Agriculture, des révolutions en marche !


par Frédéric Denhez
Denhez-Frederic

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« Agriculture, des révolutions en marche ! »  : c’est le titre de la conférence d’ouverture du Salon Biobernai 2015, qui se tiendra le week-end prochain à Obernai, bonne ville brassicole des confins alsaciens de la République. Les JNE en seront, j’en serai l’animateur et co-organisateur.

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Des révolutions ? Multiples et contradictoires. On l’a vu avec le prurit des manifestations d’éleveurs. On l’entend au « viande bashing » permanent. On le renifle aux algues vertes étalées à Plestin-les-Grèves. On le ressent à notre mauvaise conscience à écrire sur les bons produits tout en achetant au moins cher à l’hyper. L’agriculture est le point de cristallisation de nos contradictions. On l’aime pour ce qu’on y projette, on la déteste pour ce qu’elle est, mais l’on se rend compte qu’elle est en train de changer.

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L’agriculture est dans une situation étrange, et c’est l’élevage qui en parle le mieux. Voilà une profession qui disparaît dans une indifférence polie. Le plus grand plan social de notre histoire concerne 250 000 personnes, et la majorité de nos paysages nés de la dent des vaches et du sabot du mouton. Appauvris par la grande distribution qui leur achète sous le prix de revient, les éleveurs sont poussés par la FNSEA et les banques à s’endetter pour investir afin de réduire un peu plus leurs frais de production. Un engrenage qui ne peut pas connaître de fin dans la mesure où nous, consommateurs, souhaitons le moins cher que la concurrence internationale nous offrira toujours. Alors les éleveurs reprennent régulièrement un crédit pour moderniser leurs salles de traites. Jusqu’à l’épuisement.

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S’ils ne font pas faillite, ils profitent des aides pour retourner leurs prairies, abattre leurs stabulations et faire du maïs ou du blé, bien mieux rémunérateurs. Et bien pire d’un point de vue écologique. Souvent, aussi, ils se suicident : la profession d’éleveur est deuxième sur le podium, juste derrière la Police et la Gendarmerie nationale. Pour achever l’avenir, les jeunes sont peu nombreux à se présenter quand la Safer propose une reprise de bail. Éleveur, c’est passer plus de temps avec ses vaches qu’avec sa famille. Les statistiques de L’amour est dans le Pré, qui circulent dans le milieu, sont éloquentes : aussitôt fléché par Cupidon, l’éleveur se barre !

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Il en a d’autant plus la motivation, que son métier est honni par la société. Car voyez-vous, la viande et le lait, c’est pas bien pour la planète. Manger du faux-filet, c’est comme faire un Paris-Lune en Apollo-diesel. Et l’on ne parle pas de la pollution des eaux. Ni des veaux, des vaches, des cochons et des couvées que l’éleveur fait horriblement souffrir. Non seulement il est un destructeur de planète, l’éleveur est aussi un tortionnaire. Il faudrait vraiment être maso pour se lever encore à 5 heures Il faut les écouter : ils en ont marre d’être accusés de tous les maux.

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C’est en fait plus profond que cela, car ils ont peur, aussi, de cette ferme des Mille Vaches qui a poussé en Somme. Pourtant, elle leur promet de produire du lait à moindre émission de CO2 et de coût par une gestion optimale des intrants et des extraits ! Du « minerai » fort couru dans le secteur agroalimentaire, qui a besoin de molécules-base, et facile à exporter vers les marchés émergents qui en boivent à satiété. Alors, pourquoi cette ferme leur fait autant peur ?

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Parce qu’elle symbolise la menace profonde que les demandes contradictoires de la société font peser sur l’essence même du métier d’agriculteur.

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Produire mieux (pour nous), plus (pour l’exportation) en polluant moins, c’est possible, si l’on s’engage dans une démarche industrielle, qui massifie pour diminuer les impacts par unité de produit ; ou bien si l’on se replace sur le sol, dans une démarche dite « agro-écologique » qui ne peut trouver de rémunération qu’en contrôlant peu ou prou la distribution et ou la vente de ses produits. Agriculteur… et vendeur. La philosophie est différente, la révolution est la même : la millénaire anthropologie de l’élevage dit « anglo-normand », fondée sur la cellule familiale et le rapport étroit entre l’homme et l’animal, est menacée de disparition. Quelle sera sa remplaçante ? Nul ne le sait vraiment, et c’est angoissant, comme une révolution qu’on sent poindre.

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Alors, puisqu’ils sont aussi lucides qu’incapables de choisir, car ils ont accepté comme des moutons trois malheureux centimes de plus par litre de lait généreusement abandonnés par leurs maîtres exploiteurs (qu’ils ne nomment jamais dans les congrès professionnels : « grande distribution », c’est comme Voldemort dans Harry Potter), et puisqu’ils font mine de se réjouir d’une énième aide gouvernementale au renouvellement de leurs endettements, aidons-les. Par nos choix de consommateurs, certes, en cessant surtout de les enfermer dans notre manichéisme bien pratique. Il n’y a que l’agriculture pour entretenir nos paysages dont les services n’ont pas de prix. Il n’y a qu’elle pour nous nourrir.

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Frédéric Denhez a publié de nombreux ouvrages, dont Cessons de ruiner notre sol, aux éditions Flammarion. Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.
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