La cellule investigation de Radio France (1) vient de révéler début octobre 2025 le contenu d’un rapport de la Cour des comptes particulièrement critique sur les chambres d’agriculture, ces établissements publics placés sous la tutelle de l’État.
par Pierre Grillet
Les chambres d’agriculture dominées par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – FNSEA – et la Coordination rurale – CR – sont très loin d’être des modèles dans leur fonctionnement. Elles remplissent un rôle considérable à l’échelle d’un département, d’une région, dans la continuité des pratiques agricoles industrielles néfastes alors que celles-ci sont de plus en plus dénoncées par nombre d’agriculteurs et de citoyens consommateurs.
Les chambres d’agriculture : un pouvoir et une manne considérable pour les syndicats majoritaires
« Les Chambres d’agriculture sont des établissements publics placés sous la tutelle de l’Etat et administrés par des élus issus des activités agricoles, des groupements professionnels agricoles, et des propriétaires forestiers ». Le code rural précise leur rôle : « améliorer la performance économique, sociale et environnementale » des exploitations. Elles conseillent les exploitants, proposent des prestations de formation, les informent des évolutions réglementaires. Au niveau national, Chambres d’agriculture France représente les intérêts agricoles auprès des pouvoirs publics. Bizarrement, on oublie bien souvent que parmi leurs missions, elles sont censées contribuer à la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et à la lutte contre le changement climatique. L’ensemble disposait en 2023 de 8 400 collaborateurs, pour un budget de 900 millions d’euros. Une énorme machine, financée aux trois-quarts par de l’argent public qui à la mainmise sur l’agriculture du pays.
Des dysfonctionnements régulièrement signalés par les organismes de contrôle ainsi qu’un désintérêt pour l’agro-écologie !
En 2025, selon la cellule investigation de Radio France qui a eu accès à un dossier de la Cour des comptes : depuis 2017, la Cour des comptes alerte sur de régulières « atteintes à la probité » (corruption, trafic d’influence, favoritisme…) et la prise de « décisions illégales ». Quant aux risques pour l’avenir, « ils sont généralisés, faute de normes ». « Comme cette subvention de 66 000 euros attribuée plusieurs années de suite par la chambre d’agriculture de Vendée, dominée par le syndicat FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) … à la FDSEA pour des missions jugées “peu explicites”. Autre exemple qui pose question : ces 55.000 euros fléchés vers les Jeunes agriculteurs en 2020 en Ile-de-France. Attention aux avantages abusifs, prévient la Cour. L’attribution irrégulière de subventions doit disparaître des pratiques du réseau et la tutelle doit y veiller ».
Les chambres d’agriculture sont notamment chargées de l’accompagnement de la transition agroécologique. Mais dans les faits, elles se montrent fréquemment « hostiles » à une baisse de l’utilisation des produits phytosanitaires, en s’inspirant directement des « éléments de langage » de certains syndicats agricoles, selon les constats de la Cour des comptes. Autre élément important soulevé par la Cour des comptes : est-il normal que des dirigeants de chambres continuent à exercer leur mandat et se présenter aux élections après une condamnation ? On pense alors très fort à Serge Bousquet-Cassagne (CR) qui malgré sa condamnation en 2022 pour avoir favorisé la construction illégale du barrage de Caussade, a continué à présider la chambre d’agriculture du Lot et Garonne, de même que Joseph Colombani (FNSEA), président de la Chambre d’agriculture de Haute-Corse, condamné pour escroquerie aux aides agricoles en 2023 et qui a pu se maintenir à la présidence jusqu’aux dernières élections en janvier 2025.
Tout est à revoir dans la manière dont l’agriculture est dirigée, administrée, contrôlée en France. Les citoyens non agriculteurs sont totalement écartés de telles instances alors qu’ils sont pleinement concernés par les orientations agricoles. Ces révélations de Radio France devraient servir d’alarme et inciter à des changements rapides et radicaux.
L’enquête de la cellule d’investigation de Radio France est à découvrir en cliquant ici.
Photo © Bassines non merci