La ceinture verte de Strasbourg : quelles pistes pour la préserver et la transformer ?

Comment maintenir des espaces verts face à la pression urbaine ? Le cas de la ceinture verte de Strasbourg nous ouvre des pistes de réflexion.

par Jean-Claude Génot *

Ayant accompagné une amie paysagiste conceptrice sollicitée par l’Eurométropole de Strasbourg dans le cadre d’une réflexion sur la transformation et la préservation de la ceinture verte, j’ai eu l’occasion de parcourir une partie de cette zone qui est un héritage des anciens systèmes de défense de la ville établis à partir de 1875. Ce fut pour moi l’occasion de mesurer le défi de maintenir des espaces verts face à la pression urbaine et de réaliser que cette ceinture verte assez fragmentée était en plus une trame bleue formée des canaux du Rhône au Rhin et de la Marne au Rhin et des cours d’eau comme l’Ill, l’Aar ou le Rhin Tortu.

Une ceinture biologique et climatique

Le périmètre de la ceinture verte est constitué de terrains issus de l’ancien glacis initialement protégés par des lois de 1922 et 1927, de secteurs paysagers à proximité immédiate tels que les grands parcs publics, les emprises de jardins familiaux, les berges de cours d’eau, les espaces végétalisés des abords d’autoroute et de voies ferrées et des quartiers-jardins, dotés d’espaces verts plantés de grands arbres. Au final, la ceinture verte couvre une superficie d’environ 1 400 ha.

L’arbre est « l’écosystème » clé de la ceinture verte de Strasbourg © J.C. Génot

L’arbre est l’élément clé de cette ceinture verte et bleue, il est l’élément végétal dominant le long des cours d’eau et des canaux, dans les parcs publics et les espaces verts. Platanes, saules, peupliers, chênes, érables, robiniers, frênes, noyers, l’arbre fournit abri et nourriture à de nombreux animaux (insectes, oiseaux, chauves-souris) et sert de support aux lichens, aux mousses et aux lianes (lierre, clématite). Il permet la circulation de certaines espèces comme l’écureuil le long des alignements qui jouent le rôle de corridors écologiques. Il apporte de l’ombre aux habitants et dissipe la chaleur en jouant le rôle de climatiseur naturel grâce à sa canopée, créant ainsi des îlots de fraîcheur en cas de canicule. Enfin, les feuillus permettent aux habitants de la ville de prendre conscience du rythme des saisons grâce au feuillage et à la floraison. La ceinture verte et bleue constitue un lien entre deux réservoirs de nature, à savoir les forêts rhénanes de Neuhof-Illkirch au sud et de la Robertsau-Wantzenau au nord, toutes deux classées en réserves naturelles nationales.

Des milieux très artificiels sous forte pression anthropique

Les milieux de la ceinture verte sont assez pauvres sur le plan écologique : talus, zones rudérales, jardins plus ou moins végétalisé,s parfois avec des aménagements en béton le long des berges, prairies pauvres en espèces floristiques, gazons, terrains gravillonnés, cours d’eau eutrophisés. Il existe certains bâtiments abandonnés qui peuvent abriter des chauves-souris, mais la ville compte certainement plus de maisons non occupées et d’édifices publics qui peuvent accueillir la faune habituelle comme le faucon crécerelle, le martinet noir, la fouine et certaines chauves-souris. La pression humaine s’exerce sur la ceinture verte et bleue : pollution de l’eau, pollution de l’air compte tenu du trafic routier intense sans oublier le trafic aérien qui survole la ville, pollution sonore maximale pour certains sites et déchets très nombreux dont certains sont recouverts par des ronciers. Un sentier du Club vosgien de 17 km permet de cheminer le long de la ceinture passant par les parcs publics et les anciennes défenses militaires. Mais certains passages ne sont pas très engageants du fait de l’abondance des déchets.

Quelle gestion pour la ceinture verte ?

En 2021, l’Eurométropole a lancé une réflexion en vue d’élaborer un livre blanc sur la ceinture verte avec la participation des services de l’agglomération de Strasbourg, des gestionnaires comme la SNCF et Voie Navigable de France, des écoles d’ingénieurs et d’architectes de la ville, de nombreuses associations ainsi que des sociétés d’aménagement. Cela a permis de rassembler les attentes de certains acteurs et de faire le point sur la gestion de certains terrains.

Talus SNCF débroussaillé régulièrement sur la Ceinture verte de Strasbourg © J.C Génot

Ainsi, dans ses emprises, la SNCF cherche à éliminer arbres et arbustes sur les talus situés aux abords des voies afin d’éviter la chute d’un arbre sur les rails. En lien avec l’Eurométropole, elle expérimente une gestion alternative des talus. Depuis plus d’un siècle, des milliers d’arbres ont été plantés dans la ceinture verte. La demande de nombreux acteurs est de planter plus d’arbres partout où c’est possible : délaissés autoroutiers, installations sportives, parcs publics, jardins familiaux. Reste en suspens le choix des espèces et leur gestion, notamment l’élagage qui peut être drastique pour des raisons de sécurité. Il est proposé d’améliorer l’aspect des ouvrages routiers grâce à des plantes grimpantes. Les projets ne manquent pas, mais certains pourraient présenter des contradictions et entraînent de nombreuses questions. Ainsi, comment développer des pistes cyclables dans la ceinture verte sans imperméabiliser les sols dont la préservation est vitale ? Comment vouloir plus de nature si l’artificialisation n’est pas maîtrisée au niveau du PLU ?

Délaissé en libre évolution et jonché de déchets dans la Ceinture verte de Strasbourg © J.C. Génot

L’artificialisation peut surgir partout, comme dans certains jardins familiaux bordant le Rhin tortu, où les multiples cabanons et autres terrasses bricolées avec divers matériaux donnent l’image d’un bidonville. La gestion de certains terrains privés échappe à la collectivité et peut également être une source de dérapage. Certains tronçons de la ceinture verte sont indissociables de la trame bleue, comment harmoniser la gestion de ces deux éléments de façon cohérente ? Enfin, la question se pose de savoir si la libre évolution peut s’appliquer sur certaines zones, sachant que la nature spontanée peut se heurter à des réticences culturelles, des impératifs de sécurité et des habitudes de gestion interventionnistes.

La ville est le symbole de l’artificialité et de la densité humaine et il est bien difficile d’y laisser de la place à la nature en termes d’espaces. Le plus souvent, la ville côtoie la nature sous la forme d’une forêt péri-urbaine, dont certaines ne sont pas exploitées comme c’est le cas à Strasbourg. Cette ceinture est intra-urbaine, c’est ce qui la rend vulnérable tant qu’elle ne sera pas sanctuarisée par le droit. Son état actuel donne plus l’impression d’un champ de ruines écologiques pour reprendre une expression d’Aldo Leopold (1) que d’un corridor arborée dense et continu.

* Ecologue

(1) Génot J-C. 2019. Aldo Leopold. Un pionnier de l’écologie. Editions Hesse. 119 p.

Photo du haut : au sein de la ceinture vert de Strasbourg, les ripisylves sont les milieux les plus intéressants sur le plan écologique © J.C. Génot