Curseurs est un journal papier semestriel édité par l’association bruxelloise Tactic depuis à peu près deux ans. Chacun de ses numéros creuse et dissèque le monde du numérique, sa méga-structure internationale, ses impacts environnementaux et sociaux, et propose quelques alternatives pour limiter les dégâts.
par Jocelyn Peyret
Joan, un des rédacteurs, nous explique que « le journal est coordonné et produit par un collectif de personnes bénévoles qui s’attarde sur les questions du numérique, sur ce que produit le numérique dans nos sociétés, les changements qui en découlent, tous les enjeux qu’il peut y avoir du point de vue politique, éthique aussi. C’est tout ce qu’on essaie d’explorer à travers chaque dossier ».
« Le n° 1 abordait les smartphones, le n° 2, c’était autour de l’éducation, le n° 3, c’était autour de la gratuité. Nous voulions essayer de questionner le modèle qui est dominant dans les services numériques auxquels on a affaire, qui sont des services gratuits. C’était interroger un petit peu ce qu’il y avait derrière cette gratuité. Avec le n° 4, on s’est attardé sur la matérialité
du numérique » (1).
Un des objectifs de Curseurs est de « nourrir une réflexion autour du numérique ». Joan nous précise qu’il faut voir « la réalisation collective de ce journal comme un espace de réflexion, d’échange. Les gens qui participent à ce journal n’ont pas l’écriture comme pratique ou comme métier. On essaie de faciliter l’accès à une réflexion qui est quand même des fois assez pointue autour des enjeux du numérique, donc on essaie à la fois de le rendre plus grand public disons, mais sans céder à la facilité ».
Le dossier du n° 4 essaie de faire exister « les matérialités du numérique, donc de l’infiniment petit à l’immensément grand. Il y a des réseaux qui s’étendent à l’échelle de la planète, les câbles sous-marins en particulier, puis jusque dans nos poches, le téléphone, et dans le téléphone des circuits imprimés très très fins, qui sont des techniques très complexes. Il s’agissait donc de pointer ce paradoxe, de montrer ces différentes strates de compréhension de ce que peut être matériellement le numérique ».
En terme de matérialité, le dossier montre également « quels effets cela produit sur un territoire quant à des conflits d’usage qu’il peut y avoir autour de l’eau et de l’énergie par exemple. Pour créer tous ces appareils, tous les dispositifs du numérique, derrière, à chaque fois, il y a toute une chaîne de valeur, toute une chaîne de production qui va de l’extraction de minerais jusqu’à leur raffinage, la conception des circuits, des logiciels. De voir que c’est une chaîne très complexe qui s’étend un peu partout dans le monde ».
Quant à « la dimension alternative au numérique, l’association Tactic accompagne les associations dans une transition de sortie des GAFAM, pour trouver des solutions plus éthiques et surtout se défaire de très grosses entreprises. On utilise aussi des logiciels libres pour faire le journal ».
Pourtant, pour ce qui est de la dimension politique de la technique et la possibilité de changer les choses, Curseurs n’est pas « dans une démarche d’inviter individuellement les gens à changer. Pour que des changements soient vraiment effectifs, il faut s’organiser, faire ça collectivement. L’idée ce n’est pas non plus que la technique soit un frein, c’est de voir que tout le monde n’a pas à prendre en charge ce savoir, que ce sont des choses qui pour pouvoir être efficaces doivent être partagées.
Et sur ce qui est de la sortie du numérique, c’est vrai qu’après nous être penchés sur la question spécifique de la matérialité du numérique, il n’est pas évident de trouver un avenir désirable sur cette trajectoire. Finalement, c’est quelque chose à interroger cette question de la dénumérisation. Comment faire ? »
En attendant d’y répondre, il est question dans Curseurs de designers qui « réfléchissent à l’éco-conception des sites web. Ils essayent d’imaginer des marges de manœuvre, de réfléchir à comment accompagner la détérioration matérielle des outils, des ordinateurs, des téléphones. Mais après, ils sont aussi bien conscients que finalement cela représente assez peu dans la balance ».
Curseurs, c’est 48 pages, bien tassées, assez denses, mais sa parution étant semestrielle, cela laisse 6 mois pour tout digérer. Joan conseille également de « s’en servir comme d’une boîte à outils, de venir y chercher selon les besoins ».
A l’heure où nous publions cette chronique, le n° 5 est paru et évoque l’industrie de l’armement et de la surveillance.
Pour aller plus loin :
https://www.curseurs.be/
www.lesautresvoixdelapresse.fr
(1) Le n° 5 est paru quelques semaines après l’interview.