La virée des JNE aux Amanins (Drôme/Ardèche)

Nous étions 14 JNE à nous retrouver le 8 mars 2012 au centre des Amanins, à la Roche-sur-Grâne (Drôme). Une ferme de 55 hectares, rachetée en 2005 par Michel Valentin, entrepreneur à succès qui a décidé de changer de vie après un divorce et la rencontre de Pierre Rabhi, l’apôtre de l’agroécologie.

 .

par Roger Cans

.

Les JNE avec Pierre Rabhi le 9 mars 2012 - photo Michel Gunther

Pour Michel Valentin, fils d’un père commerçant et d’une mère paysanne, ce retour à la terre est un moyen de « réconcilier l’écologie et l’économie ». L’écologie, en se lançant dans une agriculture biologique (20 hectares cultivés, des chèvres, des moutons, des porcs et des poules). L’économie, en produisant assez pour nourrir 60 personnes par jour et en accueillant des visiteurs à la journée ou à la semaine, en pension complète.

.

Sa compagne Isabelle Peloux, ancienne institutrice du privé, a en même temps créé une école pour les enfants du secteur à la rentrée 2006. Une école avec une pédagogie axée sur la coopération et la paix, inspirée de Freinet et Montessori, et destinée à former des écocitoyens autonomes, protecteurs de la Terre. Cette école est la première de l’association Colibris, un réseau qui se met en place pour accueillir les futurs écocitoyens.

.

Dominique le gardien

Nous sommes d’abord accueillis par Dominique, l’unique résident permanent au centre des Amanins (les autres salariés ou bénévoles habitent le voisinage). Objecteur de conscience, il a fait son temps pour la FRAPNA à Aubenas (Ardèche), puis il a été animateur montagne. Son fils a été en stage chez Pierre Rabhi, qu’il connaît depuis trente ans. Dominique habite aux Amanins depuis sept ans.

.

Il nous raconte les déboires de leur éolienne, achetée 80.000 euros à une société autrichienne. L’éolienne a perdu ses pales depuis deux ans, et ils sont en procès avec le fournisseur. L’affaire s’est compliquée avec la faillite de l’installateur, basé à Toulouse. Le projet, maintenant, est d’installer une éolienne de 20 Kw, couplée à une batterie solaire.

.

Dominique nous fait visiter la « salle de conférence », l’ancien grenier à foin du mas, situé au-dessus de la bergerie voûtée qui sert de salle à manger. La toiture, entièrement refaite, est en douglas et le parquet en mélèze, non traité, qui doit se patiner avec l’usage. Pour le chauffage de l’ensemble, la vieille chaudière à bûches a été remplacée par une chaudière neuve à bois déchiqueté. Le réseau de chaleur passe dans l’épaisseur des murs, qui sont isolés par de la paille pour les murs maîtres et par de la terre crue sur les cloisons.

.

Nous visitons la bergerie avec Houari, d’abord préposé à la fabrication du pain dans le four à bois, puis chargé de la laiterie. On élève là une dizaine de chèvres du Rove, très rustiques, pour la production de tomes et de yaourts. La bergerie accueille 32 brebis, qui fournissent entre 60 et 70 litres de lait par jour. Environ 1/5e de la production est vendu à l’extérieur, notamment pour le roquefort. Il est envisagé d’acheter une vache pour le beurre. Une troupe de cochons est élevée en enclos extérieur. Ils sont achetés petits, élevés au petit lait et au son, et tués à partir de juin pour la viande.

.

Aux Amanins (200 m d’altitude), on cultive le blé, l’orge, l’avoine, le seigle, le blé dur pour les pâtes, les lentilles, les pois chiches, les groseilles et les fraises. On récolte aussi les mûres. Pour nourrir les bêtes l’hiver, on récolte le foin, le sainfoin et la luzerne. Les ruches ont perdu leurs abeilles (climat trop rude ?), alors un apiculteur apporte temporairement des ruches pour la pollinisation.

.

Michel Valentin, l’entrepreneur

Nous dialoguons ensuite avec Michel Valentin, qui nous raconte comment s’est amorcée la coopération avec Pierre Rabhi. Celui-ci voulait travailler avec le VVF (Villages Vacances Familles), mais le projet n’a pas abouti. Il rencontre alors Michel Valentin et Isabelle Peloux, qui habitent à La Roche-sur-Grâne, et qui lui apprennent qu’une ferme est à vendre. Michel Valentin l’achète au nom d’une association baptisée Les Amonins (le nom d’une parcelle), qui forme aussitôt une société civile pour gérer l’ensemble.

.

Une équipe de 30 personnes est alors recrutée pour restaurer le mas existant, construire l’école et les logements d’accueil du public. Les bâtiments neufs sont à ossature bois (douglas, peuplier, mélèze et cèdre local) avec murs de paille et cloisons en briques de terre. Les toits sont végétalisés, ce qui apporte une très bonne isolation thermique, l’été surtout. Un poêle à bois assure le chauffage, des panneaux solaires l’eau chaude, et les toilettes sèches sont séparatives, c’est-à-dire que l’urine est recyclée avec les eaux grises et les selles récupérées comme engrais agricole.

.

La ferme, où travaillent 10 personnes en SCOP (coopérative de production) et deux bénévoles chaque mois, produit bio sans en avoir le label. L’important, pour lui, est de produire assez pour nourrir les « séjournants ». La rentabilité économique est là. L’école, qui n’est pas encore sous contrat, accueille les enfants du CP au CM2. Il en coûte 36 euros par mois et par enfant aux parents, et 100 euros avec la cantine.

.

La troisième activité est l’accueil du public. Le centre reçoit des classes de découverte, des particuliers en vacance (3, 4 ou 7 jours en pension complète, 60 euros/jour) et des stages d’entreprise (« Entreprendre sans prendre »). Il dispose pour cela de 70 couchages, y compris des cabanes individuelles en bois dispersées sur une colline.

.

La philosophie de l’ensemble se résume à 1) L’autoconstruction. 2) L’autonomie alimentaire. 3) L’autonomie énergétique. L’autonomie financière n’a été atteinte qu’en 2011. C’est Pierre Rabhi qui sert de VRP aux Amanins.

.

Michel Valentin explique que le recrutement, au début, était fondé sur la mentalité et donc l’adhésion à certains principes. Mais cela a entraîné des erreurs et des conflits. Le recrutement s’est fait ensuite sur les compétences. La SCOP, opérationnelle depuis mai 2008, paie un loyer à la Société Civile (propriété de l’association), qui paie les enseignants. Aux Amanins, le salaire est unique : 13 euros de l’heure.

.

Isabelle Peloux, la pédagogue

 

Cette femme très douce explique qu’elle a été formée à l’école normale (privée) de Caluire et a d’abord exercé dans une école privée de Lyon. Elle pratique la pédagogie Freinet, fondée sur la coopération (les enfants font leur vaisselle, le nettoyage, etc.). Le lundi matin, les enfants débattent entre eux, librement, et le jeudi après-midi, ils discutent les règles à appliquer. L’objectif est la paix et l’écocitoyenneté, avec cette maxime : « le beau fait du bien ».

.

Afin de prolonger la scolarité, un collège est prévu pour la rentrée 2013. Le bois de construction a déjà été acheté (160 cèdres de 60 ans, coupés en novembre 2010 dans une forêt proche).

.

Visite à Pierre Rabhi

Pour passer des Amanins (Drôme) à Montchamp (Ardèche), nous traversons Privas, franchissons le col de l’Escrinet (787 m), bien connu des chasseurs et des écolos, et redescendons sur Aubenas, Largentière et Lablachère, baignés de soleil. Depuis le col de l’Escrinet, nous sommes en terre méditerranéenne (aux Amanins, nous avions un mistral glacial et violent).

.

Le convoi des JNE (quatre véhicules) se perd dans la montagne et les homonymes. Nous arrivons donc chez Pierre Rabhi avec plus d’une heure de retard, ce qui abrègera d’autant notre rencontre (une heure et quart). Autour d’une grande table où le thé est servi, Pierre Rabhi décrit son parcours, depuis l’oasis algérienne jusqu’à Oran, dans une famille de pieds noirs, puis à Paris, où il devient OS en usine. Il découvre donc l’entreprise, avec sa hiérarchie pyramidale, et il étouffe. La société industrielle, c’est une vie aliénée, enfermée. On commence par le bahut, puis la caserne et enfin une boîte où l’on se rend avec sa « caisse ». Tout le contraire du Tiers-Monde d’où il vient.

.;

D’où son retour à la terre en 1961, avec femme et enfants. Il débarque en Ardèche en plein exode rural, au moment où tout le monde s’en va ! Il ne connaît rien à l’agriculture, mais il apprend l’agronomie comme ouvrier agricole, de ferme en ferme. Il découvre alors que les paysans ne respectent pas la terre et se mettent à l’empoisonner à forces d’engrais et de pesticides. On fait la guerre à la nature pour manger. Son rêve se brise. Mais il découvre l’anthroposophie et la biodynamie dans un livre écrit par un disciple de Rudolf Steiner. L’espoir renaît.

.

Il s’installe alors à Montchamp, dans un mas qui domine un superbe panorama (200 m d’altitude). Le Crédit Agricole le prend pour un fou, de vouloir « cultiver des cailloux », au milieu de chênes rabougris, de buis et de genévriers. Mais, pour lui, ce qui compte, « c’est la beauté du lieu ». Pendant treize ans, il n’aura pas l’électricité et seulement 30 m3 d’eau pour l’année. Une sobriété choisie, contre « l’insatiabilité » des autres : « L’autolimitation est la garantie contre l’aliénation ». Son ennemi, c’est « l’argent qui confisque tout ». « En Afrique, on ne vit pas d’argent ».

.

Pierre Rabhi se met à militer, tout en se méfiant de la politique qui, pour lui, est du niveau de « la classe maternelle, moins l’innocence ». En 2002, ses amis le poussent à se présenter à l’élection présidentielle. Il préfère appeler à « l’insurrection des consciences ». Il reprend l’image du colibri qui, pour éteindre l’incendie de forêt, dépose quelques gouttes d’eau. Comme l’oiseau, chacun doit apporter sa part.

.

Parmi les « converties » de Pierre Rabhi se trouvent les sœurs orthodoxes du monastère de Solan (Gard), qui cultivent aujourd’hui leurs 60 hectares en bio (dont un vin que nous avons goûté aux Amanins). Du coup, on l’appelle en Roumanie où « 200 monastères m’attendent ». Il déplore à ce propos que les religions soient « défaillantes en écologie ». Comme la politique, qui se fait par des « astuces ». Il avoue : « j’ai beaucoup de mal à voter ».

.

Il se dit adepte de Marc-Aurèle, l’empereur philosophe et approuve la thèse de Teilhard de Chardin, selon lequel chacun doit gravir la même montagne par des chemins différends pour se retrouver au point Oméga. Il condamne « le pouvoir sans éthique ». Il dit son « horreur des frontières et des armements ». Pour lui, « il faut de l’héroïsme, à l’échelle mondiale ».

.

Tous candidats !

Pierre Rabhi explique alors l’opération « Tous candidats en 2012 ». Il demande à chacun, homme ou femme à égalité, « d’incarner l’utopie » et de prôner « la décroissance, le grand blasphème ! ». En effet, « un grain de blé peut nourrir l’humanité entière ». Le système actuel est fragile, car il repose sur le pétrole, l’électricité et la communication (« internet ? interpasnet ! »). Pour lui, « les solutions pour le futur viendront de la société civile ». La « sobriété heureuse est une puissance forte ». Les sociétés riches sont tristes. Les pauvres du Sud sont joyeux. Quand on voit le commerce du luxe prospérer, on se dit qu’« il n’y a pas de seuil de satisfaction ». Pierre Rabhi lance donc un appel pour « une république des consciences », où le partage et la rencontre remplacent la com.

.

Le hameau des Buis

Nous nous rendons ensuite au Hameau des Buis, le village écologique construit en contrebas. Déjeuner bio, au milieu des constructeurs du village, qui n’est pas tout à fait terminé. Puis visite complète avec Marco Lucien, un maçon qui travaille et habite le hameau depuis cinq ans, avec ses deux enfants.

.

Il explique que la société civile du lieu a été fondée en 2003, avec comme première intention de créer un village pour retraités (14 des 20 logements sont occupés par des retraités). Mais, très vite, le besoin d’une école s’est fait sentir, et le projet est devenu « intergénérationnel ». Le mas existant a été entièrement rénové et transformé en école sur deux étages, chauffée par un seul poêle à bois. L’école accueille 20 enfants de résidents et 30 des alentours. Pédagogie Montessori, qui consiste à partager la journée entre les cours (le matin) et les ateliers (l’après-midi), et qui apprend à chacun à devenir autonome en collectivité.

.

Les vingt résidences (du T1 au T4) ont été construites sous la conduite d’un architecte, Pierre-André Gomez. Toutes sont à ossature bois, murs de paille, cloisons de terre crue, et toiture végétalisée, avec des vérandas et des murs de chaleur pour la climatisation naturelle. On a pris soin de ne pas couper les chênes, qui sont l’été « des climatiseurs naturels ». Les eaux grises sont recueillies dans une succession de bassins filtrants végétalisés. Les logements sont attribués non pas sur liste d’attente (chronologique), mais selon un « cercle de postulants », où sont pris en comptes différents critères. Pour éviter la spéculation, tous les résidents sont locataires de la société civile et ne peuvent acquérir leur logement.

.

Enfin, pour fournir le restaurant et servir d’activité pédagogique, une ferme dispose de dix chèvres, deux poneys, une jument de trait et des poules, ainsi qu’un verger et un potager de deux hectares.

.