Entretien avec Céline Pessis sur son livre consacré au mouvement Survivre et Vivre

Céline Pessis, qui travaille entre autres sur la conflictualité socio-écologique dans la France de la seconde moitié du XXe siècle, vient de rééditer son ouvrage qui porte sur le journal et le mouvement du même nom : Survivre et Vivre.

par Jocelyn Peyret

La revue, qui connut 19 numéros entre 1970 et 1975, se situe à la frontière de l’écologie politique militante et des mouvements de scientifiques critiques.

Céline Pessis nous explique qu’aux origines de Survivre et Vivre, « il y a un des plus grands mathématiciens du XXe siècle, Alexandre Grothendieck (NDLR : mort en 2014), qui aujourd’hui revient sur le devant de la scène ».

Le contexte est celui de l’après Mai 68, il y a une « réflexion sur l’engagement de la science au service de ce qu’on appelle le complexe scientifico-militaro-industriel qui va faire voler en éclats cette prétendue neutralité de la science. Rapidement, au-delà des inquiétudes par rapport à une mauvaise utilisation du savoir scientifique, on a une interrogation qui se déplace sur les activités de production des connaissances en elles-mêmes, mais aussi sur les financements de la recherche, les orientations et l’organisation très hiérarchisée des laboratoires ».

A travers la revue, il y a toute « une réflexion sur l’expertise scientifique qui va être développée par des scientifiques qui refusent de se mettre dans une situation de contre-expert, qui refusent de confisquer un débat public et qui préfèrent partir de la façon dont les problèmes se posent pour tout un chacun, de partir du vécu des gens ».

Pour Céline Pessis, « le mouvement, en étant porteur d’une approche critique du productivisme et de la société de consommation, devient une plaque tournante de la réflexion écologique qui émerge à ce moment là ». En effet, à travers la multiplication de groupes locaux sera menée « une diversité de combats contre les grands projets d’aménagement ou dans les premiers réseaux de subversion alimentaire pour remettre en relation des producteurs et des consommateurs ».

Au début de la première période, en 1970, que Céline Pessis nomme « grande crise évolutionniste », le mouvement s’appelle Survivre. Il est question de la survie de l’humanité et de la planète, avec une critique des liens entre sciences et armées et plus largement des technosciences issus de la Seconde Guerre mondiale, en particulier le nucléaire et la pétrochimie.

Puis, la deuxième période, « impérialisme scientifique et subversion culturelle », émerge dès 1971. Le mouvement va alors s’appeler Survivre et Vivre, un terme plus positif, avec une critique de la science qui va cibler l’activité scientifique comme étant impérialiste avec une dimension coloniale vis-à-vis de toutes les autres formes de savoir qui sont ignorées et souvent disqualifiées. La subversion culturelle parce que le mode d’action que propose le mouvement à ce moment là, c’est au contraire de multiplier les débats et de redistribuer la parole et le savoir à la base.

La troisième période, « écocontrôle et dissidence », c’est cette idée que « le mouvement refuse d’être un régulateur, une stabilisation du système en intégrant quelques améliorations environnementales. La dissidence est cette posture de rupture par rapport à une écologie politique qui s’institutionnalise à ce moment là avec les premiers candidats aux élections dont René Dumont en 1974. On a à la fois une critique de la récupération de l’écologie par le champ politique, mais aussi industriel, avec notamment tout un développement autour de l’antipollution dans ce milieu des années 70 par des grandes entreprises autour du traitement de l’eau, des déchets, etc, ainsi que l’émergence d’organisations hygiénistes avec des relents plus ou moins réactionnaires ».

Le mouvement refuse cet écocontrôle planétaire en accusant les militants écolos de faire le jeu des technocrates. Ceux qui vont rester à Survivre et Vivre vont plutôt verser dans ce qu’on va appeler une idéologie du désir où celui-ci est perçu comme étant créateur, libérateur alors que le mouvement a entamé une rupture avec l’écologie politique et le refus de confier les clés du pouvoir à l’Etat.

Pour aller plus loin

Survivre et vivre. Alexandre Grothendieck, objecteurs de recherche et révolution écologique, Céline Pessis – Ed. L’Echappée, 2025

www.lesautresvoixdelapresse.fr

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