Les grandes extinctions

Didier Néraudeau, paléontologue du laboratoire de géosciences de l’Université de Rennes, spécialiste des oursins et du Cénomanien de Charente a donné le 29 novembre 2012 une conférence sur les grandes extinctions au Musée vert du Mans.

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par Roger Cans

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A chaque « crise » de la préhistoire, une catastrophe naturelle qui peut durer des millions d’années, la biodiversité perd des espèces et en retrouve d’autres. Une espèce se survit entre 500.000 ans et 5 millions d’années. L’extinction d’une espèce aboutit à sa disparition absolue ou bien à sa transformation, comme cela a été le cas pour l’homme. Un paléontologue anglais a établi une échelle des crises, dont il distingue trois types :

1) Crise mineure, où moins de 30 % des espèces disparaissent, ce qui se produit en moyenne tous les millions d’années.

2) Crise moyenne, où de 30 % à 60 % des espèces disparaissent, ce qui se produit en moyenne tous les 10 millions d’années.

3) Crise majeure, où plus de 65 % des espèces disparaissent, ce qui se produit tous les 100 millions d’années.

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Dans les faits, on a enregistré 5 crises majeures au cours des 4,5 milliards d’années de l’apparition de la vie sur Terre, ou plutôt de l’apparition des cellules vivantes dans l’eau de mer, qui ont duré 4 milliards d’années sans grand changement. C’est seulement durant les 500 millions dernières années que sont apparues les algues et la vie aquatique véritable, et les cinq crises majeures.

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Une première crise a surgi il y a 440 millions d’années. Une calotte glaciaire énorme s’étale alors sur ce qui est aujourd’hui le Cameroun, et bien au-delà. 85 % des espèces marines disparaissent, mais tous les types d’organismes vivants subsistent, parfois à très peu d’exemplaires, ce qui suffit au renouvellement. Les conodontes (limaces à dents) et les chitinozoaires disparaissent complètement (ce sont aujourd’hui des fossiles utiles pour la recherche pétrolière). Les coraux disparaissent partiellement. Au cours du réchauffement qui suit, apparaissent des poissons à mâchoires et les premières plantes terrestres.

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Une deuxième crise survient il y a 370 millions d’années, à la faveur d’une nouvelle glaciation et de la chute de météorites (un cratère de 300 km de diamètre dans ce qui est aujourd’hui la Suède). 75 % des espèces marines disparaissent. Les coraux souffrent. Les requins et les raies subsistent. Avec le réchauffement qui suit, les premiers vertébrés sortent de l’eau et les forêts primitives s’installent (forêts « houillères », qui donneront le charbon).

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Une troisième crise, la plus grave des cinq, survient il y a 250 millions d’années. Les terres émergées forment alors un continent d’un seul tenant, la pangée, ce qui donne un climat continental aride, une baisse du niveau de la mer et un recul du plateau continental, où vit la faune marine. 96 % des espèces marines disparaissent. Les trilobites, déjà touchés par les crises précédentes, disparaissent définitivement. Les anciens coraux s’éteignent. Les oursins disparaissent sauf une espèce, qui assurera la survie du groupe. Les bivalves et les gastéropodes survivent. Du coup, le climat terrestre devient continental, c’est-à-dire chaud et sec ou froid et sec. Les conifères remplacent les fougères arborescentes. 75 % des amphibiens disparaissent. Apparaissent les premiers reptiles terrestres.

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La quatrième crise survient il y a 220 millions d’années, avec une nouvelle glaciation et deux météorites qui s’abattent l’une à l’emplacement actuel du Québec (un cratère de 70 km de diamètre) et l’autre sur l’actuel territoire français à Rochechouart (Haute-Vienne), où l’on trouve aujourd’hui encore des roches vitrifiées, employées dans la construction. 76 % des espèces aquatiques disparaissent, en particulier les grands amphibiens et les reptiles « mammaliens », qui sont moitié reptiles et moitié mammifères. C’est alors qu’apparaissent, à peu près en même temps, les dinosaures, les ptérosaures (reptiles volants) et les premiers mammifères, de la taille d’une souris.

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La cinquième extinction, la plus connue, survient il y a 65 millions d’années, à la faveur de trois phénomènes naturels qui s’additionnent : glaciation, volcanisme très actif, qui refroidit le climat par l’abondance des poussières dans l’atmosphère, et enfin chute d’une météorite qui s’abat à moitié sur le territoire actuel du Yucatan, au Mexique, et l’autre moitié en mer. La météorite ne fait que mettre un terme à une catastrophe naturelle qui dure déjà depuis des années. Le refroidissement de la mer fait disparaître les ammonites et les foraminifères du plancton, ainsi que les reptiles marins.

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Sur terre disparaissent les reptiles volants et six espèces sur huit des dinosaures herbivores. En revanche, les dinosaures carnivores survivent (protégés par leurs plumes qui les préservent du froid mais ne servent pas à voler, car ils n’ont pas d’ailes). Ces animaux sont aujourd’hui représentés par les poules, qui conservent encore des écailles sur leurs pattes ! Les reptiles terrestres survivent aussi. D’une manière générale, tous les animaux de plus de 75 kilos disparaissent, car plus un animal est gros, plus son alimentation devient problématique avec le changement climatique. L’animal grossit tant qu’il ne connaît pas de concurrence, mais il devient vulnérable en cas de crise. A l’inverse, certains gros animaux rapetissent dans certaines conditions, comme les mammouths dans les îles du Grand Nord ou les éléphants de Sicile (nanisme insulaire).

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Même en l’absence de grands bouleversements, les cycles climatiques se succèdent. Les coquillages de la mer, en effet, absorbent le CO2 pour fabriquer leurs coquilles, tant et si bien que l’atmosphère, privée de gaz carbonique, se refroidit. D’où glaciation. Du coup, les coquillages meurent et le CO2 n’est plus absorbé, d’où un réchauffement de l’atmosphère… et ainsi de suite.

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La « sixième extinction » ? Je n’y crois pas. Mais si l’homme disparaît, la nature ne s’en trouvera que mieux !

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