Fukushima : visite angoissante au coeur d’une centrale sinistrée

Un journaliste des JNE a pu visiter la centrale nucléaire de Fukushima. Voici son témoignage.

.

par Claude-Marie Vadrot

.

L’un des bâtiments réacteur de la centrale nucléaire de Fukushima, non encore réparé pour cause de trop forte radioactivité – @ Claude-Marie Vadrot

Plus de quatre ans après l’accident qui a affecté trois de ses réacteurs, la découverte, sous étroit contrôle, de la centrale sinistrée de Fukushima où s’affairent des milliers d’ouvriers intérimaires et des centaines de techniciens, reste un choc angoissant. Le désordre y règne toujours et l’image obsédante des centaines d’énormes cuves pleines d’eaux contaminées, rappelle que la question de la pollution n’est pas réglée et que fréquemment, notamment lors des pluies diluviennes qui ont frappé la région à la mi-septembre, la contamination continue à atteindre le sous-sol et la mer : passant sous la plage où, vision saisissante, deux réacteurs – heureusement à l’arrêt lors du tsunami – avaient été construits parce que la Tepco avait fait des économies pour assurer leur refroidissement. Sans tenir compte de l’éventualité d’un tsunami.

.

Autre question non réglée que les visiteurs découvrent en dépit des précautions des « guides » qui contrôlent la prise de photographies: la maîtrise des trois réacteurs en partie fondus. Non seulement nul homme et nul robot ne peut aller évaluer les dégâts et apprécier l’état du magma de combustible nucléaire, mais les bâtiments n’ont pas été réparés. Pour cause de radioactivité trop importante. Seule la piscine ou refroidissaient les barres de combustible usagées a été sécurisée. Les responsables avaient promis la construction d’un sarcophage de protection pour 2019, mais ils n’osent plus avancer une date car ils ne peuvent pas l’envisager tant qu’ils ne sauront pas exactement dans quel état sont les réacteurs et si la température ne va pas brusquement remonter au dessus des 100 degrés officiellement annoncés.

.

IMGP2241
Une vue des 22 millions de tonnes de terres radioactives dispersées un peu partout dans la campagne près de Fukushima, simplement stockées dans des sacs noirs ou sous des bâches bleues @ Claude-Marie Vadot

Il suffit de se souvenir, pour être sceptique sur l’avenir, qu’il a fallu plus d’une dizaine d’années au consortium formé par Vinci et Bouygues pour construire et assembler le nouveau sarcophage destiné à coiffer un seul réacteur de la centrale de Tchernobyl et qu’il n’est toujours pas en place. Pour un coût qui devrait dépasser deux milliards d’euros en grande partie payé par la BERD, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement. Les responsables de la centrale affirment qu’ils ne connaissent pas le montant des travaux déjà engagés.

.

Que le retour à la « normale » dans les réacteurs de Fukushima soit désormais « envisagé » pour l’horizon 2040, se lit dans l’état du chantier où fourmillent des hommes dotés de masques et de combinaisons de protection côtoyant d’autres ouvriers arborant un dérisoire masque en tissu sur la bouche. Guère étonnant que depuis le début des travaux, la Tepco ait déjà « usé » une centaine de milliers de salariés. Des intérimaires, sans qualification pour la plupart, atteignant les limites – non révélées – de leur exposition quotidienne à la radioactivité. Nul ne connaît non plus, tout au moins officiellement, les dégâts, maladies ou décès, de cette exposition permanente.

.

Pourtant, ces travailleurs évoluent dans un paysage de cauchemar où la radioactivité évolue de mètre en mètre, atteignant des sommets près des réacteurs accidentés. Les hommes, les camions et les grues travaillent dans un univers de déchets rouillés, de voitures et d’engins contaminés dont nul ne paraît savoir quoi faire. Tous les véhicules du personnel présents sur place au moment de l’accident rouillent doucement sur les parkings depuis quatre ans et demi. Les milliers d’arbres du pourtour de la centrale irradiés du pourtour lors de l’explosion des bâtiments ont simplement été coupés et couchés aux abords de la clôture qui délimitent les frontières des installations. Ils attendent, comme les dizaines de millions de tonnes de terre grattée entassés dans les anciens champs de riz de la région, recouverts de bâche insuffisante à empêcher les ruissellements et les infiltrations dans les nappes souterraines.

.

IMGP2215
Une petite ville abandonnée à 20 kilomètres de la centrale explosée de Fukushima @ Claude-Marie Vadrot

Entre les tas de déchets, les ferrailles rouillées, les cuves de rétention d’eau, serpentent des centaines de tuyaux et de câbles que les Japonais devront un jour décontaminer. Dans un désordre indescriptible, le long de routes étroites que parcourent des norias de camions d’où sortent parfois des nuages de poussières. Comme un résumé de la course contre la contamination menée par les ingénieurs de l’entreprise. Ils assurent qu’ils progressent mais n’en fournissent aucune preuve. Toutes les blessures de la catastrophe restent visibles. Et le projet d’injecter un mur de glace dans le sol pour contenir les infiltrations qui se poursuivent vers la mer, n’est pour l’instant qu’une méthode sous expérimentation. Les spécialistes de la Tepco en sont encore au stade du bricolage et des tâtonnements, qu’il s’agisse de leur environnement industriel pollué ou des réacteurs fondus grillent en quelques minutes les robots téléguidés envoyés les explorer tant les radiations restent fortes…

.

Cet article paraît également sur le site Mediapart. Une version plus longue a été publiée dans l’hebdomadaire Politis du 8 octobre 2015.

.

.


.