Guerres et environnement

En 1991, Nicolas Skrotzky avait écrit Guerres, crimes écologiques (éditions Sang de la Terre). En 2005, Claude-Marie Vadrot (JNE) avait enfoncé le clou : Guerres et environnement, panorama des paysages et des écosystèmes bouleversés (éditions Delachaux et Niestlé).

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par Michel Sourrouille

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Il est vrai qu’aucune guerre, interne, internationale, tribale ou « propre » ne laisse intact l’environnement. Quand les combattants sont réconciliés, la nature reste marquée, transformée. Jusqu’à présent, l’armée était considérée comme l’ennemie de l’environnement, mais les temps changent… lentement. La guerre que nous avons menée contre la Terre depuis quasiment l’origine de l’homme a aujourd’hui atteint son maximum de puissance destructrice. Nous ne pouvons pas aller beaucoup plus loin, au risque d’un hiver nucléaire. Les militaires des grandes puissances ont d’ailleurs de plus en plus de mal à se trouver des adversaires bien définis. Les conflits se localisent dans un monde contemporain où le dialogue international s’impose à tous, même s’il ne fait pas taire complètement les armes. C’est la montée des périls environnementaux qui offre de nouvelles perspectives aux militaires. Il y a dorénavant une conscience croissante que sécurité nationale et conservation écologique sont étroitement liés.

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Les militaires commencent à se sentir partie prenante d’une humanité qui s’affronte de plus en plus durement à la crise écologique. Un rapport « secret » du Pentagone sur le changement climatique, a été réalisé en octobre 2003 : « Notre intention est de rendre parlants les effets que le réchauffement climatique pourrait avoir sur la société si nous n’y sommes pas préparés. » Il est symptomatique que le prix Nobel de la paix ait été décerné le 12 octobre 2007 au groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Le comité cherchait ainsi à « attirer l’attention sur les processus et les  décisions qui paraissent nécessaires pour protéger le futur climat du monde, et ainsi réduire la menace qui pèse sur la sécurité de l’humanité ».

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Au Royaume-Uni, un officier de haut rang, le vice-amiral Neil Morisetti, est un  » envoyé pour la sécurité climatique et énergétique « . Depuis novembre 2009, il parcourt le monde pour expliquer que  » le changement climatique crée de nouvelles menaces et amplifie les risques existants « . Les députés André Schneider (UMP) et Philippe Tourtelier (PS) ne s’en cachent pas : l’un des buts du rapport d’information qu’ils ont remis à l’Assemblée nationale, le 28 février 2012, sur  » l’impact du changement climatique sur la sécurité et la défense « , est de souligner la déficience de l’institution militaire française à prendre en compte cet  » enjeu fondamental « . Les guerres du climat font l’objet d’un livre (Harald Welzer, Gallimard – 2009).

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L’insécurité écologique est principalement rattachée à la problématique énergétique, des rapports militaires récents de la Bundeswehr ou du Pentagone se préoccupent des troubles qui suivront le pic pétrolier. Il ne faudrait pas en oublier la sixième extinction des espèces dont l’activisme humain est la cause. Le livre de Sarah Brunel, Les missions militaires au service de la biodiversité (éditions EDP Sciences), marque les prémisses d’un changement en cours. Les millions d’hectares de terrains d’entraînement militaire représentent un refuge pour des habitats et des espèces animales et végétales que les militaires s’engagent aujourd’hui à protéger. Certains pays vont bien au-delà, l’Inde dispose d’unités spéciales dédiées à la protection de l’environnement. Les États-Unis ont mis en place un think tank pour conseiller l’armée sur sa stratégie environnementale.
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Les deux décennies qui viennent vont sans doute marquer un tournant historique qui mettra fin à deux siècles d’une volonté de croissance préjudiciable aux autres espèces et même au climat de la Terre. La transition dite « écologique », qui constituera probablement un changement radical de civilisation, sera nécessairement l’occasion d’une intervention de l’armée. Car la brutalité de la récession qui s’annonce, provoquée à moyen terme par la raréfaction des ressources fossiles plus que par le réchauffement climatique, va entraîner un tel désordre social que seule l’armée sera en mesure de maintenir la paix. Nous allons décréter un état de guerre, mais d’une guerre à mener contre nous-mêmes, contre notre volonté de toute puissance, contre notre désir de dépasser les limites, y compris les limites biophysiques. Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean l’exprimaient ainsi dans C’est maintenant ! Trois ans pour sauver le monde (éditions Seuil) : « Osons le dire : celui ou celle qui arriverait, aujourd’hui, avec les idées claires sur la contrainte des ressources naturelles, et qui aurait un programme bien bâti pour y répondre, celui-là ou celle-là pourrait être audible… » Osons le dire : il nous faut une armée aux buts inversés : de destructeur du milieu naturel au rôle de protecteur.

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Que ce soit dans l’ex-Yougoslavie, en Côte d’Ivoire ou ailleurs, l’armée française est déjà devenue une force d’interposition, un gage de paix, pour ainsi dire une gendarmerie internationale. Sarah Brunel envisage un devoir d’ingérence environnemental à l’image du droit d’ingérence humanitaire. Pourquoi les armées n’interviendraient-elles pas dans des pays étrangers pour en protéger les richesses biologiques, pour stopper la destruction d’une forêt primaire par exemple ? La question reste en suspens car l’écologie n’est pas encore la préoccupation première des forces armées. L’armée pourrait cependant devenir, par la force des choses, la première ONG de grand secours, la « spécialiste du chaos ». De ce point de vue, l’intervention de l’OTAN lors du séisme pakistanais d’octobre 2005 a marqué un tournant : c’est la première fois que la force de réaction rapide était mobilisée pour une action humanitaire, alors qu’elle avait été conçue pour un conflit avec l’Union soviétique. Face aux catastrophes environnementales, l’armée pourrait devenir un outil essentiel.

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Personnellement, je suis et reste objecteur de conscience. Si chacun de nous était objecteur, refusant l’usage collectif des armes, il n’y aurait plus d’armée institutionnalisée, il n’y aurait plus de guerres généralisées. Mais je reste pragmatique et les contraintes écologiques peuvent avoir demain un impact beaucoup plus fort que les crises financières. En cas d’effondrement de notre civilisation, les militaires apparaîtront comme la force la mieux organisée de protection des populations. C’est avec ce sentiment profond que j’ai recueilli le choix de mon fils de devenir officier dans la Marine nationale. Pendant plus de dix ans, il a servi au déminage en mer et sur terre, contrôlé avec les Anglais des bateaux de pêche pour éviter le pillage des ressources halieutiques, supervisé la navigation maritime au large de Cherbourg pour pallier tout accident. Il n’a rien fait de la fonction traditionnelle des armées, faites pour tuer. Il a toujours agi en temps de paix comme force de protection : l’armée du futur ?

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L’armée peut jouer un rôle complètement différent de ce qu’elle a été historiquement. Au lieu de soutenir la volonté de puissance de nos dirigeants au prix d’une détérioration accrue de l’environnement, elle pourrait jouer un rôle de protection de la nature et des hommes. Qui voudrait faire la guerre s’il vivait en équilibre avec son écosystème ?

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