Contourner les chambres d’agriculture, est-ce possible ?

Face à tous les dysfonctionnements des chambres d’agriculture et compte tenu que la très grande majorité de ces établissements publics sont aux mains de la FNSEA, JA (Jeunes agriculteurs, syndicat frère de la FNSEA) et Coordination rurale (CR), donc ne veulent rien changer, est-il envisageable de les contourner lorsqu’on est paysan ou à la recherche d’une installation ?

par Pierre Grillet

Lors de l’installation d’un agriculteur, les chambres d’agriculture sont le plus souvent sollicitées. Pourtant, il existe des alternatives possibles (au moins partiellement) comme le réseau CIVAM (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) qui réunit des groupes d’agriculteurs et de ruraux qui souhaitent travailler de manière collective à la transition agro-écologique et défendre ainsi un autre développement agricole et rural. Les CIVAM proposent un accompagnement à la création d’activité en milieu rural et agricole. D’autres structures existent comme les GAB, groupements de producteur·rices en Agriculture Biologique, ou encore l’ADEAR ou ARDEAR (Association pour le développement de l’emploi agricole et rural) dont le but est de maintenir et d’installer des agriculteurs qui incarnent la vision de l’agriculture paysanne (1).

Une chambre d’agriculture alternative au Pays basque qui associe paysans et non paysans…

Ne se sentant pas concernés par les orientations des chambres officielles, des paysans du Pays Basque ont décidé de prendre eux-mêmes en main leur destin. Depuis les années 80, un groupement foncier agricole (GFA) est créé pour le rachat des terres, puis le syndicat ELB (Rassemblement des paysans du Pays basque rattaché à la Confédération paysanne dès 1987) voit le jour en 1982, issu d’une scission au sein de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles).

Ces paysans décident de créer en 2005 la chambre d’agriculture alternative Euskal Herriko Laborantza Ganbara (EHLG), dans laquelle ELB (la Confédération paysanne du Pays Basque) est majoritaire. Sur son site (2), on peut lire : « Euskal Herriko Laborantza Ganbara est une association loi 1901 de développement agricole et rural, créée le 15 janvier 2005. Elle a pour objet de contribuer au développement d’une agriculture paysanne et durable ainsi qu’à la préservation du patrimoine rural et paysan, dans le cadre d’un développement local concerté sur le territoire Pays Basque ».

Endossant le même rôle qu’une chambre d’agriculture départementale, elle encourage une politique agricole et un mode de fonctionnement différents des chambres officielles. Alors que les chambres d’agriculture classiques sont le domaine réservé des exploitants agricoles, la chambre alternative du Pays Basque est ouverte aux citoyens. Tous les six ans, la chambre alternative élit ses représentants et parmi ceux-ci, des écologistes et des consommateurs. Le collectif tient à ce que tous les acteurs concernés puissent discuter des problèmes et trouvent ensemble des solutions. « L’agriculture n’est pas le problème des agriculteurs uniquement, mais de la société tout entière », soulignait fort justement Beñat Molimos, co-président d’EHLG au journal Basta. La chambre alternative souhaite « une agriculture paysanne à taille humaine, autonome en intrants, relocalisée et respectueuse de ses travailleurs ».

Ce qui se passe au Pays Basque est considéré par la Confédération paysanne comme un laboratoire de l’agriculture paysanne. Une aventure qui a connu à ses débuts, de nombreux soucis, l’État français ne supportant pas une telle initiative. Cependant, l’État a perdu tous ses procès et cette chambre alternative fonctionne et bénéficie de nombreux dons émanant de citoyens. Au journal Reporterre, Michel Berhocoirigoin, premier Président d’EHLG, était catégorique : « Deux types d’agriculture se confrontent. Le discours dominant veut qu’il y ait de la place pour toutes les agricultures. Cela est faux : l’une est prédatrice de l’autre ». Basta résume ainsi cette expérience basque : « Protéger la biodiversité, améliorer le sort des petits paysans, développer l’économie locale, intégrer écologistes et consommateurs dans ses instances : le beau bilan de la seule chambre d’agriculture alternative de France, au Pays basque » (3). La chambre d’agriculture alternative du Pays Basque prouve que ce type d’expérience peut voir le jour dans d’autres régions et départements sans attendre un éventuel remplacement de la FNSEA ! Michel Berhocoirigoin (4) le disait lui-même auprès de Reporterre : « On ne demande qu’une seule chose, c’est être copié ! ». Une initiative qui a suscité un très fort intérêt lors de sa présentation au Village de l’eau à Melle en 2024.

Lutter contre une tendance lourde : l’effondrement et la disparition des petites et moyennes fermes au profit des grandes exploitations

L’une des préoccupations importantes de cette chambre concerne la transmission des fermes. Celle-ci s’est donc associée à la fondation Terre solidaire qui interroge sur son site le coordinateur d’EHLG, Iker Elosegi : « Nous nous attaquons à tous les sujets liés à la destruction de l’environnement et de l’alimentation. La question est de se demander comment on arrive à faire en sorte que les fermes sur lesquelles il n’y a pas de repreneur continuent à vivre. C’est la question de la transmission. Le but du projet financé par la Fondation Terre Solidaire est d’accompagner les paysans locaux qui ne souhaitent pas transmettre leurs fermes à l’Etat pour faciliter leurs transmissions à des repreneurs qui cultiveront en agriculture paysanne. Et ainsi éviter qu’elles soient incorporées dans de grandes parcelles de l’agro-industrie »

Le Pays Basque : une terre propice à ce type d’initiatives. Un exemple applicable partout ailleurs ?

« Sur notre territoire, c’est une mosaïque de montagnes, de cours d’eau, de petites parcelles. Elles sont vraiment le reflet de l’agriculture paysanne avec ces questions de qualité du sol ou des eaux essentielles pour nous », rappelle Iker Elosegi auprès de Terre Solidaire. Une terre plutôt favorable pour les petites exploitations. L’exemple à suivre, c’est certainement la possibilité d’alternatives partout sur le territoire national, tout en prenant en compte les particularismes de chaque région. À l’heure où de plus en plus de personnes réfléchissent à la manière de créer des bio-régions qui se distingueraient par des particularités fortes au niveau de leur environnement (tel un bassin versant, un bocage, une montagne, une vallée, le Pays Basque…) et non pas définies par des limites administratives arbitraires, ce type d’alternative doit nous permettre de réfléchir sur de nouvelles manières de soutenir les paysans en y associant toute la population. Si un « copier-coller » de l’alternative basque n’est sans doute pas possible partout, son existence devrait nous inciter à trouver les bonnes formules ailleurs sachant que c’est possible puisqu’ils l’ont fait !

En Isère, le rêve serait-il devenu réalité ?

« En 2024, révolté-e-s par les politiques de la Chambre d’Agriculture de l’Isère dominée par le syndicat productiviste FNSEA, une trentaine de paysan-ne-s ont fondé la Chambre d’Agriculture Indépendante de l’Isère. Cette démarche s’inspire de l’initiative similaire menée au Pays Basque.

Les activités de la Chambre d’Agriculture Indépendante de l’Isère regroupent une centaine de paysan-ne-s, et celle-ci a soutenu l’installation d’une vingtaine de producteurs et productrices en deux ans.

La Chambre est financée par les adhésions de ses membres. Elle ne dispose d’aucun-e salarié-e permanent-e, mais indemnise les prestations des paysan-ne-s réalisant des formations et de l’accompagnement des personnes souhaitant s’installer en agriculture ».

Attention : la chambre d’agriculture indépendante de l’Isère n’existe pas encore. Il s’agit d’un songe du media « Ici Grenoble » (5).

Mais qui sait un, jour ? À Grenoble et partout ailleurs ? Voilà un beau projet collectif à construire partout en France en fonction des particularités locales…

(1) Site de réseau CIVAM : https://www.civam.org/ ; GAB : https://www.fnab.org/notre-reseau/ ; ADEAR ou ARDEAR : https://www.agriculturepaysanne.org/ARDEAR-Nouvelle-Aquitaine (de nombreux autres sites concernant cette association dans d’autres régions de France).
(2) Site de Euskal Herriko Laborantza Ganbara (EHLG) : https://ehlgbai.org/
(3) Ce paragraphe a été rédigé, entre autres, à partir de trois articles dont nous recommandons la lecture pour approfondir l’expérience : « Au Pays basque, les paysans ont créé leur chambre d’agriculture alternative ». Chloé Rebillard. 2020 (17 février). Reporterre. https://reporterre.net/Au-Pays-basque-les-paysans-ont-cree-leur-chambre-d-agriculture-alternative . « Une chambre d’agriculture alternative au Pays basque ». Noah Bergot Fondation Terre solidaire. 2025 (17 janvier). https://fondation-terresolidaire.org/entretiens/transition-ecologique-agriculture/ « Au Pays basque, une chambre d’agriculture alternative fait vaciller le modèle productiviste et polluant » Lola Keraron. Basta. 2021 (22 juin . https://basta.media/EHLG-chambre-d-agriculture-alternative-pays-basque-fromage-de-brebis-pain-Herriko
(4) Michel Berhocoirigoin, éleveur et militant basque, est décédé en 2021.
(5) Site Ici Grenoble : https://www.ici-grenoble.org/

Illustration : une petite ferme dans le bocage gâtinais deux-sévrien. Dessin : Denis Clavreul. L’enjeu pour les années à venir réside dans le maintien et la multiplication des petites fermes. Un enjeu qui semble bien peu priorisé par les habituelles chambres d’agriculture.

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