par Olivier Nouaillas
Enfin ! Au milieu d’un été qui s’annonçait aussi caniculaire que désespérant, les deux millions de signatures (et ce n’est pas fini…) recueillies par la pétition contre la loi Duplomb sont à la fois une divine surprise et le signe d’un réveil écologique de la société française. Ceci alors que les mauvaises nouvelles s’accumulaient non seulement outre-Atlantique – avec tous les reculs environnementaux et climatiques promus par Donald Trump – mais aussi, dans un moindre mesure, en Europe et en France. De la remise en question du Green New Deal européen, notamment avec les objectifs de réduction des émissions des gaz à effet de serre revus à la baisse, aux coups de canifs financiers sur les différents dispositifs mis en place en France, comme MaPrimRenov’ et le Fonds vert pour la transition écologique, en passant par le remise en cause du programme Zéro artificialisation nette (ZAN) ou encore des Zones à faibles émissions (ZFE), sans oublier le moratoire voté sur l’éolien et le solaire !
Dans ce contexte régressif, la loi Duplomb, soit disant rédigée pour « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », votée le 18 juillet 2025 par l’Assemblée Nationale (316 voix pour, 223 contre), aurait pu passer comme une lettre à la poste. C’est tout le contraire qui s’est passé. Pourquoi ? Pour deux raisons essentielles. La première est assez simple : « trop, c’est trop ». Car la loi Duplomb, qui porte bien son nom, est un peu la goutte de poison qui a fait déborder le vase de l’agriculture industrielle et intensive. Car, rédigé par un sénateur républicain, producteur de lait dans la Haute-Loire et membre influent de la FNSEA, elle est un concentré de tout ce qu’il faut ne pas faire en matière d’agriculture. Et comme le dit fort justement la Confédération Paysanne, la loi Duplomb « ne répond pas aux attentes de la majorités des paysan-nes mais bien aux seuls intérêts de l’agro-industrie ». Pas seulement parce qu’elle autorise la réintroduction de l’acétamipride, un néonicotinoïde non seulement toxique pour les abeilles, mais aussi dangereux pour la santé humaine comme l’ont estimé 22 sociétés savantes médicales et la Ligue contre le cancer. Mais aussi parce que la loi Duplomb relève les seuils d’enquête publique pour les fermes-usines alors que celles-ci sont directement responsables de la pollution de l’eau et de la prolifération des algues vertes en Bretagne et ailleurs. La loi Duplomb ose même déclarer « d’intérêt général majeur » la création de méga-bassines, alors qu’il s’agit au contraire pour tous les hydrologues d’une maladaptation au changement climatique, dangereuse pour les écosystèmes, une voie ouverte vers la privatisation d’un bien commun, qui va devenir de plus en plus précieux et rare. Enfin, et c’est sans doute le plus grave, un décret, pris le jour du vote de la loi Duplomb met potentiellement l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) sous la coupe du ministère de l’Agriculture. Cela alors que son indépendance vis-à-vis de tous les lobbys, notamment agricoles, est indispensable à sa mission d’expertise scientifique indépendante. Une remise en cause inédite en France et qui s’inscrit dans le mouvement anti-science inspiré par le trumpisme.
La deuxième raison du succès de la pétition contre la loi Duplomb est son côté fédérateur, porté par des voix nouvelles, non partisanes, au delà des cercles habituels des ONG et des milieux écologistes. Trois femmes, très diverses, ont joué un rôle essentiel dans cette mobilisation hors-norme.
D’abord Delphine Batho, 52 ans, députée écologiste des Deux-Sèvres, ancienne ministre de l’Environnement sous le quinquennat de François Hollande, qui, par un discours d’une grande tenue, lors du vote de la loi Duplomb, a pris le soin de s’adresser à l’ensemble de l’opinion publique, rappelant notamment l’adoption de la Charte de l’Environnement par Jacques Chirac. Et, vision prémonitoire, elle a notamment estimé qu’ « avec cette loi, le gouvernement avait d’ores et déjà perdu la bataille de l’opinion publique » et qu’il rejoindrait bientôt « les poubelles de l’histoire ». Aveu de faiblesse, deux syndicats agricoles, et non des moindres puisqu’il s’agit de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, n’ont d’ailleurs rien de trouvé de mieux que de dégrader sa permanence électorale à Melle. Des actes repris avec encore plus de virulence par la Coordination Rurale devant d’autres permanences d’élus écologistes.
Autre femme courageuse, Fleur Breteau, 50 ans, atteinte d’un cancer, qui, du haut du balcon de l’Assemblée Nationale lors du vote de la loi Duplomb, a crié aux députés : « Vous êtes les alliés du cancer et nous le ferons savoir ». Depuis, de portraits en interviews, elle a imposé dans le débat public Cancer Colère, une petite association de malades jusque là inconnue. Avec son crâne rasé et son franc parler, Fleur Breteau affirme ainsi sa volonté de « politiser le cancer en le rendant visible ». Ses fortes paroles font ainsi écho à celles de nombreux médecins et oncologues qui s’inquiétant d’ « un tsunami de cancers » mettent de plus en plus en cause dans la progression exponentielle de la maladie les atteintes à l’environnement par la pollution chimique, dont les pesticides. Et où les premières victimes sont souvent les agriculteurs et leurs familles.
Enfin et surtout, la troisième femme à avoir réveillé l’opinion publique s’appelle Eléonore Pattery, une étudiante de 23 ans en master management des Risques QSE et RSE (Qualité, sécurité, environnement, Responsabilité sociétale des entreprises) à Bordeaux. C’est elle, qui, toute seule, a mis en ligne, la pétition demandant l’abrogation de la loi Duplomb, « une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire », selon ses propres mots. Affiliée à aucun parti politique et refusant même d’apparaître dans les médias, la force morale des arguments de sa pétition a su toucher le grand public. Une leçon aussi pour le mouvement écologiste qui, parfois trop enfermé dans un agenda politique, peine à trouver les mots pour mobiliser au-delà du cercle des militants convaincus.
Ce réveil écologique sera-t-il, en effet, durable ? Déjà, le 7 août, le Conseil Constitutionnel, saisi par les députés de gauche, se prononcera sur la constitutionnalité de la loi Duplomb. Puis à la rentrée, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée Nationale, a promis qu’un nouveau débat aurait lieu, comme le succès de la pétition l’y oblige. Emmanuel Macron, sommé de ne pas promulguer la loi par de nombreux juristes, le fera-t-il ? Lui qui avait déclaré que « son second quinquennat sera écologique ou ne sera pas ». Une promesse que viennent de lui rappeler avec force plus de deux millions de citoyens. Et ça, c’est déjà une bonne nouvelle pour la démocratie.