Le fiasco des méga-bassines agricoles enfin reconnu : un système qui prend l’eau (et l’argent)

Du temps, beaucoup d’énergie et d’argent gaspillés et surtout des vies mises en péril, bouleversées pour certains-es manifestants-es gravement blessés-es de Sainte Soline, sans parler des militants agressés violemment sans aucune suite judiciaire, pour enfin se rendre compte, plus de 7 années après la signature du fameux « protocole d’accord » à Niort, que non seulement les engagements agro-écologiques pris par les agriculteurs adhérents ne sont pas respectés (constat déjà dressé depuis quelque temps par le CNRS), mais également que les coûts financiers dépassent largement les prévisions.

par Pierre Grillet

Le Courrier de l’Ouest titrait le 30 août 2025 : « Bassines, le ciel s’assombrit » avec comme châpo : « Retards et explosion des coûts. Malgré la loi Duplomb, les porteurs de projet de méga-bassines sont en grande difficulté » (1)

Le gaspillage énergétique de l’agriculture industrielle dans un contexte de changement climatique, d’épuisement des ressources et de la biodiversité n’est pas viable à terme ni pertinent par rapport aux enjeux.

Des trous de plusieurs hectares en pleine terre agricole, jusqu’à 16 ha d’emprise pour la bassine de Sainte-Soline afin d’accueillir environ 700 000 m3 d’eau. Une énorme cuvette entièrement bâchée par du plastique pour en assurer l’étanchéité, avec des digues de 8 à 10 m de hauteur, six points de captage pour puiser l’eau dans les nappes phréatiques, 18 km de tuyauterie, un remplissage qui nécessitera 43 jours (24 h sur 24) de pompage… Si toutes les bassines n’ont pas les mêmes dimensions, elles nécessitent, tant pour leur construction que pour leur fonctionnement et leur entretien, d’énormes moyens techniques impliquant une importante dépense énergétique pourtant jamais calculée et des financements qui, aujourd’hui, s’avèrent hors de tout contrôle, de l’aveu même de leurs initiateurs. En plus de celles déjà existantes, on prévoit d’en construire 16 en Deux-Sèvres, plus de 30 dans la Vienne et au moins un millier en France. Le tout pour une minorité d’agriculteurs.

Un gaspillage énergétique supplémentaire justifié pour des raisons alimentaires ?

Si de tels outils étaient indispensables pour assurer une alimentation suffisante et correcte pour la population, en assurant plus de tranquillité et de visibilité pour l’ensemble du monde agricole, il n’y aurait pas lieu de s’y opposer. C’est ce que tente d’imposer dans le public ce slogan cher à la FNSEA : « il faut nourrir le monde ». Mais cet argumentaire est totalement remis en cause. Quelques rappels : Hilal Elver, rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation auprès des Nations unies entre 2014 et 2020, précise qu’au niveau mondial, on produit de la nourriture pour plus de douze milliards de gens, soit plus de 170 % de ce qui est nécessaire. Pourtant, selon l’ONU, plus de 800 millions de personnes dans le monde ne mangent pas à leur faim. « Un chiffre qui grimpe de façon continue depuis 2015 » (2). Selon les propres données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de 70 % de ces personnes sont des petits paysans qui sont, pour beaucoup, empêchés de produire. Jean Ziegler parle d’un « ordre cannibale du capitalisme monopolistique dont sont victimes des centaines de millions de personnes. Aujourd’hui, un enfant qui meurt de faim est assassiné par cet ordre cannibale du monde » (3).

Pour l’économiste et sociologue Sylvia Perez Vitoria, « si les 2/3 de celles et ceux qui ont faim sont des petits paysans, n’est-ce pas en leur laissant les moyens de produire leur nourriture -et celle de leurs voisins – qu’on règle une grande partie du problème ? » (4)

En 2025, des chercheurs estiment que « l’agriculture mondiale aurait produit suffisamment de calories en 2020 pour nourrir 15 milliards de personnes » selon un article publié par The New Scientist.

Selon Terre de liens, la France a un potentiel nourricier de 130 %. Les 28 millions d’hectares de terres agricoles sont largement suffisantes pour nourrir la population française et même plus, précise l’association. « Mais en dédiant 43 % de ses terres à l’exportation, la France hypothèque sa souveraineté alimentaire » (5). Redonner aux territoires la possibilité d’aller vers plus d’autonomie alimentaire n’empêcherait nullement les échanges et l’entre aide nécessaire entre les régions et les pays.

La Confédération paysanne participe avec plus d’une centaine de collectifs à la lutte contre les méga-bassines. Non, Madame Dénoues, il ne s’agit pas d’un « petit groupe de contestataires ». Ici lors d’une manifestation contre un projet de bassines à Saint-Sauvent (86) dans la Vienne © Pierre Grillet

Il n’y a nullement besoin d’encourager le productivisme pour que chacun.e mange à sa faim. L’argumentaire tant répété de la FNSEA « il faut nourrir le monde » ne tient pas au regard de l’ensemble des constats. Il est temps de changer totalement d’orientation, interdire l’accaparement des terres, remettre totalement en cause les immenses plantations détenues par des multinationales au détriment des paysans locaux, favoriser les petites fermes, bouleverser en profondeur un système économique qui crée les problèmes et privilégier une alimentation de qualité peu gourmande en besoins énergétiques. L’outil « méga-bassine » n’a pas sa place dans un tel contexte.

Un gaspillage énergétique doublé d’un gaspillage financier

C’est sur le plan financier que les responsables de la gestion de ces méga-bassines et surtout les agriculteurs adhérents qui reçoivent des factures de plus en plus élevées commencent sérieusement à douter. Les 16 bassines projetées en Deux-Sèvres devraient coûter plus de 76 millions d’euros (selon la Coop de l’eau en 2023, qu’en est-il en 2025 ?) dont 70 % devraient être assurés par de l’argent public. Tous ces efforts pour très peu d’exploitants agricoles : sur les 1900 exploitations du territoire, seulement 5 % sont directement concernées par ce projet.

Des augmentations dans tous les domaines

Un agriculteur témoigne dans le Courrier de l’Ouest : « le m3 d’eau ne coûtait pas cher au départ. Depuis qu’on a signé avec la Coop de l’eau, le prix a été multiplié par deux et même par 4 pour ceux qui sont directement raccordés aux réserves ». Le prix de l’électricité tout comme le prix des constructions (travaux) ont, ces dernières années, explosé. Mais la Coop de l’eau met en avant un argument phare destiné à la dédouaner de toute responsabilité : les coûts pour la protection des bassines auraient largement augmenté en raison des contestations : 600 000 euros pour sécuriser la bassine de Sainte-Soline ainsi que les retards importants accumulés en raison des multiples recours judiciaires qui ne font qu’amplifier le phénomène. Ce qui permet à la présidente du département, Coralie Dénoues, d’affirmer de manière péremptoire que sans la présence « d’un petit groupe de contestataires, la Coop de l’eau se porterait à merveille ». Balayant au passage les mobilisations massives de ces dernières années avec plus de 30 000 personnes réunies à Sainte-Soline en 2023, dont de nombreux agriculteurs, plus de 10 000 en 2024 au Village de l’eau à Melle, à chaque fois malgré les multiples intimidations policières et gouvernementales. Balayant également les nombreux avis défavorables émanant des milieux scientifiques, sans parler des décisions de justice, pour beaucoup favorables aux opposants. À aucun moment, cette « élue » (avec moins de 24 % des voix des inscrits, certes légal mais de quoi rester humble), ne se pose la question essentielle : pourquoi tant d’opposition face à ces projets ? N’est-ce pas le résultat d’une volonté de passage en force sans consulter les citoyen.nes pourtant toutes et tous concernés ?

Madame Dénoues devrait également s’inquiéter de la situation financière catastrophique de la Compagnie d’aménagement des eaux des Deux Sèvres (CAEDS), société d’économie mixte basée à l’Hôtel du département. Le 13 mai 2025, dans La Nouvelle République, le journaliste Yves Revert révélait une telle situation : « En 2023, cette société – CAEDS – mêlant capitaux publics et privés a essuyé 146.260 euros de pertes pour 184.228 euros de chiffre d’affaires » (6). Une remise en cause du modèle des bassines ?  La CAEDS est, entre autres, gestionnaire des bassines déjà existantes sur le bassin de la Boutonne dans le sud des Deux-Sèvres. Selon l’Apieee (Association de protection, d’information et d’études de l’eau et de son environnement), en 2024, le déficit de la CAEDS pourrait atteindre les 70.000 euros. Aux yeux de l’association, c’est bien la preuve que « le modèle économique n’est pas viable » : « Qui va payer pour ces déficits ? Les irrigants, le consommateur d’eau potable ? Les contribuables ? ». Le journaliste interroge également le département dont la réponse est saisissante : « Cette situation provient du modèle de financement de l’exploitation des réserves de substitution, qui n’a pas prévu de faire évoluer le tarif de l’eau en fonction de l’évolution des coûts d’exploitation des réserves. » Or, si le prix de l’eau n’évolue pas, ce n’est pas le cas des dépenses, avec la hausse du prix de l’électricité en 2022 et 2023. Autre facteur : « des travaux de réparation et de remplacement de matériels dans des proportions en forte augmentation. Résultat : Depuis trois ans, les recettes liées à la vente d’eau aux irrigants ne couvrent pas les dépenses d’exploitation prises en charge par la CAEDS. ». Une belle démonstration de l’incohérence financière des méga-bassines !

Résultat : la confirmation de la démesure et de l’échec de tels outils

Le Courrier de l’Ouest précise que de plus en plus d’agriculteurs refusent de payer leurs factures d’eau auprès de la Coop et certains « claquent la porte préférant acter la déroute de la coopérative ». Un avenir totalement opaque : nul ne sait s’il sera possible de remplir les bassines chaque hiver. Des périodes de sécheresse prolongées pourraient remettre en cause totalement ce principe appelé à tort par ses responsables « substitution ». Ce qui aggraverait encore les déboires financiers des porteurs de ces aménagements et des agriculteurs qui y sont liés. Nul ne sait quelles seront les fluctuations des prix de l’électricité, nul ne sait quels seront les coûts réels d’entretien… Pour tenter de se renflouer, la Coop de l’eau, dont les charges sont passées en deux ans de 2,6 millions d’euros en 2022 à 6,6 millions en 2024, sollicite une fois encore des financements publics supplémentaires, cette fois-ci auprès du département des Deux-Sèvres. Coralie Dénoues, très proche de la FNSEA, y est très sensible et se dit prête à étudier la question (7). À l’heure où la présidente départementale ne cesse de proclamer la nécessité de faire des économies et de réduire drastiquement les subventions à des associations pourtant reconnues d’utilité comme le Planning familial et bien d’autres, engager le département dans une telle aberration serait faire preuve d’un total mépris vis-à-vis de la population.

Coralie Dénoues déclare dans le journal exiger auprès des agriculteurs le respect des engagements pris dans le protocole d’accord signé le 18 décembre 2018 pour prétendre à une aide départementale. Des engagements pourtant très faibles et qui ont, de toutes façons, « tous été piétinés depuis 6 ans », lui répond la députée Delphine Batho qui ne voit pas pourquoi ceux-ci seraient aujourd’hui, comme par un coup de baguette magique, mieux pris en compte (8). La présidente départementale précise que « les réserves doivent être mises en service pour en mesurer l’intérêt ». Autrement dit, qu’importent les contestations citoyennes, les avis des scientifiques et de nombreux agriculteurs, prenons le risque du désastre financier, énergétique, biologique et agricole, on verra bien après… Si ça ne marche pas, il suffira de les reboucher ? Mais qui pour s’en charger ? Qui pour financer ? Qui pour réparer les dégâts faits au vivant et au non vivant ?
Dans son communiqué de presse du 29 août 2025, le collectif Bassines non merci résume ainsi la situation : « Ce naufrage n’est pas une erreur de gestion : c’est l’échec total d’un système fondé sur l’accaparement d’une ressource commune par une minorité, au détriment du vivant, de l’agriculture paysanne durable et de la justice sociale » (9). La voie de l’agroécologie ne peut en aucun cas passer par de tels aménagements, bien au contraire.

Rappelons également que le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) prévoyait lors des élections législatives de juin/juillet 2024 un moratoire sur les bassines. Alors que ce moratoire aurait dû être démocratiquement décidé, le NFP étant arrivé en tête, ce sont les grands perdants de ces élections qui ont fait passer une loi destinée, entre autres, à faciliter la multiplication de ce type d’ouvrages dans un contexte d’austérité accrue prônée par le gouvernement. Une contradiction supplémentaire et surtout un formidable pied de nez démocratique. Pour combien de temps encore ?

Relecture : Marie-Do Couturier

(1) Fabien Paillot (AFP). 30 août 2025. « Bassines : pourquoi ça coince ». Le Courrier de l’Ouest. https://www.ouest-france.fr/environnement/eau/mega-bassine/les-promoteurs-des-reserves-deau-font-face-a-des-difficultes-financieres-90747bfa-841d-11f0-8fe4-89fec8244e4a
Lire également :https://reporterre.net/Le-modele-economique-des-megabassines-du-Poitou-prend-l-eau
(2) D’après Le Monde du 15 juillet 2019 : « Pour la troisième année d’affilée, la faim progresse dans le monde », Mathilde Gérard. https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/07/15/pour-la-troisieme-annee-consecutive-la-faim-progresse-dans-le-monde_5489687_3244.html
(3)  « Capitalisme, faim dans le monde et révolution », interview de Jean Ziegler par Aude Lancelin, Le Média, 16 avril 2018. https://youtu.be/dS78lfBXkeg
(4) Silvia Perez-Vitoria. 2015. Manifeste pour un XXIe siècle paysan. Editions Actes Sud.
(5) Terre de liens. 2025. « Souveraineté alimentaire : un scandale made in France ». https://terredeliens.org/national/actu/souverainet%C3%A9-alimentaire-un-scandale-made-in-france-17-02-2025/
(6) Yves Revert (2015, 13/05). « Deux-Sèvres : pourquoi les finances de la Compagnie d’aménagement des eaux sont dans le rouge ? » La Nouvelle République. https://www.lanouvellerepublique.fr/niort/deux-sevres-pourquoi-les-finances-de-la-compagnie-d-amenagement-des-eaux-sont-dans-le-rouge-1747151778
(7) Le Président du Conseil Départemental alors en poste entre 2015 et 2020, Gilbert Favreau, lorsque les discussions autour des bassines étaient déjà vives, avait refusé tout débat sur le sujet des stockages d’eau au sein de ce Conseil, estimant, d’après un journaliste de la Nouvelle République, que ce n’était pas de la compétence de l’Assemblée ! Si ce n’est pas de la compétence de l’Assemblée, de quel droit Madame Dénoues envisage-t-elle de participer au financement de ces bassines ?
(8) Alors que le collectif Bassines non merci avait été expulsé des discussions autour du protocole d’accord en 2018 par la préfète, que le Groupe ornithologique des Deux Sèvres avait refusé de signer l’accord, Delphine Batho avait alors soutenu, en tant que députée, un protocole pourtant très peu exigeant. Deux années plus tard, elle retirait son soutien, estimant que les engagements écrits du protocole n’étaient pas respectés.
(9) Bassines non merci  https://www.bassinesnonmerci.fr/

Photo du haut :  lors de la manifestation réunissant plusieurs milliers de personnes à La Rochelle en juillet 2024 pour dénoncer le lien entre l’irrigation aidée par les méga-bassines et les activités exportatrices du port de La Pallice © Bassines non merci.

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