Dans une récente note, la Fabrique Ecologique estime qu’on ne parle pas assez du méthane, puissant gaz à effet de serre.Mais elle ne se soucie pas de scarabées ni d’antibiotiques…
par Marie-Paule Nougaret *
La Fabrique Ecologique m’a envoyé un mail sans que je n’aie rien demandé, peut-être chez vous aussi. Dans le mail était un lien vers une note de dix pages : « Décryptage 42, L’urgence de réduire les émissions de méthane, Focus sur l’élevage », que l’on trouvera ici si l’on ne l’a déjà.
La Fabrique estime qu’on ne parle pas assez du méthane, puissant gaz à effet de serre. Sans lui nous serions morts de froid. Le méthane contient seulement du carbone et de l’hydrogène. En présence d’oxygène, ça donne du CO2 et de la vapeur d’eau. Etant donnée la quantité d’oxygène sur Terre, il ne devrait pas y avoir de méthane. De ce fait, le grand James Lovelock, qui vient de mourir à 102 ans, a mis la production du méthane, principalement par des microbes, par exemple au fond des marais – quoique les volcans en aient leur part et qu’on en trouve aussi sur divers corps célestes -, avec le maintien de l’oxygène à 20,8 % de l’atmosphère (qui nous est indispensable), au nombre des prouesses inexpliquées de Gaïa, qui coordonne ses parties comme un être vivant.
Depuis l’industrialisation, la part de méthane dans l’air s’accroît. Elle a atteint 1,9 ppm ou parties par million en 2018. C’est très peu par rapport à l’oxygène, 300 fois moins que le taux déjà très faible de CO2 : 415,13 ppm, lequel grimpe aussi comme on sait. Ces infimes variations de ppm suffisent cependant à retenir assez de chaleur de la Terre, côté nuit, pour booster les températures d’été. D’autres facteurs, bien sûr, perturbent le climat. Mais les calculs indiquent que le méthane bloque l’infrarouge 28 fois mieux que le CO2 et met douze ans à disparaître, quand le CO2 prendrait un siècle. Réduire les rejets de méthane apparaît donc comme un moyen prudent d’agir contre le réchauffement.
Accusé, l’élevage, qui représente 3 1% du méthane attribué aux interventions humaines, et singulièrement les ruminants, bovins, caprins, ovins, dont les microbes digestifs forment les gaz. La Fabrique écolo a bien raison, on n’en parle pas assez. C’est ainsi que malgré ses autres qualités, le livre Ecologie de l’alimentation, des éditions Quae, gratuit en ligne ici, n’en dit mot.
Le monde nourrit 1,7 milliard de bovins. La Fabrique part du principe qu’une vache émet en moyenne 250 à 500 l de méthane par jour. Le chiffre, officiel, date de 1995 (au moins). La fourchette est assez large, du simple au double, pour qu’on n’ait pas jugé bon de la réviser. Mais c’est le principe même d’une moyenne qui pose problème, comme toujours en écologie, science des relations avec le milieu.
Les expériences montrent en effet que les scarabées et les bousiers, dont l’Europe abrite 60 espèces, réduisent la teneur en méthane des déjections qu’ils dégradent dans les pâtures. L’explication logique est qu’en creusant des galeries dans les bouses, ces coléoptères laissent entrer l’oxygène qui attaque le méthane. De plus, ils enterrent les excréments contenant de l’azote et du carbone, nourriture de l’herbe, qui les piège de façon autrement efficace que les forêts, évitant la formation de deux autres gaz à effet de serre : NOX et CO2.
La séquestration est rapide. Avec la lumière et de l’eau les herbes assemblent des sucres à quatre carbones C4, au contraire des sucres en C3 des arbres, longs à grandir – même si ceux ci jouent d’autres rôles d’importance dans la régulation du climat. Les graminées, surtout, stockent énormément dans un épais matelas de racines, dont on a pu dater certains en Auvergne de trois mille ans.
Encore faut il qu’il y ait des scarabées ou des bousiers. Or ils sont massacrés par les traitements contre les vers des bovins; et bien sûr totalement absents du lisier des fermes-de-mille-vaches hors sol, enfermées toute l’année.
L’effet d’un antibiotique laisse deviner le mécanisme à l’œuvre. Dans un travail de 2016, l’injection de tétracycline à des vaches a augmenté le méthane des bouses et changé leur flore microbienne : les bactéries ayant reculé, des archaea méthanogènes ont pris le dessus. On pouvait penser qu’il en allait de même à l’intérieur des ruminants.
Cependant une étude récente démontre qu’une fois encore, tout dépend du milieu. Un autre antibiotique a eu l’effet inverse : diminution du taux de méthane – mais dans des fosses à purin, qui diffèrent beaucoup des bouses à l’air libre. En fait, toutes les données recueillies ont varié d’une bête à l’autre, autrement dit, d’un milieu microbien à l’autre, sauf une : les chercheurs ont toujours trouvé plus de méthane dans les déjections que dans les rots des vaches si souvent décriés.
La note de la Fabrique ne se soucie pas de scarabées ni d’antibiotiques. Elle propose de réduire le cheptel bovin par l’élevage mixte : pour le lait et la viande dans les mêmes bêtes; et bien sûr d’organiser, avec des mesures de soutien, le « retour à l’herbe » afin de favoriser la séquestration du carbone dans les sols. Puisse une organisation parrainée par autant de ministres être entendue.
Pour nous soyons-en sûr : les taureaux reproducteurs valant une fortune qui passent l’année dehors dans les Deux-Sèvres où le micro climat le permet, ou les vaches qui, en Normandie, selon la tradition, paissent dans les vergers, mangent les pommes tombées et contrôlent la monilliose, pourriture du pommier, ne nous menacent pas beaucoup.
* Auteur de La Cité des Plantes (Actes sud).
Image du haut : N° 1 à 11, scarabées, 12 à 16 : bousiers, extrait de l’excellent Guide des Coléoptères d’Europe, Gaëtan du Chatenet, pour Delachaux et Niestlé.