Colloque des JNE sur la condition animale : quels droits donner aux animaux ?

De gauche à droite : Hélène Thouy, Antoine F. Goetschel, Pascal Durand, Sabine Brels. Table ronde animée par Carine Mayo © Antoine Bonfils

Au cours de la dernière table-ronde du colloque des JNE sur la condition animale, qui s’est tenu le 7 septembre 2018 à Paris, une juriste et trois avocats, dont deux qui ont choisi la voie politique, ont exposé leur point de vue sur les droits à donner aux animaux.

par Nathalie Tordjman

Animé par Carine Mayo, vice-présidente des JNE, ce débat a réuni :
– Sabine Brels, docteure en droit, cofondatrice de Global Animal Law (GAL),
– Antoine F. Goetschel, avocat, auteur, avocat pour les animaux en procédures pénales du Canton de Zurich (2007-2010), président de Global Animal Law (GAL),
– Hélène Thouy, avocate, cofondatrice du Parti animaliste,
– Pascal Durand, eurodéputé (Les Verts-Alliance Libre Européenne), vice-président de l’intergroupe sur le bien-être animal au Parlement européen.

Sabine Brels : comment porter la protection animale à l’échelle globale ?

Sabine Brels @ Antoine Bonfils

En France, il demeure des pratiques envers les animaux qui ont été interdites dans d’autres pays, alors que le poids de l’économie, de la culture et des lobbys, qu’on invoque souvent, n’y était pas moindre. Ainsi la chasse à courre a été interdite en Ecosse et en Angleterre au début des années 2000, l’élevage pour le foie gras en Israël en 2003, celui des animaux à fourrure aux Pays-Bas en 2012, et même la corrida en Catalogne depuis 2010.

Si les choses ne bougent pas, en particulier pour la corrida, alors que 74 % des Français demandent son interdiction, c’est que la France est soumise à quelques puissants de l’oligarchie tauromachique qui tiennent les rènes du pouvoir.

On observe ainsi un décalage entre les aspirations des citoyens et les décisions politiques. Un sondage IFOP d’avril 2018 indique que 80 % des Français considèrent la cause animale comme quelque chose d’important et que les politiques ne font pas assez. En termes de droit, les peines encourues en France pour cruauté envers les animaux restent moins punies que le vol, alors que la Wallonie inflige jusqu’à 10 000 euros d’amande et 15 ans de prison.

Sabine Brels et Antoine F. Goetschel, qui ont créé l’organisation Global Animal Law (GAL) Project en 2014, veulent porter la cause animale à l’échelle mondiale. Ils lancent une convention pour les intérêts fondamentaux des animaux. Car au-delà des droits naturels comme celui de vivre, d’être libre, de ne pas être soumis à des actes de cruauté, ils ont aussi le droit d’être représentés, c’est-à-dire d’avoir des avocats.

Antoine F. Goetschel : donner une représentation juridique aux animaux, pourquoi et comment ?

Hélène Thouy et Antoine F. Goetschel © Maurice Chatelain

Antoine F. Goetschel s’occupe de la cause animalière depuis une trentaine d’années pour le canton de Zurich en Suisse,. Ila été amené à être l’avocat des animaux pour les procédures pénales. Ainsi les animaux ont pu avoir une voix dans l’application de la loi. A ce titre, il a eu à traiter jusqu’à 200 cas par an. Dans la procédure, la première chose est d’avoir connaissance de la maltraitance. Pour cela, il faut savoir reconnaître qu’un animal est maltraité, sans être sous l’emprise d’une émotion. Les vétérinaires sont souvent les seuls à pouvoir être des témoins objectifs, mais pendant longtemps, le bien-être animal n’a pas fait partie de leurs fonctions, limitées à la santé publique, à celle de l’animal et de l’environnement. Au niveau juridique et non éthique, il faut qu’il y ait une infraction à la loi et que quelqu’un porte plainte. La question est : qui porte plainte contre le responsable de la maltraitance, qui est le plus souvent le détenteur de l’animal ? Est-ce le service vétérinaire qui est témoin de la maltraitance ? Ou bien le procureur ou les services de l’Etat, qui en ont connaissance ? Mais l’Etat est plutôt souvent du côté du détenteur ? En fait, il y a besoin de la voix de l’animal. Un des travaux de l’organisation Global Animal Law (GAL) Project est de comparer ce qui se passe dans différents pays, et de voir ce qui peut être transposé, en poussant chaque nation à créer une instance qui donne une voix aux animaux.

Hélène Thouy : la cause animale, une question politique

Les enjeux de la cause animale sont multiples. Il y a d’abord celui de la justice. La façon dont on traite l’autre révèle quels droits on s’octroie sur l’autre, qu’il soit humain ou animal. C’est aussi un enjeu de paix, car plusieurs rapports soulignent le lien entre violences faites aux animaux et celles faites aux humains. Ensuite, il y a un enjeu environnemental. Deux tiers des terres agricoles consacrées à l’élevage sont responsables de déforestation massive et de pollutions ayant des conséquences de santé publique et alimentaires puisqu’un kilo de protéine animale nécessite sept kilos de protéine végétale. Enfin, il y a un enjeu démocratique, car on constate un décalage entre la mobilisation des citoyens et des associations et la prise en compte au niveau politique. Ainsi 67 % des Français estiment que les animaux sont mal défendus par les politiques, 90 % sont pour l’interdiction de l’élevage des poules en cage, 85 % contre la castration à vif des porcelets. Les amendements concernant ces interdictions ont été rejetées par l’Assemblée nationale au printemps, tout comme la vidéo-surveillance dans les abattoirs, pourtant souhaitée par 85 % des sondés.

Une autre considération a prévalu à la création du Parti animaliste, c’est la complaisance des autorités publiques pour faire reculer le mouvement animaliste : interdictions de manifestations comme autour des arènes lors de corridas, poursuites pour attroupements non déclarés ou encore menaces contre des professionnels qui commercialisent l’alimentation végan, par les services de la Répression des fraudes.

Face à ces constats, le Parti animaliste, indépendant politiquement et financièrement, a une approche monothématique. En se présentant à des élections comme les prochaines européennes en mai 2019, l’idée est de donner une visibilité à la cause animale et de la faire avancer dans tous les partis. Il existe 19 partis animalistes dans le monde.

Pascal Durand : un statut européen de l’animal ? Quelles propositions pour changer la réglementation ?

Pascal Durand © Antoine Bonfils

Pour la question animale, il faut se montrer unis pour que les choses avancent. Au niveau européen, les élections qui ont un scrutin proportionnel font que la question animale peut être représentée au Parlement, alors qu’en France avec un scrutin majoritaire, ça sera compliqué sans un régime d’alliances.
Il y a une prise en compte de cette question au niveau du Parlement européen, mais ce n’est pas une compétence européenne. Ce sont les Etats qui régissent la chasse, la vivisection, les animaux dans les cirques, etc. par des choix nationaux. L’Europe essaie d’intervenir là où elle le peut, comme pour les exportations d’animaux vivants sur laquelle elle peut légiférer, mais là aussi ce sont aux Etats de faire appliquer les lois.

La France est très en retard pour beaucoup de sujets animalistes, mais les choses peuvent bouger rapidement avec une mobilisation citoyenne et celle des associations.

Conclusions : Comment faire avancer les choses ?

  • Proposer un contre projet animaliste aux puissants lobbys.
  • Mener une action judiciaire en arrivant à prouver que la loi a été prise dans des intérêts privés, pour la seule cause d’organisations professionnelles.
  • Arriver, en France, à sortir la gestion du bien-être animal de la tutelle du ministère de l’Agriculture, et lui créer, non un secrétariat d’état, mais un ministère à part entière.
  • Intégrer la question du bien-être animal au pacte mondial de l’ONU.
  • Avancer sur les différentes causes (chasse, cirque, etc.) sans les exclure les unes les autres.

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