Chronique naturaliste d’un jardin citadin

Depuis 20 ans, l’auteur de ce texte habite un quartier pavillonnaire de Saverne, ville située au pied des Vosges du Nord. Construite dans les années 50, sa maison est dotée d’un jardin avec des arbres fruitiers. Il évoque ses observations de la faune, particulièrement les oiseaux, et de la flore sauvage effectuées au cours de ces vingt années.

par Jean-Claude Génot *

Ce modeste jardin d’environ 280 m2 comporte un compost entouré d’un muret et une cabane de jardin. Il est séparé en deux parties par une allée en béton. C’est un jardin verger et en 2005 il comptait un cognassier aux branches s’étalant en étoile à partir d’un tronc très bas, un cerisier, deux pommiers et un mirabellier. Un épicéa sans doute planté par les premiers propriétaires était présent juste devant la cabane de jardin. Un sureau pousse près la façade juste à côté de la porte donnant sur le jardin et un houx en limite avec les voisins. Les maisons de ce quartier ont été construites au plus près de la rue pour laisser le maximum d’espace à l’arrière pour les jardins qui avaient une importance alimentaire plus importante dans les années 50.

La prairie fleurie © JG Génot

La maison est encadrée par deux plates-bandes et un petit jardinet à l’avant d’une quinzaine de m2. Ce quartier s’est construit sur une colline sous-vosgienne dont le sous-sol est traversé par des sources. Ce dernier est une mosaïque géologique composé de grès, de marnes, de calcaires, de lœss car nous sommes dans le champ de faille de Saverne liée à la formation du fossé rhénan apparu il y a 25 millions d’années. En 20 ans, ce jardin a fait l’objet de nombreuses modifications, passant de la pelouse arboricole au jardin fleuri et boisé. Au départ, une pelouse bien tondue occupait les deux parties du jardin, avec les arbres fruitiers taillés de façon sévère et aucune haie, sinon un « mur vert » de thuya qui cachait tout juste les voisins. Une des pelouses est devenue un potager fleuri entre autres d’onagres, d’asters, de menthes et de bourraches et jardiné aujourd’hui en permaculture. L’autre pelouse est devenue une prairie fleurie (cardamine, coucou, épervière orangée, bugle rampant, lotier corniculé, trèfle blanc, millepertuis, brunelle, achillée mille feuilles, séneçon jacobée, etc.) grâce à une tonte tardive.

L’ombrage des haies et de certains arbres favorise une flore des bois composée de l’anémone des bois, du muguet, du sceau de Salomon, de l’hépatique et de la pulmonaire officinale. Le cerisier est mort, mais il sert de support à un lierre devenu exubérant. Un pommier est également mort, mais il a été remplacé par deux autres de variété différente. Le mirabellier a toujours été dépérissant, mais arrive encore à fournir des fruits alors qu’il ne lui reste plus beaucoup de branches vivantes. Son futur remplaçant est déjà planté : un quetschier d’Alsace haute tige. Enfin, l’épicéa qui devait avoir l’âge de la maison a été coupé car il acidifiait la prairie gagnée par la mousse et risquait d’endommager la cabane en cas de tempête. A la base du tronc conservé pour nourrir les insectes qui se nourrissent de bois mort, pousse un chêne venu spontanément, probablement grâce au geai qui transporte des glands. Un figuier a été planté contre la façade plein sud où il s’est bien développé. Initialement, une haie de troènes et de noisetier bordait la terrasse située dans un angle de la maison. Une autre haie avec du charme, du troène et du houx sépare le potager du fond du jardin où se trouve le mirabellier.

L’îlot de verdure et de fraîcheur au fond du jardin © JC Génot

Il est vite apparu nécessaire de développer des haies au fond du jardin, sur toute une longueur du terrain et le long de l’atelier d’un voisin dont la façade en béton conserve la chaleur en été. Une haie de charmes a été plantée et elle atteint aujourd’hui la hauteur de la toiture du bâtiment et participe à l’îlot de verdure et de fraîcheur, constitué par trois haies où depuis peu est apparue une orchidée, la listère à feuilles ovales. L’une d’elle est constituée d’un cornouiller sanguin, planté, qui s’est multiplié par ses racines pour densifier la haie et d’une aubépine plantée également, qui atteint aujourd’hui 5 m de haut, d’un troène et d’un églantier venus spontanément. La haie qui longe toute la maison est un mélange d’arbustes plantés (fusain, églantier, noisetier, aubépine, lilas, amélanchier, seringat) et d’arbustes et d’arbres venus spontanément comme le sureau, le cornouiller sanguin et l’érable champêtre. Mon jardin est une véritable pépinière installée spontanément par les animaux (oiseaux, écureuil, petits rongeurs) qui le fréquentent avec les arbres et arbustes suivants : noisetier, frêne, chêne, saule marsault, noyer, églantier, sorbier des oiseleurs et bouleau. La liste des végétaux comporte 45 espèces de plantes à fleurs, 20 espèces d’arbres et arbustes et 3 lianes (clématite, lierre et ronce). Les arbres et certains arbustes dépassent largement la hauteur autorisée en termes de voisinage, mais pour l’instant ils sont tolérés par mes voisins, moyennant une taille des branches qui empiètent un des voisins.

La listère à feuilles ovales qui pousse au fond du jardin © JC Génot

En 20 ans, j’ai réussi à observer ou entendre 52 espèces d’oiseaux dans le jardin et son voisinage. Ces contacts visuels ou auditifs s’effectuent au gré du temps passé dans le jardin, mais aussi depuis mon bureau dont une grande fenêtre m’offre une vue imprenable, notamment en hiver quand les oiseaux viennent à la mangeoire. Au printemps, les oiseaux qui ont le plus fréquemment niché dans le jardin sont le rougequeue noir qui a installé son nid plusieurs fois sous le toit de la maison et une fois dans le sous-sol, le merle et la fauvette à tête noire qui nichent dans les haies ou dans le lierre qui recouvre le cerisier mort et le moineau domestique sous le toit de la maison également.

Le rougequeue à front blanc magnifiquement coloré de retour d’Afrique © JC Génot

Mais de nombreuses autres espèces nicheuses chantent régulièrement dans le jardin ou autour : le verdier, le rougequeue à front blanc, le serin cini, la mésange bleue, la mésange charbonnière et la tourterelle turque. Parmi les oiseaux fréquemment posés au sol : le pic vert, la corneille, la pie, la tourterelle turque, le merle, le rougegorge et le pigeon ramier. Le jardin est à moins de 800 m de la forêt, ce qui explique les observations du pigeon ramier, du geai des chênes et du pic épeiche et les chants de la grive musicienne, du pinson des arbres, de l’accenteur mouchet ou encore des pouillots fitis et véloce. Chaque année, entre fin octobre et début novembre, les grues cendrées en migration volent au-dessus du jardin de jour comme de nuit avec parfois des groupes d’une centaine d’oiseaux. A cette saison des passages, j’ai pu observer à une seule occasion six milans royaux qui ont tourné un moment au-dessus du jardin. En hiver, le nourrissage à la mangeoire permet d’observer les mésanges bleue et charbonnière mais aussi, plus rares, les mésanges noire, huppée et à longue queue. Le rougegorge n’est jamais loin, mais reste dans la haie contrairement aux moineaux qui disputent la place aux mésanges.

Le tarin des aulnes en hiver © JC Génot

Aux pinsons des arbres s’ajoutent leurs cousins venus des régions septentrionales, les pinsons du nord au plumage orangé, et les tarins des aulnes. La mangeoire attire plus rarement la sittelle, le gros-bec, le bouvreuil et le chardonneret. Le compost intéresse l’étourneau et la grive litorne qui vient également consommer les fruits de l’églantier. Les choucas, eux, viennent consommer les boules de graisse contenant des graines de tournesol.

Certaines observations sont marquantes comme cette pie qui est venue dans la haie pour prélever un jeune merle et le manger ensuite au sol (30 avril 2013). Le matin même une corneille avait essayé en vain d’accéder au nid, mais la pie possède la bonne taille pour se faufiler dans la végétation dense. Une corneille, toujours elle, a attaqué un écureuil, mais ce dernier a été plus vif (7 janvier 2006). Une autre fois, deux corneilles ont essayé, mais ils ont également essuyé un échec (4 avril 2008). Un épervier a tenté d’attaquer un moineau dans la haie mais en vain (14 août 2016). Deux faucons crécerelles s’accouplent avec de nombreux cris sur les branches d’un épicéa situé à une trentaine de mètres du jardin (1er mai, 2 mai et 13 mai 2022). Si j’ai un regret d’avoir coupé mon épicéa, c’est uniquement parce qu’en fin d’hiver il a accueilli plusieurs années de suite un hibou moyen-duc qui nous a gratifié de son chant nocturne. Le souvenir le plus remarquable à ce jour est celui d’un hibou grand-duc, le plus grand rapace nocturne d’Europe, perché sur un arbre chez des voisins qui a chanté à cinq reprises vers 3 heures du matin une nuit d’été (9 juillet 2023). Cet oiseau niche à moins d’un kilomètre dans une carrière abandonnée  ce qui explique sa présence dans le quartier. Enfin il y a des espèces que j’ai contactées une seule fois comme le rare torcol, ce pic migrateur qui vit dans les vergers, ou encore le grimpereau des jardins au bec recourbé.

Pour le reste de la faune, l’orvet est un hôte régulier souvent délogé sous les jardinières, posées au sol. Une jeune couleuvre à collier a été observée dans le compost à une seule reprise. Un crapaud a déjà été observé à plusieurs reprises et à une seule occasion la grenouille verte. L’été 2025 a été l’occasion de la première observation d’un lézard des murailles, un effet des canicules ? En ce qui concerne les mammifères, le hérisson est un hôte occasionnel, l’écureuil était fréquent jusqu’à ce que deux maisons se construisent à la place des jardins avec des arbres, mitoyens du nôtre. Des pipistrelles ont été observées en chasse à la tombée de la nuit et certaines se réfugient derrière les volets, trahissant leur présence par leurs crottes minuscules. L’espèce la plus omniprésente est la fouine qui a longtemps occupé le grenier de la maison avant notre arrivée puis a continué jusqu’à la réfection de la toiture et l’isolation des rampants. Mais ce mustélidé anthropophile fréquente le quartier et vient souvent déposer sa crotte sur notre paillasson après une visite nocturne du jardin.

Une mante religieuse © JC Génot

Côté insectes, faute de connaissances suffisantes, je n’ai noté que certaines espèces particulières comme la mante religieuse (un effet du réchauffement climatique ?), l’aeschne bleue (une libellule), le moro-sphynx, un papillon colibri facile à repérer avec son vol stationnaire ou encore l’abeille charpentière ou bourdon noir qui se distingue par sa couleur noire violacée et sa grande taille par rapport à une abeille classique.

Ce modeste jardin est une fenêtre sur le monde naturel, la petite nature comme la nommait le naturaliste et artiste Robert Hainard, celle des zones pavillonnaires. On voit le rythme quotidien des oiseaux telles les corneilles qui volent vers les champs de bon matin et reviennent en fin de journée à leur dortoir situé en ville. On perçoit la raréfaction de certains oiseaux, comme le torcol contacté une seule fois et l’hirondelle des fenêtres qui a niché une fois en 20 ans. A l’inverse, le survol du héron cendré avec son cri grinçant et de la cigogne blanche traduit un statut favorable pour ces deux espèces, particulièrement pour la cigogne qui dépasse les 1 000 couples dans le Bas-Rhin. Hormis le nombre de jours de neige en diminution et les récentes canicules, les effets concrets du réchauffement climatique sur la végétation sont visibles notamment avec le houx en bonne santé et la prolifération du lierre grâce à la diminution des jours de gel en hiver. Mais un jardin de taille limitée, aussi diversifié soit-il, ne peut pas à lui seul accueillir une faune et une flore d’une grande richesse. L’environnement est déterminant et il est vraisemblable que les effets cumulés de l’urbanisation de certains jardins, de l’élimination de nombreux arbres non remplacés et de la gestion intensive des gazons ont joué un rôle dans la rareté de certaines espèces parmi lesquelles l’écureuil et le hérisson.

* Ecologue

Photo du haut : le potager en permaculture © JC Génot

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