Le parc national de la Forêt noire : plus de sauvage !

Un écologue membre des JNE est parti à la découverte du parc national de la Forêt noire, en Allemagne. Tout nouveau, tout beau ?

.

par Jean-Claude Génot *

.

PN FORET NOIRE 2015 006
Le parc national de la Forêt noire @ Jean-Claude Génot

Alors que la canicule s’annonce sur l’Alsace, je n’ai aucune hésitation à rouler vers le tout nouveau parc national allemand de la Forêt noire, perché sur les crêtes de cette montagne, séparée des Vosges par la plaine du Rhin. Là haut à 900 mètres, l’air est plus frais en cette matinée de juillet alors qu’en plaine il fait déjà très chaud.

.

Cette vallée chauffée à blanc et densément peuplée a pourtant vu quelques jours plus tôt un loup italien se faire écraser sur une route au bord du Rhin ; l’animal venait de Suisse. Cette information a été totalement noyée dans le flot des urgences humaines, n’intéressant qu’une poignée de gens passionnés de nature. Accompagné de deux amis naturalistes, notre groupe a rendez-vous avec un biologiste du parc qui a accepté de nous recevoir pour répondre à nos questions sur ce nouveau parc créé le 1er janvier 2014.

.

Si ce parc a vu le jour, c’est parce qu’il faisait partie des promesses de campagne des Verts aux élections du Land de Bade-Wurtemberg (capitale Stuttgart). Or, ce sont eux qui ont emporté la présidence et ici en Allemagne, les politiciens respectent apparemment leurs promesses. La taille du parc est modeste : 10 061 ha en 2 zones, l’une de 2 447 ha et l’autre de 7 164 ha. Entre les deux zones centrales se trouve de la forêt privée que le parc pourrait chercher à acquérir à moyen et long terme. Le parc ne possède aujourd’hui que 32,7 % de sa surface en non-intervention (incluant des zones déjà classées en réserve naturelle avant la création du parc) et a comme objectif d’ici 30 ans d’avoir 75 % de sa superficie en libre évolution. Ne respectant pas les critères de l’UICN (ainsi la chasse aux cervidés y est encore pratiquée, avec 150 cerfs tués par an par des fonctionnaires du parc et des chasseurs locaux), le parc se considère comme un parc national en cours de développement.
.
Une équipe de 70 personnes a été recrutée,intégrant des gens d’un centre d’éducation déjà existant, des forestiers et des nouveaux personnels. L’équipe est répartie dans 5 départements : administration, recherche-monitoring-conservation de la nature, éducation, développement régional-tourisme-planification et forêt-infrastructures.

.
Le premier plan d’actions 2014-2018 du parc prévoit d’engager les chantiers suivants : mise en place du zonage, règles de circulation, balisage des sentiers, accueil touristique, éducation à la nature, gestion et protection de la faune, recherche et monitoring. Dix personnes travaillent au service recherche-monitoring-conservation. Ce sont des spécialistes de la végétation, de mycologie, d’entomologie et de monitoring.

.

Le parc national de la Forêt noire est essentiellement couvert d’une forêt de montagne avec des lacs et des cirques glaciaires, des tourbières acides à sphaignes, des landes et des prairies en crête d’origine humaine (Grinden en allemand) qui couvrent 2 à 3 % de sa surface. La forêt est composée de 70 % d’épicéas au lieu de 10 % naturellement. Dans le passé, les Allemands ont massivement planté de l’épicéa à la place d’une forêt naturelle composée de hêtres et de sapins avec de l’épicéa autochtone, cantonné dans les parties les plus montagnardes.

.
Entre temps, la forêt a été renversée par la tempête Lothar de décembre 1999 et de grandes zones ont dépéri suite à la recrudescence des scolytes de l’épicéa. Les trésors naturels de ce parc sont caractéristiques de la montagne : chouette chevêchette, chouette de Tengmalm, grand tétras dont un cinquième de la population de tout le massif se trouve dans le parc national, pic tridactyle qui profite des nombreux arbres dépérissant et bien d’autres espèces de reptiles, de flore et de fonge (NDLR : champignons), avec la découverte depuis la création du parc d’une espèce rare, nouvelle pour le Bade-Wurtemberg. Deux lynx venus du Jura suisse sont présents au sud du parc. Quant au loup, il pourrait très bien faire son retour dans cette montagne riche en cervidés.

.

Comme le montre un sentier aménagé dans une zone où tous les arbres, principalement des épicéas, se sont renversés en 1999, aujourd’hui, à part des sorbiers des oiseleurs et quelques bouleaux, c’est l’épicéa qui se régénère naturellement. Le parc ayant choisi comme objectif principal de protéger les processus naturels, le sauvage mis en avant dans toute sa communication ne rime pas forcément avec naturalité puisque l’épicéa, imposé à la nature par les hommes, revient aujourd’hui en force spontanément à la place de la forêt naturelle. Mais qu’importe, ce qui compte avant tout est la libre expression des processus naturels, d’ordinaire majoritairement contrariés par la « gestion » pour maintenir des espaces ouverts.

.

D’ailleurs, les protecteurs du grand tétras s’inquiètent que des biotopes à grand tétras (tourbières, lisières avec prairies, pré-bois, forêts ouvertes par la tempête ou les scolytes) aujourd’hui favorables à l’espèce ne soient menacés… par la nature quand le parc aura 75 % de sa surface en libre évolution. La réponse de notre hôte est claire : le parc est trop petit pour gérer la population de grand tétras de tout le massif, population qui fait l’objet de mesures extrêmement artificielles comme cela est décrit dans un chapitre (Des forêts claires en Forêt noire) de mon dernier livre (Plaidoyer pour une nouvelle écologie de la nature).

.

Le parc n’a pas été accepté facilement par tous les acteurs. Comme cette montagne touristique est très fréquentée, en été comme en hiver (randonnée pédestre, VTT, ski de fond), les acteurs du tourisme ont craint des restrictions de circulation, donc une baisse de leur activité. Ceux de l’industrie du bois ont vu une ressource à laquelle ils n’auraient plus accès.Pour être accepté, le parc a donc imaginé un conseil d’administration incluant des représentants des communes.

.

Pour rassurer, le parc va engager des actions pour développer un tourisme compatible avec la protection. Pour ne pas désespérer immédiatement la filière bois locale, le parc intervient encore sur les 70 % qui actuellement ne sont pas en libre évolution. Comment ? En enlevant des épicéas dans les zones à grand tétras ainsi que dans les zones touchées par la tempête pour favoriser sapins et hêtres. De plus, le parc compte sur les épicéas atteints par les scolytes pour fournir du bois durant la période de transition. Mais le parc sait qu’il ne transformera pas les forêts d’épicéas en hêtraie-sapinière en quelques décennies.

.

Avec ses forêts plantées d’épicéas dont une partie est désormais en libre évolution, ce parc national est un exemple de plus en Europe, de ce que l’on appelle la nature férale, une nature autrefois exploitée à des fins agricoles ou forestières, où les activités humaines cessent subitement et où la dynamique naturelle s’exprime librement.

.

* Ecologue

.
Je remercie Marc Förchler pour son accueil et ses informations.

 

.


.

.