L’un de nos adhérents réagit aux débats autour de la loi Duplomb… et à une affiche de la FNSEA.
par Pierre Grillet
Extraordinaire, ce moment fort de la République qui a permis à une loi rétrograde et écocidaire d’être adoptée au nom d’un peuple qui n’a jamais été consulté et d’un Parlement largement bafoué dans ses prérogatives ! Un moment fort de la démocratie ? Ou au contraire de sa fin quasi programmée ? la Loi Duplomb est un cas d’école : « quand les lois ne sont plus faites par les parlementaires mais par les lobbies » pour reprendre l‘expression d’un scientifique avec lequel j’ai eu le bonheur de travailler pendant 30 années et qui réagissait au contenu de l’affiche triomphale de la FNSEA publiée juste après le vote.
Le sénateur Laurent Duplomb, garant de l’intérêt général ?
C’est ce qu’on attend d’un élu, même sénateur. Être au-dessus de la mêlée et prendre en considération tous les intérêts et les attentes de l’ensemble d’une population. Il ne s’agit pas de demander une quelconque neutralité de la part d’un homme ou d’une femme politique engagée, mais d’appliquer une simple règle démocratique et de ne pas être sous influence exclusive d’un groupe de pression. En l’occurrence, le devenir de l’agriculture et de ses pratiques a un impact fort en termes d’alimentation, de pollution, de ressource en eau, de santé, de paysages et de biodiversité. Rien que ça ! Une lourde responsabilité qui devrait impliquer un devoir de consultation de l’ensemble des personnes concernées, c’est-à-dire la population de ce pays. Ou, au moins, les scientifiques et les divers organismes représentant les citoyens et consommateurs que nous sommes ainsi que les syndicats agricoles totalement opposés à cette loi comme la Confédération paysanne ainsi que le Modef (confédération syndicale agricole des exploitants familiaux). Mais qu’en est-il en réalité ?
Monsieur Laurent Duplomb fut un membre dirigeant des Jeunes Agriculteurs (J.A., syndicat frère de la FNSEA) et président de la Chambre d’agriculture de Haute Loire tenue par la FNSEA… Selon sa fiche Wikipedia, Il a également été l’un des présidents régionaux du groupe laitier Sodiaal et membre du conseil de surveillance de la marque Candia, donc bien immergé dans l’agrobusiness. Ce « compagnon de route » ou « marionnette » d’Arnaud Rousseau, président de la FNSEA et de Laurent Wauquiez, opposé à l’OFB et climatosceptique, a lui-même déclaré qu’il trouvait les fiches rédigées par la FNSEA pour ses interventions parlementaires très bien faites et qu’il n’y voyait pas le moindre inconvénient de les utiliser tel quel.
Avec un tel pedigree, il est impossible pour les citoyens de considérer que monsieur Laurent Duplomb ait pu représenter l’intérêt général dans le cadre de cette loi. Il a porté uniquement les intérêts d’une partie de la FNSEA, puissant syndicat totalement étranger aux origines des premières revendications paysannes lors de l’hiver 2023 – 2024, mais qui, grâce à sa puissance récupératrice et son pouvoir politique, a parfaitement su s’emparer d’une telle aubaine. À l’intérieur de la FNSEA, Monsieur Duplomb n’a porté que les intérêts d‘une toute petite partie des agriculteurs : celles et ceux qui pratiquent l’agrobusiness, ont le nez dans le guidon et ne veulent en aucun cas entendre parler de changement, à l’image de leur président milliardaire. Il a mis de côté les milliers d’adhérents qui peinent à se procurer un Smic en fin de mois et n’adhèrent à ce syndicat que par quasi automatisme, parce que c’est plus simple (c’est souvent le cas lors de l’installation), ou par tradition familiale. Il n’y a pas un ensemble d’agriculteurs qui serait homogène, porteur d’une voix unique en France contrairement à ce que l’on voudrait nous laisser croire, mais des agriculteurs ayant des conditions de vie et des aspirations très disparates, des pratiques très diverses avec des attentes différentes selon leur statut, y compris au sein de la FNSEA. Parler comme le fait souvent la FNSEA au nom de « la profession agricole » n’a aucun sens. Une partie non négligeable des agriculteurs souhaite avant tout pouvoir vivre dignement de leur travail, sans l’obligation de s’empoisonner ni d’empoisonner ses voisins.
Quand la FNSEA revendique la victoire totale de « sa loi » au nom de « la profession »
Sitôt la loi votée, la FNSEA, que plus rien n’arrête, publie pour ses adhérents une affiche en proclamant clairement : « une loi faite par nous, pour nous… Une loi portée et construite par la profession ». Un message clair qui signifie tout simplement que la FNSEA, non seulement dicte sa loi aux élus, mais agit en ignorant totalement les avis émis par les autres (dont leurs collègues membres d’autres organisations professionnelles) et bloque ainsi tout débat démocratique. Laurent Duplomb n’est pas le seul élu concerné : une enquête de Politis démontrait que lors des discussions sur le projet de loi, « 37 % des amendements déposés par les parlementaires hors-NFP étaient des demandes directes du puissant syndicat agricole » (1).
Discréditer les opposants, un travail commun entre la macronie et la FNSEA
Lorsque des contestations fortes se manifestent, deux options s’offrent au pouvoir en place : donner la parole aux oppositions et prendre en compte leurs arguments et propositions de solutions dans les débats ou les discréditer pour mieux les effacer. Force est de reconnaître que depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, c’est la deuxième possibilité qui est largement utilisée.
L’un des exemples les plus marquants ces dernières années concerne l’attitude du président de la République lors de ses réformes au sujet des retraites : « les oppositions n’ont plus de boussole et sont totalement perdues », s‘était-il exprimé le 15 février 2023 devant le Conseil des ministres, alors que la grande majorité des Français y était opposée. En décembre 2022, François Bayrou, soutien de la politique présidentielle depuis 2017, parlait en ces termes au Journal du Dimanche : « Depuis des décennies, les Français n’ont jamais été suffisamment informés pour se forger une conviction. On s’est borné depuis des décennies à opposer des opinions entre elles. Nous n’avons pas, collectivement, fait l’effort de pédagogie nécessaire. ». Autrement dit, nous avons les meilleures solutions et il suffirait de faire un effort de pédagogie pour une meilleure compréhension populaire.
Plus récemment, c’est la loi Duplomb qui alimentait ce genre de réaction. Les oppositions n’ont cessé de se développer au fur et à mesure de la construction de cette loi, tant de la part de citoyens consommateurs que de paysans eux-mêmes avec leurs syndicats professionnels et l’appui de très nombreux scientifiques (2). Une opposition atteignant son point d’orgue avec cette pétition adressée au Parlement et qui, en quelques jours, a largement dépassé 1,8 million de signatures au moment où ce texte est écrit. Les réactions de la part des initiateurs et partisans de la loi ont, pour l’essentiel, consisté à mettre en avant « l’ignorance » de leurs contradicteurs. Tant de la part du PDG milliardaire de la FNSEA qui réagissait en évoquant la « disparition de l’agriculture française », donc fermant la porte à toute alternative possible, que du porteur de la loi, le sénateur Duplomb qui n’a pas hésité à s’exprimer ainsi sur RTL : « pendant des semaines et des mois, on a agité des peurs, on a créé une psychose autour de cette loi ». Autrement dit, les citoyens, incapables de réfléchir par eux-mêmes, auraient été manipulés. Auparavant, alors que les oppositions étaient déjà multiples et argumentées, il n’avait pas hésité à déclarer dans le journal La Montagne : « Je n’ai pas de leçons à recevoir de pimpins qui n’y connaissent rien » (3). La ministre de l’Agriculture, s’adressant aux signataires de la pétition, ose déclarer : « Beaucoup ignorent la réalité de ce qu’il y a dans ce texte ». Des façons peu élégantes de traiter d’incompétents, incapables de lire et comprendre un texte, non seulement l’ensemble des signataires, mais aussi les milliers d’agriculteurs qui adhérent à des syndicats contestataires et pour lesquels une telle loi ne constitue en aucun cas un soutien à leur activité. « Non, les paysans ne sont pas derrière cette loi qui ne répond en rien aux difficultés du monde agricole » et « va à l’encontre de l’intérêt général », a déclaré le 29 juin 2025, Stéphane Galais, porte-parole de la Confédération paysanne et éleveur de bovins en Bretagne (4). « Cette proposition de loi est toxique pour l’Agriculture et sert les intérêts d’une minorité, celle de l’agro-industrie et des agri-managers ! », écrit le Modef le 27 juin 2025 (5). Le succès de la pétition aurait dû être l’occasion pour le gouvernement de lancer un véritable débat au sein de l’ensemble de la population sur le devenir de notre agriculture. Un devenir qui concerne tout citoyen, à l’instar des retraites… Non, le débat a largement été remplacé par le dénigrement des opposants.
Non, les décisions prises par les élus du peuple ne sont pas toujours d’intérêt général
Les exemples ne manquent pas de décisions prises par des élus et dont les mouvements d’opposition ont permis de démontrer le caractère néfaste pour l’ensemble de la collectivité et du vivant. Rappelons-nous l’affaire du barrage de Sivens, un barrage décidé par le Conseil Général du Tarn et la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne avec le soutien de la préfecture. C’est à la suite d’un puissant mouvement de contestation malheureusement marqué par la mort de Rémi Fraisse en 2014, atteint d’une grenade dans la nuque, que la déclaration d’utilité publique a pu être annulée pat la justice en 2016. Un rapport indépendant (6) avait sévèrement critiqué une évaluation « contestable » des besoins « réels » d’irrigation. Il évoquait également « une surestimation du volume de substitution destiné à l’irrigation d’au moins 35 % » et un surdimensionnement. Il qualifiait en outre l’étude d’impact de « qualité très moyenne » et jugeait le financement du projet « fragile ». Plus récemment, la justice a annulé les autorisations de chantier de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Une autoroute soutenue par des élus convaincus de « la légitimité du suffrage universel » à l’instar de Philippe Folliot, sénateur de droite, oubliant au passage que de très nombreux élus locaux sont opposés à cette autoroute (7). Même si les démarches sont loin d’être terminées, cette victoire (pour le moment partielle) des opposants au projet est intervenue après de très longs mois de lutte et de répression sévère.
Des élus sous la vigilance accrue des citoyens
Alors, oui, la vigilance citoyenne est indispensable. Il est du devoir des citoyens de rester vigilant sur les décisions des élus dont beaucoup, parmi eux, ne l’ont été que par moins de 30/40 % des personnes inscrites. Les recours formulés par des associations, les pétitions citoyennes, les manifestations de collectifs lorsque les oppositions ne sont pas écoutées, que les débats sont ignorés et que les enquêtes d’utilités publiques sont déconsidérées, sont largement légitimes et argumentés. Il en est de même pour les demandes de consultation citoyenne pour décider collectivement du devenir de notre agriculture en excluant la pression de quelque lobby ayant main mise sur tel ou tel élu. Ignorer ces contestations de plus en plus nombreuses, laisser croire que les 1,8 million de personnes signataires de la pétition contre la loi Duplomb seraient manipulées, hors sol, incompétentes, leur ôter ainsi toute capacité de réflexion, est une grave erreur. Un tel mépris ne fera qu’exacerber les multiples conflits à venir.
La loi Duplomb offre, entre autres, un boulevard pour la réalisation des méga-bassines agricoles pourtant fortement remises en cause par une partie des paysans, de la société civile et les multiples avis de scientifiques qui dénoncent une « maladaptation ». Il faut également rajouter les difficultés économiques dans lesquelles se retrouvent les sociétés gestionnaires de tels ouvrages ainsi que les factures de plus en plus salées reçues par les agriculteurs irrigants (8). Lors des dernières élections législatives, le Nouveau Front Populaire (NFP) affichait clairement dans son programme un moratoire sur ce sujet, donc un arrêt total des travaux et des nouveaux projets au moins pendant un temps de réflexions et de discussions. Alors que le NFP était arrivé en tête de ces élections, c’est tout l’inverse qui a été décidé, sous un gouvernement dirigé par un Premier ministre ultra-minoritaire, comme un formidable pied de nez démocratique.
L’immense succès de la pétition en termes de nombre mais aussi de délais contre la loi Duplomb ouvre sans doute une voie nouvelle ou, du moins, renforce cette idée développée par le politiste Vincent Tiberj pour qui « la citoyenneté qu’on appelle allégeante ne fonctionne plus, particulièrement dans les jeunes générations et chez des citoyens qui pourraient se placer à gauche sur l’échiquier politique. En face, une citoyenneté assertive a émergé » (9), c’est-à-dire une citoyenneté en capacité d’exprimer ses sentiments et d’affirmer ses droits. Vers la fin de la démocratie élitiste qui fait tant de mal pour une vraie démocratie citoyenne ?
Relecture : Marie-Do Couturier
(1) Voir le site de Politis : https://www.politis.fr/articles/2025/05/loi-duplomb-ces-deputes-bons-petits-soldats-de-la-fnsea/ Lire également l’article de Reporterre du 13 mai 2025 : « Loi Duplomb : un texte écocidaire rédigé par la FNSEA ». Lorène Lavocat. https://reporterre.net/Loi-Duplomb-un-texte-ecocidaire-redige-par-la-FNSEA
(2) Lundi 5 mai 2025, une lettre ouverte signée par 1279 médecins, chercheurs et scientifiques avait été adressée aux ministères de tutelle de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire). Ensemble, ils interpellaient les ministres de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de l’Environnement et dénonçaient les risques majeurs que cette proposition de loi ferait peser sur la santé publique, l’environnement et l’indépendance de l’expertise scientifique. Dans les pages « Monde » du Courrier de l’Ouest du 22 juillet 2025, le chercheur au CNRS, Jean-Marc Bonmatin, apportait son témoignage de scientifique : « l’acétamipride (l’insecticide interdit depuis 2018 en France puis réautorisé sur dérogation par la loi Duplomb) révèle une toxicité bien établie sur les insectes mais aussi sur les mammifères, les oiseaux et l’ensemble du vivant… Il est parmi les plus toxiques chez les mammifères dont nous faisons partie ». Le chercheur insiste : « dès qu’on en met quelque part, il va partout… ».
(3) Pour lire l’article dans le journal La Montagne : https://www.lamontagne.fr/saint-paulien-43350/economie/pas-de-lecons-a-recevoir-de-pimpins-qui-n-y-connaissent-rien-qui-est-laurent-duplomb-senateur-en-croisade_14712663/
(4) « La loi Duplomb est dangereuse et rétrograde », Xavier Fromont, agriculteur en système élevage -polyculture, porte-parole de la Confédération paysanne pour la région Auvergne-Rhône-Alpes.
(5) Lire le texte complet sur le site du Modef : https://www.modef.fr/2025/06/27/non-a-la-loi-duplomb-oui-a-lagriculture-familiale/ Ce texte est cosigné par les deux co-présidents du Modef, respectivement éleveur d’ovins dans le Gard, et productrice de canne à sucre et petits légumes en Guadeloupe.
(6) « Le barrage de Sivens, un symbole de la lutte contre les projets surdimensionnés ». 27 octobre 2014 https://www.lemonde.fr/planete/article/2014/10/27/le-barrage-de-sivens-symbole-de-la-lutte-contre-les-projets-surdimensionnes_4512846_3244.html?search-type=classic&ise_click_rank=1.
(7) Consulter le site Mr Mondialisation : https://mrmondialisation.org/elus-tarn-contre-a69/
(8) Lire l’article de Reporterre écrit par Sylvain Lapoix (2 juillet 2025) : « Le modèle économique des mégabassines du Poitou prend l’eau ». https://reporterre.net/Le-modele-economique-des-megabassines-du-Poitou-prend-l-eau Lire également l’article publié dans la Nouvelle République le 13 mai 2025 : « Deux-Sèvres : pourquoi les finances de la Compagnie d’aménagement des eaux sont dans le rouge » https://www.lanouvellerepublique.fr/niort/deux-sevres-pourquoi-les-finances-de-la-compagnie-d-amenagement-des-eaux-sont-dans-le-rouge-1747151778
(9) Lire l’entretien entre Vincent Tiberj et Mathieu Dejean pour Médiapart le 22 juillet 2025 : Loi Duplomb : « Il y a un clash entre la démocratie élitiste et la démocratie citoyenne ». https://www.mediapart.fr/journal/politique/220725/loi-duplomb-il-y-un-clash-entre-la-democratie-elitiste-et-la-democratie-citoyenne