivante était donc logique : que faire à mon niveau ? Comment être utile ? J’ai alors intégré en tant que bénévole un groupe local Greenpeace en 2005 en vallée de Chevreuse jusqu’en 2009, ce qui m’a permis de rencontrer des personnes très impliquées et d’approfondir mes connaissances. Avec eux, j’ai aussi participé à de nombreux événements liés à l’environnement et au climat, au respect de la planète et de l’humain. Je suis allée manifester à Londres et jusqu’à Copenhague à la COP15.

CVA : ce n’était pas la façon la plus facile de commencer à s’engager. À 25 ans, vous n’aviez pas peur d’être confrontée à des forces de l’ordre, notamment ?

La peur n’évite pas le danger ! C’est une expression que j’utilise souvent. Plus concrètement, j’avais d’abord participé à de petites manifestations ainsi qu’à des formations à la non-violence. Mais en 2011, je suis passée par une longue hospitalisation, en raison d’un accident de la route. Toujours motivée pour « agir », j’ai visionné de nombreux documentaires et complété mes connaissances par des lectures, notamment de Pablo Servigne qui incite à montrer l’exemple avec des solutions qui fonctionnent. Parmi les documentaires qui m’ont particulièrement touchée, je citerais Nos enfants nous accuseront et Solutions locales pour un désordre global. Suite à ces documentaires, à ces lectures et à mon accident, j’ai décidé de vivre plus simplement, d’arrêter de courir après l’argent, qui détruit tout au nom du capitalisme, et de savoir être avant d’avoir. Je suis partie m’installer en Touraine.

CVA : le fait de devenir mère a-t-il changé votre façon d’agir ?

JT : quand je suis devenue maman, en 2015, de par mon parcours, j’étais déjà pas mal informée sur ces sujets et j’ai eu tout le temps de ma grossesse pour mettre en place mes stratégies : allaitement maternel puis biberon en verre et lait Déméter, couches lavables, légumes bio chez un paysan local pour les purées. Ensuite, j’ai eu le souhait de développer d’autres activités localement, mais il n’y avait pas de personnes suffisamment impliquées autour de moi pour les concrétiser. Je suis alors partie m’installer dans le parc naturel de la Brenne afin d’offrir à ma fille un meilleur environnement. Sur place, je me suis rapprochée de producteurs locaux, d’un CPIE (Centre permanent d’initiatives pour l’environnement). Cette époque marque aussi le début de mon intérêt pour les monnaies locales et la monnaie libre. Mais j’avais toujours le souci de trouver des personnes motivées dans mon entourage. Alors en 2021, je suis revenue vivre à Salbris, en Sologne, ville où j’ai passé mon enfance, et aussi pour me rapprocher de ma famille. Ici, j’ai rencontré des personnes ayant les mêmes envies que moi et nous avons créé le groupe dans lequel j’interviens aujourd’hui avec des réunions d’échange pour trouver des solutions et créer un monde plus juste et plus équitable, dans la coopération plutôt que dans la compétition.

J’ai proposé la monnaie libre et nous avons tout de suite commencé à faire le nécessaire pour la développer avec Romain, un des créateurs du groupe. Face à la réussite et à l’engouement rencontré autour de nous, nous avons décidé d’aller plus loin et d’essayer de développer d’autres alternatives : résilience alimentaire, éducation alternative, santé intégrative, recyclage et réutilisation, low tech, logiciels libres, habitat partagé… Des groupes de travail ont été créés pour chaque thématique. Dans le cadre du groupe de travail sur l’éducation, par exemple, nous sommes allés visiter une école en forêt à Clémont, dans le Cher. Nos initiatives et évènements ont également permis d’étendre le cercle des membres du collectif. Aujourd’hui, nous sommes en relation avec des associations, des AMAP, des maraîchers et un éco-lieu. Pour reprendre notre « slogan », nous souhaitons « faire converger les réseaux et les bonnes idées pour favoriser la mise en place d’actions favorables au développement d’une société désirable ».

CVA : en 20 ans d’implication, qu’est-ce qui vous semble le plus efficace : l’action forte avec Greenpeace ou les initiatives locales ?

JT : le pense que les initiatives locales sont plus efficaces car on est plus proche de la population et ce que l’on fait est concret, donc les gens sont convaincus lorsqu’ils constatent de leurs propres yeux que l’on peut faire autrement.

CVA : quelle conclusion ou quel bilan tirez-vous de ces vingt années d’implication ?

JT : c’est de toujours croire qu’un autre monde est possible. Comme le dit Alice dans Alice au pays des merveilles : « si le monde n’a aucun sens, qu’est-ce qui nous empêche d’en inventer un ? ».

Photo : Julie Trimoulet © CVA