Membre de longue date de notre association, Santiago Vilanova a grandement facilité le voyage de presse à Barcelone qui, du 18 au 22 mai 2025, a permis à une délégation de JNE d’étudier les problèmes posés par les sécheresses à répétition et l’explosion de la demande en eau. Notre confrère a, de fait, déroulé sa carrière dans la capitale catalane où il a rencontré nombre d’acteurs de la vie publique. Un riche parcours professionnel doublé d’une constante mobilisation pour la cause environnementale.
par Jean-Claude Noyé
Ce lundi 19 mai 2025, lorsqu’il accueille notre délégation de journalistes JNE au Col-legi de Périodistes de Catalunya (Association des journalistes de Catalogne), à Barcelone, Santiago Vilanova s’est mis sur son 31 : costume élégant, cravate de circonstance, mocassins de rigueur. « C’est que cet après-midi, j’ai rendez-vous au ministère de la Culture pour remettre mes archives, soit 500 dossiers accumulés depuis cinquante-cinq ans au fil de mes luttes militantes et de mes enquêtes-investigations pour l’écologie », précise-t-il en français avec un accent tout à la fois chantant et rocailleux.
Militantisme et journalisme, l’homme n’a jamais établi de frontière étanche entre les deux. Sa première bagarre ? « J’ai grandi à Olot, une ville catalane de la Garrotxa, région considérée comme la zone volcanique la plus importante d’Espagne et dont une partie est devenue ensuite un parc naturel. En 1970, nous avons lutté avec succès contre les projets d’exploitations qui l’aurait défigurée », se félicite-t-il. Et d’expliquer : « Les plans de développement des dernières années du franquisme menaçaient la côte méditerranéenne, avec de grands projets urbains, l’installation de réacteurs nucléaires à Tarragone, la pollution des rivières, la prospection d’uranium… »

En réaction, des dizaines de collectifs se sont regroupés dans le Moviment Ecologista Català, et Santiago a constitué le parti Alternativa Verda en 1983. C’est pour soutenir ce mouvement de défense du territoire qu’il fonde également le premier magazine environnemental catalan, Userda. Il en sera un temps le directeur. Comme il dirigera le Diario de Barcelona, fondé en 1792, pendant la période autogérée (1983-1984) de ce quotidien disparu faute de moyens et du soutien des institutions. « Nous n’avions aucune recette publicitaire. Et pour cause, notre ligne éditoriale était très mobilisée sur les luttes écologistes et sociétales, avec un fort engagement féministe », ironise-t-il aujourd’hui. Non sans se féliciter que les rubriques environnementales aient fini, bon an mal an, par trouver leur espace dans la presse locale.
Des JNE à la Fédération internationale des journalistes de l’environnement (FIJE)
Pour pousser dans ce sens, notre collègue crée en 1977 le Collectif des journalistes écologistes de Catalogne. Puis rejoint, à la charnière des années 70-80, les JNE. Avec notre association, Santiago participe en 1992 au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, « l’occasion de faire une passionnante incursion dans la forêt amazonienne, et le bassin du Xingú avec Louisette Gouverne, Claude-Marie Vadrot et l’inoubliable François Terrasson ». Il voyage aussi en Sibérie et au lac Baïkal. Et invitera, entre autres collègues JNE, à Barcelone, dans le cadre de l’association Una Sola terra (Only One Earth) co-fondée par lui en 1996, outre Claude-Marie Vadrot, Roland de Miller, Yves Paccalet et Hervé Kempf. A son initiative, seront également du voyage, dans la cité de Gaudi et de Miró, des penseurs, scientifiques et militants de renom comme René Dumont, Haroun Tazieff, Serge Latouche, Geneviève Azam, Vandana Shiva, Edward Goldsmith, Ricardo Petrella, Wangari Maathai, René Passet, Lee Durrell et Zhores A. Medvedev.
Entre autres moments marquants, Santiago se souvient aussi du congrès au siège de l’Unesco, à Paris, en 1994, qui a vu naître la Fédération internationale des journalistes de l’environnement, ainsi que de la réunion organisée en 1995 par cette instance au MIT (Massachusetts Institue of Technology) de Boston : « Nous avons fait une excursion mémorable à l’étang de Walden qui a inspiré Henry David Thoreau ! ». Ou, encore, du voyage à Rapa Nui (île de Pâques), en 2001, avec sa femme Pilar Sentís pour réaliser une étude sur l’application des énergies renouvelables.
Journalisme et militantisme, étroitement imbriqués
Homme de plume, outre sa collaboration à de nombreux journaux – en dehors de ceux déjà évoqués, citons La Vanguardia, un quotidien créé en 1881, la revue Actual et le Monde Diplomatique, édition chilienne, Santiago est l’auteur de plus d’une vingtaine de livres. Dont Le Combat Écologique en Catalogne et L’Urgence Climatique en Catalogne, Révolution ou effondrement. Sans oublier trois opus consacrés aux accidents nucléaires de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima, au terme d’investigations au long cours. Ou quatre romans, dont l’un consacré au peintre Paul Gauguin. Activiste, il a encore été en France aux côtés des militants anti-nucléaires à Creys-Malville, a empêché la construction de plusieurs réacteurs en Catalogne, s’est engagé dans des organismes publics tels que le Conseil municipal pour l’environnement et la durabilité de la mairie de Barcelone. Et a dirigé la liste Els Verds-Alternativa Verda aux élections municipales de cette ville en 2023. « Notre parti n’a jamais obtenu d’élus, la gauche classique et productiviste a tout fait pour empêcher son émergence. Nous n’avons pas pu mobiliser les fonds nécessaires pour mener efficacement les campagnes électorales. En réaction, nous avons cherché des alliances avec les partis indépendantistes qui ont mobilisé jusqu’à deux millions de manifestants dans les rues de Barcelone ! Mais ce fut une erreur stratégique d’exiger l’indépendance de la Catalogne unilatéralement et trop vite. Sans compter que nous n’avons pas pu faire valoir nos revendications d’ écologistes, jugées irrecevables par ces partis restés eux aussi prisonniers de la logique croissanciste. »
Serait-il amer ? «Plutôt lucide », nuance-t-il. Santiago déplore, certes, « l’alliance digitale, pétrolière et nucléaire », un «électro-fascisme» articulé par les GAFAM et les fournisseurs d’énergie, au rang desquels les nucléocrates (contre lesquels, on l’aura compris, il s’est toujours battu). Il s’alarme de l’énorme hausse de consommation électrique causée par l’intelligence artificielle générique. S’inquiète du greenwashing à tout va, véritable stratégie de détournement pour ne pas opérer les ruptures qui s’imposent. S’offusque des guerres qui se multiplient ici et là, comme autant d’écocides non jugés et d’actes de barbarie humaine à peine déguisés. Mais, tempère-t-il, « il ne faut pas renoncer à créer une alliance environnementale mondiale pour une nouvelle gouvernance en vue de la transition écologique ». En somme, une internationale verte dont l’activation suppose que les partis écologistes redéfinissent leur stratégie. Et d’appeler à la création d’un tribunal pénal international pour l’environnement, en faisant valoir qu’il y a en ce moment 1600 procès environnementaux dans le monde. Ou de se réjouir de la mobilisation des jeunes. Tels les deux activistes que nous avons, grâce à lui, rencontré au Col-legi de Périodistes de Catalunya. L’un militant au sein de la plateforme militante Aigua és Vida (L’eau c’est la vie). L’autre engagé avec Ecologistes en Acció, l’antenne catalane d’Ecologistas en Acción, une confédération qui regroupe plus de 300 groupes écologistes répartis dans toute l’Espagne. Son désir ? « Que, comme dans les Soulèvements de la Terre, ces jeunes activistes, très déterminés, et les militants de ma génération, solidement aguerris, s’allient pour faire front commun ».

Illustration avec son nouveau combat : résidant aujourd’hui à Sant Feliu de Guixols, sur la Costa Brava, Santiago n’accepte pas que ce bord de mer, longtemps préservé, subisse à son tour les assauts du sur-tourisme. Et, entre l’écriture d’un nouveau livre, deux touches de pinceaux ou la répétition d’un morceau d’opéra – ses amis disent de lui qu’il est un peintre de qualité doté, en outre, d’une belle voix – cet opposant de la première heure à la dévastation du monde prête main forte à l’association SOS Costa Brava. Militant un jour, militant toujours …
Photo du haut : Santiago Vilanova lors du voyage de presse des JNE à Barcelone en mai 2025 @ Mélissande Bry