SOS Forêts publiques

Les chiffres de l’Inventaire Forestier National (IFN) sur les accroissements annuels sont surestimés de 20 %.

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par Jean-Claude Génot
Ecologue, membre des JNE

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Dans le « Spécial forêts » du Canard Sauvage paru début 2011, je terminais mon article intitulé « La forêt à l’heure du produire plus » par : « Au fait, et si les chiffres de l’Inventaire Forestier National (IFN) sur les accroissements annuels qui ont servi à lancer cette mobilisation générale pour couper plus étaient erronés ? Allez, un volontaire pour aller vérifier… ». Eh bien, je ne croyais pas si bien dire, il s’avère que ces chiffres sont surestimés de 20 % !

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Oui, vous lisez bien : l’Etat a engagé une politique forestière pour produire plus de bois sur la base d’une surestimation des accroissements moyens de la forêt française. De ce fait, les prévisions d’augmentation du volume prélevé, à savoir plus de 40 % d’ici 2020, sont totalement irréalistes à moins d’entamer fortement le capital et d’hypothéquer lourdement l’avenir des forêts.

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Croyez-vous pour autant que la politique gouvernementale ait été revue à la baisse ? Non car la machine industrielle est en marche et rien ne doit résister aux marchés ! Comme le dit Laurent Mucchielli, sociologue au CNRS : « les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes, c’est nous qui les faisons parler ».

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Erreur de statistiques, surexploitation forestière actée lors du Grenelle (ce « bordel de l’environnement » comme le nomme si bien Jean-Christophe Mathias) et cautionnée par des associations de protection de la nature dévoyées (voir les ouvrages de Fabrice Nicolino Qui a tué l’écologie, éditions Les liens qui libèrent et de Jean-Christophe Mathias Grenelle de l’environnement, la supercherie écologique, éditions Le Sang de la Terre), rajeunissement de la forêt au nom du changement climatique : tout cela ressemble à un cauchemar qui serait un bon scénario pour un thriller écologique de Fred Vargas…

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Très tôt, j’ai eu des doutes sur les chiffres annoncés parce que sur le terrain de nombreux forestiers publics étaient en désaccord avec les chiffres annoncés par l’IFN. Ainsi, lors d’une table ronde sur la forêt en Alsace qui s’est tenue début 2011, un représentant de la filière bois qui évoquait un accroissement biologique de 10 m3/ha/an (sous-entendu un volume récoltable) est repris par un ingénieur de l’ONF qui annonce pour sa part un accroissement récoltable et utilisable de 5 à 6 m3/ha/an (une grande partie des forêts alsaciennes est située sur les sols acides, donc pauvres du massif vosgien), soit un écart de près de 50 % ! Alain Givors, président de l’association Pro Silva, doute de l’estimation de l’IFN de 100 millions de m3 annuels. Selon lui : « Il faut en effet considérer la valeur de la production. Or, celle-ci ne peut être améliorée que si les forêts sont composées d’un volume suffisant de beaux arbres produisant du bois de qualité. Le danger serait de décapitaliser des bois en cours de croissance par des coupes rases de grandes surfaces ».

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Je crains que ce soit ce scénario qui se produise dans les années à venir. Mais rassurez-vous, cela se fera dans le respect du développement durable, avec de la mécanisation « raisonnée », des routes en montagne « paysagères » et des chantiers certifiés PEFC…

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Surestimation de l’IFN ou pas, le sort de la forêt publique est scellé. Ainsi l’ONF a sorti dès 2010 un document « La gestion durable des forêts publiques en forêt domaniale » qui comporte des formules de marketing où les vieux concepts productivistes sont repeints avec la bonne couleur comme la « croissance verte » ou des slogans empruntés au monde agricole qui ont abusé plus d’un naïf comme la « décapitalisation raisonnée ». On nous dit qu’il est faux de croire que les récoltes se sont intensifiées en forêt domaniale depuis quelques années, alors qu’il suffit d’aller sur Google Earth visiter les forêts domaniales de Bercé, Tronçais, Citeaux, Bertranges, Darney et Ecouves pour n’en citer que quelques unes pour observer les coupes rases, effectuées depuis le Grenelle avec ces rangées de 2 m de large appelées cloisonnements sylvicoles et espacées de 6 m qui artificialisent la forêt pour en faire un champ d’arbres.

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Les productivistes ont un allié de poids en la personne du président de la République qui, lors de son déplacement en Corrèze fin avril 2011, a répondu à une question sur la conciliation de la protection de l’environnement avec la production de bois par cette phrase qui en dit long sur sa conscience écologique : « Qui viendra visiter le pays si les forêts sont protégées et devenues impénétrables parce qu’elles ne sont plus travaillées ? ». Peut-être devrait-il visiter le parc national de la forêt de Bavière, où des centaines de milliers de visiteurs viennent annuellement y découvrir plus de 17 000 ha de forêts non exploitées. Ach ! Toujours ces Allemands avec leur efficacité…

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Qui reste-t-il pour résister à la surexploitation des forêts publiques françaises? Certaines municipalités qui ont le souci du long terme et la société civile consciente de l’enjeu actuel pour nos forêts. En Lorraine, 5ème région la plus boisée de France, un collectif composé d’associations de protection de la nature, de la Fédération régionale des chasseurs, de syndicats et de partis politiques d’opposition s’est mobilisé pour défendre la forêt face aux coupes et a saisi la Commission Européenne sur le sort des nombreuses zones Natura 2000, où la surexploitation des forêts est incompatible avec le maintien des espèces des directives européennes liées aux stades âgés. Cette initiative lorraine est en train de devenir une action nationale puisque la LPO et le WWF ont rejoint les pétitionnaires*.

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Il est également important que les journalistes des JNE parlent de cette résistance face à une politique forestière gouvernementale anti-nature et anti-économique à long terme qui ressemble fort à un abandon pur et simple des forêts domaniales aux lois du marché avec un gestionnaire, l’ONF, au bord de la privatisation à qui l’on demande de se payer sur la vente de bois et de couper plus.

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Et comme si cela ne suffisait pas, un plan national d’action en faveur des vieux bois initié par la DREAL Alsace est bloqué depuis 2010 par le Ministère de l’Ecologie. Autocensure par crainte de parler d’un sujet difficile à défendre en pleine mobilisation du bois ou censure par les productivistes qui veulent tuer dans l’oeuf un plan embarrassant en plein rajeunissement programmé des forêts? On en deviendrait parano !

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* Pour signer la pétition ou pour connaître les actions de SOS Forêts http://sosforets.wordpress.com/