Du bois-énergie méprisant l’écologie forestière et les citoyens

Quelques retours à l’issue des Assises Nationales de la Forêt devant l’ineptie du projet d’incinérateur biomasse à Gardanne.

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par Bernard Boisson

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L’imposture
Du bois-énergie contre les écosystèmes forestiers ; la mise sous tutelle de toute une conscience démocratique par des tractations politico-financières précipitées et en catimini, juste avant des élections présidentielles ; l’intérêt de multinationales comme E.ON (énergéticien d’origine allemande) à capter des subventions asséchant les fonds publics qui auraient pu être octroyés à des projets d’économie d’énergie ou d’énergies renouvelables à plus petite échelle, mais à rendement bien supérieur et plus pourvoyeurs d’emplois ; une excroissance industrielle trouvant son espace d’impunité à travers la sidération du public… En bref, une vaste imposture écologique, économique et humaine. C’est dans ce rapport de forces que se joue un projet sorti de son échelle : un incinérateur biomasse, relatif à la reconversion de l’actuelle centrale thermique à charbon de Gardanne aux abords d’Aix-en-Provence.

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NDLR : selon le site Conso Globe, « le projet de l’électricien allemand consiste à convertir la tranche 4 de la centrale, fonctionnant au charbon et au coke de pétrole pour une puissance électrique de 250 MW en une unité de production utilisant la biomasse pour une puissance électrique de 150 MW »|.

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La centrale électrique de Gardanne @ Bernard Boisson

Un incinérateur biomasse industriel de cette échelle vise initialement une intensification des coupes rases en forêt sur un rayon d’action de 400 km ! De même, suivront selon toute logique des champs d’arbres ne dépassant pas 40 ans au profit de leur carbonisation, un âge bien en deçà de leur espérance de vie réelle ; ce qui nous conduit à un profond désagrégement des paysages tant sur le plan écologique que patrimonial. Des élus comme ceux des PNR (Parcs Naturels Régionaux) du Luberon, et du Verdon ainsi que d’autres qui n’ont jamais été préalablement consultés, se sont opposés à cette dégradation paysagère augurée. En résulte dès lors la décision d’importer du sud-ouest des Etats-Unis et du Canada, 80 % de la ressource via le port de Fos-sur-Mer ; un déplacement du problème, une parfaite ineptie concernant l’empreinte carbone du bois-énergie tandis que se présente la COP 21 !

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Lors des Assises Nationales des Forêts, s’est exprimée ouvertement la crainte des forestiers de devenir les futurs boucs émissaires de l’opinion publique face à la multiplication des coupes rases, et à la dégradation paysagère des régions par des plantations d’arbres à durée de plus en plus réduite au profit du bois énergie. Nous assistons chez le forestier lucide à une position en porte-à-faux entre sa conscience professionnelle et la demande de technocrates, de hauts fonctionnaires et d’élus spectaculairement égarés dans la déréalisation des chiffres, pour ne pas dire dans quelques intérêts financiers fort pervers. Là, s’entrevoit une position de souffrance plus ouvertement déclarée par quelques-uns.

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Mais comme souvent, les griefs professionnels et moraux se cachent derrière les chiffres que nous lisons, notamment via le collectif SOS Forêt du Sud.

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Une imposture sur les subventions
Plus de 9 milliards de bénéfices par an seront empochés par E.ON. A quoi s’ajoute en prime plus d’un milliard d’euros sur 20 ans de subventions prélevées sur la facture d’électricité de chaque français. En incluant les aides aux investissements, ainsi que les frais d’entretien des voiries d’accès à la charge des collectivités locales… nous aboutissons à une estimation de 1,4 milliard d’euros, à comparer au 1/6 du coût total que pourrait constituer la rénovation thermique de plus de 100 000 logements parmi les 4 millions de foyers en précarité énergétique.

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Un gaspillage d’énergie et une perte d’emplois
Pour 130 MW efficaces livrés au réseau, sur les 400 MW thermiques produits, nous aurons une perte des 2/3 de l’énergie dissipée dans l’atmosphère par la tour réfrigérante. Nous avons donc un rendement énergétique de 32,5 % sans prendre en compte la déduction de l’énergie dans les chantiers de coupes, du broyage, des transports du bois (à considérer désormais à l’échelle transatlantique !), et des pertes en ligne de distribution trop centralisée. Ces 32,5 % sont à comparer aux rendements de plus de 80 % de biomasse en cogénération. Ainsi nous avons uniquement sur le gaspillage énergétique de Gardanne, l’équivalence perdue d’une dizaine de micro-centrales à circuit court. De surcroît, le ravage d’une telle exploitation va induire la destruction des filières locales générant la perte de plusieurs centaines d’emplois, bien supérieure au nombre créé par E.ON.

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Un verrouillage administratif et judiciaire
La multinationale E.ON pourra, grâce aux tribunaux mis en place par le traité transatlantique TAFTA, porter plainte contre l’Etat français ou contre toute collectivité locale, pour entrave à leurs bénéfices. Les investissements ayant commencé, le pire reste donc à craindre.

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Cela range au nombre des exemples multiples, les droits universels de l’éthique entièrement mis sous tutelle de la mondialisation des intérêts, dans une inversion totale du rapport légitime des valeurs.

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Des précédents
Remarquons aussi que l’incinérateur biomasse de Gardanne a eu un précédent britannique : le complexe industriel de Drax, au débit quinze fois supérieur à celui promis par Gardanne et important tout son bois d’Amérique du Nord !

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Toutefois, en Bourgogne, Adret Morvan, membre du collectif SOS forêt, a déjà démontré qu’un autre projet Erscia (plus petit que Gardanne) ne servait que les intérêts de quelques-uns au détriment des habitants et de la ressource locale. Le projet a finalement été annulé par la justice grâce à l’action de deux associations (Loire Vivante et Decavipec) conjuguée au juridique, ainsi qu’à l’occupation du site conduite par Adret Morvan en attendant que la justice se prononce. Ces faits, sans doute guère relayés par la presse nationale, montrent aux citoyens qu’il n’y a pas à se décourager à porter leur indignation quand des faits comme Notre-Dame-des-Landes et Sivens plus médiatisés les conditionnent à penser le contraire. Le professionnalisme de plus en plus pris en défaut par la société civile, le bénévolat portant des contre-expertises dépassant sa connaissance technique au-delà des intuitions premières, constituent une dérive de société particulièrement grave entamant très en profondeur le pacte de confiance entre la société civile et les pouvoirs.

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Les réactions
Du côté des autorités, qui y croit vraiment ? Nous ne saurions imaginer à quel point le droit de réserve dans les professions, la peur de se compromettre dans sa carrière personnelle par rapport à une ineptie imposée d’en-haut, semble faire tenir nombre de projets insensés comme un vernis tenant collé le bois pourri.

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La centrale électrique de  Gardanne @ Bernard Boisson

Au sujet de Gardanne, nous assistons à une indignation française des élus de base sans allégeance au niveau national dans les intérêts de carrière. Mais pourquoi la direction du Parc National des Cévennes a-t-elle cautionné le projet et la coupe sur son propre territoire ? Est-ce la vocation d’un Parc National français de faire de la surexploitation sylvicole pour le bois énergie au mépris total des écosystèmes forestiers et du paysage patrimonial ? Où est sa dignité dans la valeur de l’exemple ? Quelle signification et quelle légitimité restera-t-il dès lors à l’intérêt de constituer des Parcs Nationaux en France ? Jusqu’à quel degré le curseur de l’ineptie peut-il être poussé ? Telles sont les questions passant par l’esprit du tout venant découvrant le sujet.

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Pourtant, deux films éloquents montrent déjà le phénomène : Biomascarade, de Benoît Grimont, qui a été diffusé le 20 octobre à 20 h 30 sur France 5, et un autre plus ancien, L’Erreur Boréale de Richard Desjardins sur la surexploitation des forêts boréales canadiennes. Dans ces deux films, la méthode est montrée : on évide en coupe rase les parties internes des forêts laissant des bandeaux d’arbres sur les bords de route pour ne pas que cela se voie. Clôtures et barrières arguant de la propriété privée sont destinées à refouler les curieux indésirables.

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La forêt privée semble beaucoup plus vulnérable aux injonctions futures du bois-énergie que les forêts domaniales déjà fortement prélevées pour le bois d’œuvre, au point que nous pouvons nous interroger si des mesures d’incitations fiscales ne seront pas bientôt instaurées pour placer davantage les propriétaires privés entre la carotte et le bâton.

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Jusqu’où va la gravité d’une suspicion
La société civile représentée par différents penseurs aux Assises Nationales de la Forêt est en droit de se poser maintes questions. Les intérêts de marché ont-ils le droit à ce point de déposséder les peuples de leur cohésion avec la terre, de sorte que les générations futures n’auront plus que comme seul choix de s’enraciner dans des lieux déracinés ? Se fiche-t-on de la relation sensible aux lieux et de son incidence en retour sur la richesse de la culture et de l’âme d’un peuple ? Je me souviens de cette chanson de Bob Dylan s’indignant des pilotes de B52, qui avant de bombarder le Viêt-Nam se réunissaient pour la prière. Cette chanson dénonçait que l’on « mettait Dieu de son côté » pour n’importe quoi ! En fait-on autant aujourd’hui avec l’écologie ? Le bois-énergie au titre des « énergies renouvelables » est-il une façon de mettre l’écologie de son côté au mépris total des écosystèmes forestiers, de la biodiversité et de la naturalité, avec pour appui une ignorance instrumentalisée ? S’agit-il d’un bois-énergie au mépris de la relation humain/nature alors que des approches comme la sylvothérapie démontrent l’importance de forêts de qualité pour la santé et pour l’équilibre mental des individus et des peuples ? Là aussi nous pourrions signaler une non assistance à maturation des populations sur leur devenir et une spoliation démocratique. Car nous pouvons nous demander aussi si le tarissement des subventions pour une culture terrienne et une éducation écologique est vraiment à ce point fortuit étant donné les jeux de collusion des pouvoirs publiques agglutinés à certaines puissances économiques sans foi ni loi ?

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Plus largement, quel que soit le niveau d’échelle de l’évènement, quand se posent des polémiques d’arbres et de forêts abattus, cela renvoie à peu près systématiquement à une forme de viol démocratique, où une collusion politico-financière minoritaire a imposé en catimini et au forcing ses décisions, au mépris de la globalité de ceux qui seront impliqués concernant la destruction des paysages dans leur maturité et la dégradation des écosystèmes. C’est notamment aux niveaux communal et régional un phénomène récurrent entre des élus et le BTP faisant fi des contradicteurs scientifiques et de la sensibilité citoyenne. Nous sommes donc dans un discrédit très grave de l’exercice public au profit des recettes gagnées par des minorités, alors qu’outre les impacts désastreux, d’autres secteurs prioritaires seront asséchés dans les budgets. Dans l’extrême, la reconversion d’industrie énergéticienne du charbon vers le bois-énergie conduit à une régression fulgurante de la qualité forestière rappelant les temps de déforestation liés aux anciennes forges et aux industries du verre dont la France se ventait pourtant d’être sortie depuis le début du XIXe siècle. Il serait temps de comprendre que l’âge dinosaurien de l’industrie est terminé et que la science du XXIe siècle est destinée à un autre futur.

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De plus, parce que la volonté est de sauver d’abord un certain gigantisme industriel, prenons garde à ce que le bois-énergie ne se joue pas sur des mensonges comptables à l’heure où l’on ne peut plus taire le climat face au carbone produit.

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L’impasse
L’incinérateur biomasse de Gardanne se situe donc dans la monstruosité du déni, au point paroxystique contre l’écologie forestière, contre la valeur paysagère des régions et des pays, que cela soit le nôtre ou que ce soient les Etats-Unis, le Canada, et demain sans doute d’autres pays…

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Car cela fait bien longtemps que le champ de réflexions de l’écologie forestière, essentiel et prévalent, reste volontairement éludé…

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Cela fait longtemps que sous le vocable « forêt » les « champs d’arbres » et les « écosystèmes forestiers » ne sont pas respectueusement discernés, au point que dans les statistiques, les surfaces forestières restent de la « forêt » tandis qu’augmentent la présence des coupes rases et des stades très immatures de reboisement. C’est dans l’aggravation générale de cette tendance que le bois-énergie fait désormais son nid. S’en suit l’art de faire mentir les chiffres. Un seul article ne saurait dire à quel point la gestion forestière repose sur une acculturation profonde de la population et sur une dérive perverse de la politique forestière.

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Quand on ne répond pas à temps aux questions fondamentales d’une civilisation face aux déséquilibres de toutes parts en croissance, s’ajoute une étape supplémentaire dans l’absolutisme économique contre la Terre et contre l’humain. En lui une logique exclusive de profit finit par ressembler à un extrémisme refusant de déclarer son nom… Est évincée de ce type de rationalité une lucidité honnête dans l’intelligence systémique concernant la biodiversité sylvestre, les dynamiques forestières, le climat, l’équilibre mental des populations dans la cohésion nature/humain alors que cette prise en compte devient aussi une priorité devant la béance des déséquilibres. Sous l’effet d’une raison sectaire, nous partons dans une spectaculaire inadéquation comportementale de nos sociétés avec ses milieux de vie finissant par ressembler à une forme de démence économique en fin de caricature. Alors que tout discours officiel a toujours porté en préambule que la forêt a trois fonctions (écologique, sociale, et économique), qu’il soit vertement rappelé à l’Etat ses prérogatives sur la valeur écologique et psychosociale de la forêt qui devraient être pris en compte aujourd’hui à un niveau bien plus mature de conscience, compte tenu des avancées de connaissances dans ces deux domaines…

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Des questions de fond dans la levée de conscience
La question se pose : quel courage voulons-nous laisser à l’irrémédiable quand nous le manquons à mettre hors d’état de nuire des projets fous ? Avons-nous comparé les deux pour nous sentir à notre aise à tout laisser filer ? Aimons-nous si peu notre descendance au point de lui faire payer le prix de notre absence dans les enjeux actuellement en cours ? Sommes-nous en temps de paix sous la mainmise de multinationales, comme sous un régime d’occupation, et devons-nous retrouver sous d’autres formes le courage des résistants d’antan pour dire « non » à des décisions que tout être humain non assujetti à des enjeux personnels de carrière refuse ?

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Est-il même supportable de laisser dans ce domaine, nos élus nationaux commémorer nos héros de résistance, alors qu’ils laissent revenir par d’autres portes l’assujettissement des peuples ? Car soyons honnêtes : Gardanne est majoritairement refusé tandis que l’Etat est utilisé pour donner toute couverture aux tenants de tels projets, les faisant passer au forcing !

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Gardanne : un problème forestier qui en cache d’autres, mais le dénominateur commun des dénis dans la mentalité technocratique semble rester sensiblement le même en tous. Ce serait plus simple de remonter d’abord à ce niveau, pour repenser différemment en aval toutes les décisions à reprendre, n’est-ce pas ?

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Outre que cela apparaisse le dernier recours, il devient aberrant que ce soient aujourd’hui des citoyens libres de la société civile qui doivent s’extraire de leur vocation initiale pour jouer un militantisme d’alarme afin de dénoncer les impostures politico-financières compromettant les équilibres de nos sociétés comme la santé de la Terre. N’est-ce pas le signe d’alerte qu’un professionnalisme a chuté dans un état profondément délétère ?…

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Au-delà de telles questions et considérations, remercions l’existence d’un collectif comme SOS Forêt à faire entendre ce scandale, et la disposition des syndicats forestiers à vouloir revaloriser leur profession au-delà des simples revendications de salaire. Les idées et les vocations ne manquent pas. Alors pourquoi fait-on comme si rien n’existait ? Bon sang ! A qui cela profite-t-il ?

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Ces lignes à peine achevées, voient d’un seul coup des kalachnikovs à Paris s’octroyer toute l’attention des médias et de la population. Quand un certain extrême du non-sens prend tout le devant de la scène, outre les morts et les blessés à déplorer, cela permet à d’autres types d’absurdité de mieux s’installer à l’ombre de toutes les attentions. Il est singulièrement effrayant de voir tous les maux de la Terre se faciliter mutuellement dans l’émergence sans qu’aucune alliance entre eux se révèle. La COP 21 trouvera tous les services de sécurité nécessaires pour elle, alors que sont interdites les contestations off voulant dénoncer les insuffisances, les dénis et les inepties d’un monde politico-financier face au climat, à l’écologie et aux valeurs démocratiques ? Bien sûr, l’objectif est de les interdire au titre de l’alibi sécurité survenu à point nommé. Dès lors, reste le baroud d’honneur pour la frange avertie de la population ou de bien de prendre un train pour manifester dans des capitales voisines. Mais dès lors, où va-on dans cette grande confusion ? Que décidons-nous ?

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Initiatives et remarques…
Quel que soit ce qui sera décidé par rapport à la COP 21, il importe dans toutes les régions de France d’avoir des comités citoyens de vigilance vis-à-vis de leurs paysages écologiques et patrimoniaux, tout particulièrement à l’égard des modes de gestion forestière dans le respect de leurs fonctions « écologiques » et « sociales » dans une période où l’Etat, les grosses entreprises, et la finance attestent de manière criarde de manquements et de méfaits graves au mépris de l’intérêt général.

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Il est urgent d’exiger de l’Etat de se ressaisir dans les responsabilités pour lesquelles les citoyens le mandatent, car beaucoup de gens instruits, très choqués qu’il faille s’extraire de leur profession et de leur vocation pour réagir aux manquements professionnels de bien des décideurs, comprennent vite l’hémorragie du temps qui serait nécessaire pour retenir les dégâts en cours, tant par du militantisme d’alerte que par un bénévolat démesuré au service de l’information. C’est là aussi détourner gravement un peuple de son énergie vers l’essentiel…

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Bernard Boisson anime le site Nature Primordiale. Pour en savoir plus sur les problèmes posés par l’exploitation de la biomasse au niveau européen, il vous conseille vivement le rapport rédigé par Fred Pearce pour l’ONG Fern.

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