Des cancres à l’Élysée : l’écologie est ignorée

Le régime présidentiel confère à nos chefs d’État des pouvoirs immenses et, surtout à l’époque du septennat, donne la possibilité de voir plus loin que son propre mandat.

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par Michel Sourrouille, philosophe écologue

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Pourtant, tous les présidents de la Ve République ont été des cancres* en matière environnementale. La modernité à tout prix de De Gaulle, les brèves lueurs de Pompidou, les fausses bonnes intentions de Giscard, l’indifférence de Mitterrand (14 ans au pouvoir), les beaux discours de Chirac (12 ans au pouvoir), l’inconsistance de Sarkozy…

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Comment expliquer que les préoccupations socio-économiques n’ont jamais cessé de prendre le dessus sur l’enjeu écologique ? Politiciens professionnels, obnubilés par chaque échéance électorale et l’avenir de leur parti, confortés par la faiblesse politique de la mouvance écologique, nos présidents croient tous que quelques lois et beaucoup de promesses sont suffisantes pour résoudre la crise systémique qui nous menace.

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Le seul président qui a osé s’exprimer longuement sur la politique écologique est Giscard d’Estaing… en 1977 ! L’interview, avec le labrador roupillant sur le tapis, a été longuette et « molle ». Il a fallu attendre deux mois pour que cet entretien avec Marc Ambroise-Rendu, après ré-écriture, paraisse dans le Monde du 26 janvier 1978.

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La première question est incisive : « La France peut-elle continuer à donner l’exemple d’une croissance accélérée, alors que celle-ci est fondée sur la sur-exploitation du monde, le gaspillage et les risques technologiques ? » Il est significatif que la réponse de VGE pourrait aussi bien être faite par le président actuel : « Je préconise une nouvelle croissance qui économise l’énergie et qui réponde à des aspirations plus qualitatives. Mon objectif est que nous retrouvions un taux de croissance supérieur à celui de ces quatre dernières années, ne serait-ce que pour résoudre le problème de l’emploi. Cette nouvelle croissance n’est ni une croissance sauvage ni une croissance zéro. » Nos présidents n’ont pas encore compris que la croissance économique n’est pas la solution, elle est le problème. Giscard confirme son aveuglement avec la deuxième réponse : « De grands écarts de niveau de vie restent à combler. La croissance doit être poursuive. » Toujours la fuite en avant !

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La troisième question est aussi d’actualité en 2011 : « L’opinion paraît de moins en moins favorable à un développement ambitieux du programme électronucléaire. Comment réintroduire la démocratie dans le choix nucléaire ? » La réponse de Giscard est un véritable déni de la réalité, un mensonge d’État : « Le gouvernement respecte la démocratie dans le domaine nucléaire, comme dans les autres. Il a la responsabilité devant le pays de prendre les décisions qui engagent la politique de la France. Il le fait sous le contrôle du Parlement (…) La vraie question n’est pas oui ou non au nucléaire. La question c’est : oui, mais comment ? » En vérité le choix nucléaire en France est passé exclusivement par des textes gouvernementaux. C’est le décret n° 63-1228 du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires qui a permis la construction des 58 réacteurs français ou du réacteur Superphénix. C’est la commission Péon qui, en octobre 1973, a convaincu le Premier Ministre, Pierre Messmer, d’accepter le tout-nucléaire, sans aucun débat, cinq mois avant la mort du président Pompidou. Autrement dit, le Parlement a été prié de regarder ailleurs pendant que se réalisait le choix le plus structurant de tout l’après-guerre, en violation flagrante de l’article 34 de la Constitution.
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Une autre question de 1977 qui a son intérêt dans la perspective des présidentielles 2012 : « Comment appréciez-vous l’intervention des écologistes dans le jeu électoral et politique français ? Qui, selon vous, de la majorité ou de la gauche, va finalement profiter de leur courant ? » Pour une fois Giscard énonce des vérités qui restent intemporelles : « L’écologie est une idée riche d’avenir. Science de l’équilibre entre l’homme et son milieu, elle apparaît comme un fil conducteur prometteur. Elle est un stimulant salutaire, hors des sentiers battus des idéologies du passé (…) Il est bon que des écologistes puissent exprimer leurs points de vue en toute clarté. Il est heureux qu’ils refusent que l’écologie soit enfermée dans deux camps arbitrairement délimités. Il est encourageant qu’ils veuillent éviter certaines récupérations partisanes qui aboutiraient à faire d’eux des otages de doctrines ou de comportements incompatibles avec l’écologie (…) Qui profitera finalement de l’intervention des écologistes dans le débat électoral ? Peut-être l’écologie. Et dans ce cas, je ne m’en plaindrai pas. »

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Sans doute dans ces derniers propos retrouve-t-on les phrases du conseiller de Giscard à l’époque, Pierre Richard. Le discours de Chirac à Johannesburg reflétait bien les pensées de Nicolas Hulot !

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* Des cancres à l’Élysée (5 présidents de la République face à la crise écologique) de Marc Ambroise-Rendu (2007)