par Olivier Nouaillas
C’est un vent mauvais qui souffle d’outre-Atlantique, à tel point que certains utilisent même un terme anglo-saxon pour le décrire : le « backlash » écologique. En bon français, le recul écologique. Certes, il n’a rien de comparable avec l’outrance et la violence réactionnaire du trumpisme qui emporte tout sur son passage : de la dénonciation de l’Accord de Paris sur le climat à la remise en question de l’interdiction de l’exploration minière des grands fonds marins en passant par l’attaque frontale contre les faits scientifiques et tout ce qui touche de près ou de loin à l’environnement (des énergies renouvelables à gestion des parcs nationaux américains, en passant par … les pailles en papier et la taille des pommeaux de douche !).
Mais tout de même, avec la remise en question du Green New Deal (Pacte Vert) sur l’agriculture et des objectifs européens de réduction des gaz à effet de serre, une petite musique insidieuse est en train de s’installer en Europe : il y aurait trop de normes environnementales. Ce que certains appellent même, dans un raccourci démagogique, « l’écologie punitive ». D’où cette tentation, notamment en France en période de recherches d’économies budgétaires, de remettre en question un certain nombre d’acquis environnementaux, mais aussi de financements liés à la transition écologique.
En fait, tout s’est cristallisé avec le mouvement agricole du début de l’année 2024. Rappelez-vous : à cette époque, un peu partout en France, des agriculteurs bloquent les routes avec leurs tracteurs, pour faire part à la fois de leur malêtre et surtout de leurs problèmes de revenus, réels notamment chez les éleveurs. Le mouvement est particulièrement suivi en Occitanie avec un blocage de l’autoroute A64 près de Toulouse par des agriculteurs menés par Jérôme Bayle, en marge des organisations syndicales agricoles. Nouvellement nommé Premier ministre, Gabriel Attal va se rendre dans la ferme de Jérôme Bayle et mettre en place une belle séance de communication. Sur fond de bottes de paille, il annonce plusieurs mesures en faveur des agriculteurs, tout en déplaçant de façon subtile la question des revenus vers un problème de … normes ! Avec cette phrase qui donne le la de l’action gouvernementale depuis : « il faut déverrouiller, libérer, simplifier et laisser nos agriculteurs respirer. On va lancer un choc de simplification ». La FNSEA, mais aussi la Coordination Rurale, sa concurrente encore plus à droite, s’engouffrent toutes les deux dans la brèche : les normes environnementales (de l’interdiction des pesticides et des néonicotinoïdes à la réglementation de la taille des haies), voilà l’ennemi ! Cela alors que l’effondrement de la biodiversité (oiseaux, abeilles, insectes…) prend, chaque jour, des proportions de plus en plus inquiétantes.
Ce mouvement anti-normes va culminer en novembre 2024, au moment des élections dans les chambres d’agriculture, avec la mise en cause des missions des agents de l’ Office français de la biodiversité (OFB), la police de l’environnement. Avec notamment le saccage des locaux de l’OFB à Guéret (en Creuse) par des membres de la Coordination Rurale. Et bien sûr, des hommes politiques démagogues, de Laurent Wauquiez (LR) à Eric Ciotti (UDR), vont aller jusqu’à réclamer la dissolution de l’OFB. Alors que son travail quotidien – surveillance de la qualité de l’eau, protection de la biodiversité, régulation de la chasse – est essentiel. Même le centriste François Bayrou, alors nommé Premier ministre, ira jusqu’à mettre en cause le comportement « humiliant » des agents de l’OFB, tout cela parce qu’ils portent une arme (comme les gendarmes et les policiers). Ce qui entraînera en janvier 2025, une grève intersyndicale et largement suivie des 3.000 agents de l’OFB, dont 1.700 inspecteurs de l’environnement, écoeurés d’être désignés comme les boucs émissaires d’une crise agricole due davantage au système productiviste et aux accords de libre échange qu’aux normes environnementales. Seule, et c’est à son honneur, la Confédération paysanne a apporté son soutien et sa solidarité avec les agents de l’OFB.
Mais ce mouvement de recul écologique, même s’il a pris sa source dans le milieu agricole – un terrain fertile tant il est gangréné depuis des années par des lobbys puissants – ne s’arrête pas là. Cherchant à faire des économies (20 milliards d’euros pour Michel Barnier, 40 milliards maintenant pour François Bayrou), les pouvoirs publics regardent, comme par hasard, en priorité du côté des crédits affectés à la transition écologique comme Ma prim’ rénov, celle également pour l’achat de véhicules électriques et surtout les sommes allouées au fonds vert pour le climat, toutes les trois diminuées. Plus inquiétant encore, trois agences de l’Etat spécialisées dans la recherche et l’action écologique – l’ADEME, l’ANSES et l’Agence Bio – sont menacées d’être sinon supprimées tout du moins amputées de leurs moyens. De plus, la mise en place de la loi Zéro artificialisation nette (ZAN) est vivement contestée par certains maires, tandis que la réglementation sur les Zones à faibles émissions (ZFE) – qui pose, il est vrai, de vrais problèmes d’accès à la mobilité pour les classes moyennes et populaires – se réduit à quelques villes comme Lyon et Paris. Et pour finir ce tableau préoccupant, la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie vient d’être reportée « à la fin de l’été » par François Bayrou, alors que la planification écologique, grande promesse du second quinquennat d’Emmanuel Macron, est quasiment à l’arrêt. Cela tandis que la diminution des gaz à effet de serre connaît un ralentissement (-1,8 % en 2024 contre -5,8 % en 2023 et 2022) alors qu’il faudrait accélérer pour tenir les engagements pris par la France, soit – 40 % de GES à l’horizon 2030.
Faut-il pour autant en déduire que le recul écologique enclenché par les trois derniers gouvernements d’Emmanuel Macron est irréversible et surtout qu’il répondrait à une demande de l’opinion publique française ? Ce n’est pas l’avis de Parlons Climat, une association qui s’est donnée pour but de mobiliser de nouveaux publics en faveur de la transition écologique. Dans un article récent consacré précisément au backlash écologique, elle met en garde contre « une prophétie auto-réalisatrice ». Pour Parlons Climat, la grande vague anti-écologique venue des Etats-Unis a surtout contaminé les décideurs politiques, mais pas encore la population. Sondages et enquêtes de l’ADEME à l’appui, cette étude montre à la fois que l’importance portée à la question de l’environnement est stable (elle fait toujours partie des cinq enjeux principaux pour l’avenir du pays) et que le soutien aux politiques publiques de lutte contre le changement climatique reste fort : 64 % de soutien en 2024, contre 58 % en 2018. Peut-être que la perspective d’une France à + 4° C d’ici la fin du siècle, un scénario sur lequel a beaucoup travaillé et communiqué Météo-France, infuse lentement les esprits. Bref, faire du Trump en France ne serait pas si payant que cela. Avis aux populistes démagogues…
En haut : couverture d’une brochure d’information de l’OFB (Office français de la biodiversité)