Des lois pour empêcher les destructions d’espèces protégées, mais qui pour les faire appliquer face au rouleau compresseur de l’agriculture industrielle ?

Il s’agit d’un cas très concret de destruction d’un petit site de Bretagne. Des alertes ont été données. Un ami naturaliste, Olivier Swift, a procédé à des inventaires réguliers mettant en avant la présence de nombreuses espèces normalement protégées par la loi française. Malgré les alertes et malgré la réglementation en vigueur, ce site est aujourd’hui en cours de destruction pour agrandir une parcelle agricole.

par Pierre Grillet

Un cas particulier ? Loin de là, partout sur le territoire toutes celles et tous ceux qui s’intéressent au vivant sont confrontés à ce type de situation. Que ce soit pour des haies arrachées sans autorisation en plein site Natura 2000, des petites zones humides comblées en plein cœur d’un parc régional pour en faire une plateforme de stockage de bois en l’absence de toute étude préalable, des défrichements non conformes à la réglementation. Nous avons (nous sommes) toutes et tous été confrontés à de telles situations. Nous avons le plus souvent prévenu l’administration, et notamment l’OFB (Office français de la biodiversité), pour dresser des constats et des procès-verbaux. Mais soit les constats n’ont bien souvent servi qu’à confirmer les dégâts déjà réalisés, soit ceux-ci n’ont même pas pu être réalisés faute d’agents disponibles…

Face à ces situations multiples et répétées, il m’a semblé important d’apporter ce témoignage au sein de l’association des JNE. Ces disparitions de milliers de petits sites sans impact médiatique et le plus souvent pour des profits à très court terme mériteraient tout autant que les grands projets d’être systématiquement portés à connaissance du public. Ces agissements sont révélateurs d’une société qui considère encore et toujours l’ensemble du vivant avec lequel nous cohabitons comme d’un objet qui serait à notre entière disposition.

Une lisière boisée en train de disparaître © Olivier Swift

Quand un taillis est transformé illégalement en maïs…

par Olivier Swift

En Ille-et-Vilaine, sur la commune de Paimpont, au lieu-dit la Roncière, un taillis de 1,8 hectare est en voie de subir un défrichement en toute illégalité. Depuis la fin de l’année 2022 jusqu’au mois de juillet 2023, 257 observations faunistiques et floristiques ont été réalisées sur cette parcelle. Toutes ont été déposées sur le portail CardObs de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN). Un rapport a été rédigé. Il y est fait le bilan de la présence avérée d’espèces dont l’habitat est protégé. Plusieurs d’entre elles figurent en liste rouge régionale, nationale et/ou européenne. Plusieurs enjeux forts ont été notés : La nidification de l’Engoulevent d’Europe, la présence du Pic noir, la fréquentation de l’Alouette lulu, la nidification de la Tourterelle des bois, de la Linotte mélodieuse, du Tarier pâtre, la reproduction du Lucane cerf-volant, la présence de la Chevêche d’Athéna, du Loriot jaune, du Busard Saint-Martin…

Pour information, depuis 2007, je suis formateur en ornithologie auprès de l’OFB ; j’ai également été formateur au Bouchet pour l’ONCFS, encore en ornithologie. Et je suis formateur pour différentes structures pour les amphibiens et les reptiles. Je travaille aujourd’hui sur la bioacoustique pour des espèces à forte valeur biopatrimoniale.

Une lisière boisée, porte d’entrée de la friche. Cet îlot accueillant pour nombre d’espèces disparaît au profit du maïs © Olivier Swift

Voici le courrier adressé le 8 novembre 2023 par Nicolas Swift à la Direction départementale du territoire, l’OFB, la mairie de Paimpont ainsi qu’aux associations Bretagne Vivante et Eaux et Rivières 35.

« Le 26 octobre dernier, j’informais l’administration de ce dossier de destruction d’habitat d’espèces protégées. J’espérais que cette information allait contrecarrer ce projet de défrichement au profit du maïs. Qu’une réaction allait poindre. À ce jour, aucune institution n’a accusé réception de ce signalement.

Depuis hier, l’agriculteur a commencé le travail de défrichement de ce bosquet de 1,7 hectare. J’ai prévenu aussitôt par téléphone la SD35 (NDLR / service départemental de l’OFB). L’interlocutrice m’a appris que tous les agents de terrain étaient pris dans des formations pour 15 jours. Les arbres tombent. Un nouveau drame irréversible s’engage, sans que personne ne semble à même de réagir. Décidément, en termes de destruction, la logique productiviste agricole semble avoir les coudées franches. Au détriment même des principaux acteurs : les agriculteurs. Jusqu’où accepterons-nous d’hypothéquer l’avenir de nos enfants, en arrachant les arbres, les haies, les bosquets et les prairies ?

Pourtant, les mises en gardes se multiplient. Récemment, de jeunes ingénieurs en agronomie ont réalisé le film Tu nourriras le monde, alarmant sur les conséquences désastreuses de la Politique agricole commune (PAC), pour l’environnement, certes, mais aussi pour les agriculteurs eux-mêmes. Pourquoi laisse-t-on faire ? Bien sûr, on se doute du pourquoi. En 1965, le ministre de l’Agriculture Edgard Pisani fondait la base de la PAC. En 1993, il déclarait que nous aurions dû changer de politique dès 1975. Et elle continue toujours de plus belle. Est-ce que des mafias puissantes veilleraient à sa pérennisation ?

Quand ce couple d’Engoulevent reviendra en avril-mai, il n’aura plus d’espace pour se reproduire. Sans compter les autres espèces délogées et toutes ces populations de fonge, de flore et de faune anéanties sur place, pour relier deux parcelles de maïs… Un individu, pour un petit plus, réduit à néant des milliers d’autres.

Je suis un citoyen naturaliste atterré par la mise à sac du vivant, permanente et grandissante, corrélée à l’augmentation de la misère psychologique de la plupart des exploitants ; et effaré par l’impuissance de la loi à éviter les réelles atteintes à la biodiversité.

Et maintenant, que pouvons-nous faire ? »

Cliquez ici pour découvrir la page Soundcloud d’Olivier Swift.

Le rapport réalisé sur le site est téléchargeable sur ce lien.

Photo du haut : la friche, un monde peu connu et surtout peu apprécié par le monde de l’agricuture industrielle © Olivier Swift