Projet Cigéo de site d’enfouissement des déchets nucléaires : les craintes des habitants

Nous avons rencontré des membres de la Coordination Stop-Cigéo à la Maison de la Résistance de Bure, qui nous ont fait part de leurs actions dans ce territoire sous haute surveillance.

par Myriam Goldminc avec Suzanne Körösi
Photos Antoine Bonfils

« Depuis les années 1990, l’outil juridique fait partie des moyens de lutte pour empêcher un passage en force de l’Andra. Par exemple, l’Andra, se croyant en terrain conquis, avait commencé les travaux dans le bois Lejus sans autorisation et sans études d’impact. Elle tentait ainsi une fois de plus de mettre œuvre la politique du fait accompli. Nous continuons cette bataille juridique contre Cigéo avec 3 avocats, 2 organisations associatives et syndicales ainsi qu’une trentaine d’habitants de la zone concernée. Nous avons déposé 264 pages de recours contre la déclaration d’utilité publique obtenue en juillet 2022 malgré l’avis critique de l’ Autorité environnementale et de nombreux avis défavorables. » Cette même instance recommandait de limiter la démographie autour de Bure, voire de cesser tout développement économique en vue de transformer ce secteur en une zone protégée sans présence humaine à terme, en cause principalement le risque d’exposition à la radioactivité de la population à court et à long terme. Un avis important, mais qui reste purement consultatif et n’a pas suscité de réflexion plus approfondie de la part des instances gouvernementales ni par l’Andra qui ne souhaite pour l’instant pas s’exprimer sur ces questions avant d’avoir obtenu le feu vert pour la construction du site.

Les 80 habitants du village de Bure pourraient-ils continuer à y vivre si le site d’enfouissement des déchets nucléaires voyait le jour ?
 © Antoine Bonfils

Parmi les questions que soulève la population, celles du devenir des terres agricoles suscitent de nombreuses inquiétudes. Ainsi, la surenchère du prix à l’hectare qui a doublé, passant de 2500 euros à 5000 euros, et nourrit la menace d’une expropriation à moyen terme pour Cigéo. Près de 1000 hectares de terres agricoles et 2000 hectares de forêts sont déjà passés dans le portefeuille de l’Andra. Les questions liées à la radioactivité, le prélèvement de la ressource en eau, mettent en péril l’avenir de l’élevage bovin et de la production alimentaire locale : maraîchage , viticulture, agro-tourisme… Sans oublier la perte de la biodiversité par la bétonisation du milieu, les transports par camions. Cigéo pourrait nécessiter un à deux convois d’une dizaine de colis de déchets radioactifs par semaine. Un trafic dangereux puisqu’il risquerait d’exposer la population à la radioactivité en cas de chute et de collision. De plus, ils voyageront sur la même voie ferroviaire qu’empruntent les usagers.

Le futur lieu d’implantation du projet et de Liaison Inter Site (LIS) © Antoine Bonfils

Des inquiétudes importantes se focalisent sur des faits que le dossier de l’Andra passe sous silence, alors qu’ils représentent des risques majeurs. Est évoqué celui d’une explosion sur le site qui pourrait être due au dépassement du taux d’hydrogène dans le sol ; ensuite, de possibles incendies provoqués par un « effet four », conséquence de la présence de déchets inflammables ; et enfin, l’inquiétude numéro un, « l’affaire géothermie ». En 2003, une expertise indépendante démontre que le sit eCigéo est sur une ressource géothermique d’une surface comparable à celle du Bassin parisien, située à une profondeur de 2000 mètres. Selon les géologues, sa présence en soi devrait exclure le stockage des déchets car les générations futures pourraient être tentées de réaliser des forages pour avoir accès à cette ressource. Jusqu’à 2013, l’Andra nie l’existence de cette ressource géothermique, puis, quand elle finit par admettre sa réalité, dix ans plus tard, elle continue à nier le danger qu’elle représente. Il faut ajouter à cela des craintes locales concernant les procédures de déclaration d’utilité publique (DUP) et d’opération d’intérêt national (OIN) qui vont permettre les expropriations et fortement restreindre la liberté d’entreprendre et de développer quoi que ce soit sur la zone de 3695 hectares concernés par Cigéo.

Cigéo, un site industriel en pleine campagne © Antoine Bonfils

Une population sous contrôle policier

La surveillance policière s’est accrue ces dernières années, soulignent nos intervenants et intervenantes. Depuis 2017, des moyens considérables pour lutter contre le terrorisme ont été mis en place : mise sur écoutes, mises en examen pour associations de malfaiteurs (déboutées l’année dernière par la justice). Les villageois et villageoises du secteur continuent régulièrement à être confrontés à des contrôles trop fréquents autour du laboratoire et parfois plusieurs fois par jour par les gendarmes qui régulièrement sont mutés.

Pour sécuriser les lieux ou mieux contrôler toute forme d’opposition, une nouvelle gendarmerie va voir le jour à Gondrecourt-le Château, non loin de Bure, ainsi que la création de bâtiments dans les locaux de l’Andra pour accueillir 80 policiers dans la décennie à venir… Coût de l’opération : 10 millions d’euros. Bure et Cigéo, un laboratoire de notre démocratie.

Le village de Mandres-en-Barrois serait aussi impacté par la mise en place du site d’enfouissement à ses portes © Antoine Bonfils

 

Pour en savoir plus
Cliquez ici pour lire l’article réalisé par Hervé Kempf sur le site de Reporterre avec les photos d’Antoine Bonfils
https://www.cigeo.gouv.fr

Merci aux militants de la Coordination Stop-Cigéo pour leur accueil ainsi qu’à Audrey Guillemenet, chargée de communication pour le projet Cigéo, Patrice Torres, directeur du Centre et Emilia Huret, géologue cheffe du centre de recherches.

Photo du haut : la Maison de la Résistance accueille les militants anti-nucléaires à Bure © Antoine Bonfils