Je me souviens de Paul Blanquart et de sa devise « partagez ! »

Paul Blanquart, ancien de Politique Hebdo et de la Gueule Ouverte, est mort le 6 février dernier. Un ancien de la G.O. (et ex-trésorier des JNE) rend hommage à ce dominicain atypique.

par Yves-Bruno Civel

Je me souviens de l’arrivée de Paul Blanquart au comité de rédaction de la Gueule Ouverte à la fin des années 70. De la joie de certains et de l’émoi des autres. L’arrivée de l’ancien patron de Politique Hebdo témoignait de sa démarche pour une écologie plus en phase avec les luttes sociales : celles des immigrés, des femmes, des prolétaires. C’est comme cela qu’il me demanda de partir à Mâcon rendre visite à des travailleurs précaires en grève logeant dans de vétustes wagons sur une friche ferroviaire. Puis en Lorraine écrire un papier sur les sidérurgistes de Longwy qui voyaient, impuissants, l’extinction définitive de leurs hauts-fourneaux…

Je me souviens de Paul Blanquart, l’enfant pauvre du Nord, encore tout ébloui par sa rencontre avec son maître d’école à l’écoute des défavorisés et de leurs talents qui ne devaient pas être laissés en jachère. Homme de dialogue, pédagogue, il accordait sa confiance tout en bâtissant de cordiales relations avec les journalistes en herbe de la Gueule Ouverte. Sa bienveillance encourageait nos envols. Encore récemment, Il ouvrait en grand son carnet d’adresse à de jeunes chercheurs, sociologues, ethnologues ou historiens, travaillant sur et avec les zadistes.

Je me souviens de Paul Blanquart et de la rencontre de sa Renault 6 avec un tracteur sur une petite route de Saône-et-Loire. Sur son lit d’hôpital, alors que je lui demandais s’il ne voulait pas une chambre où il serait seul, le franciscain qu’il avait été déclama de la voix grave et théâtrale dont il savait si bien jouer que parmi les trois vœux de son ordre (pauvreté, chasteté, obéissance), je ne pouvais lui demander de renoncer au seul qu’il n’avait pas trahi !

Je me souviens aussi, qu’il aimait raconter comment Fidel Castro lui avait signifié la rupture diplomatique entre Cuba et Politique Hebdo en lui faisant envoyer un coffret des meilleurs cigares de la Havane… résolument vide ! Je me souviens de son retour à Paris et de sa nomination comme patron du Centre de création industrielle de Beaubourg. Malicieux, il m’avait confié que « les tares de la culture plus les tares de l’administration, ça faisait beaucoup ! »

Au fil des années, nous avons trouvé bien des occasions pour échanger. Il me faisait parvenir quelques-uns de ses écrits : un hommage au résistant Claude Bourdet prononcé lors de son inhumation ou son intervention aux rencontres de Terre de liens, une ONG qui agit sur la question d’un meilleur partage des territoires agricoles.

Plus récemment, fin 2022, il avait envoyé à ses amis et à ses lecteurs un ultime écrit de 14 pages que nous avons tous lu comme son testament spirituel. Intitulé « Les aventures du ciel et de la terre » et rédigé « à l’heure où la planète se meurt et l’humanité avec elle ». Un au revoir sans doute, mais surtout une pensée ciselée et érudite opposant le Dieu des prêtres à celui des prophètes… Un sacré règlement de compte et un magnifique viatique pour ses amis.

Après l’avoir signé, Paul a ajouté ce post-scriptum : « J’ai 87 ans, je vais bientôt mourir. A mon enterrement, je ne veux pas de prêtres, ils parleraient du ciel. J’espère mourir vivant, c’est-à-dire ek-sistant, ouvert et accueillant à tout ce qui m’entoure et m’arrive. Et vivre mort, mêlé à la vie de la terre, en compost et en bon humus pour la vie de demain. Dans la vie de la Terre, les âges s’entremêlent, ils sont contemporains. Peut-être que certains me projetteront en étoile dans le ciel, poétiquement, pour signifier que je suis toujours là dans leur marche, à leur dire par mon clignotement : partagez ».

Sur la même page, Paul a rédigé, à la troisième personne du singulier, une courte et incisive autobiographie : « Paul Blanquart. Né en 1934, entré à 22 ans chez les dominicains de Paris, en pensant y trouver, non sans raisons à l’époque, une institution prophétique. Après une brève période de flamboiement, il y fut marginalisé. Il se mit alors, par ses activités d’enseignement, de recherche et de journalisme, au service de mouvements récemment apparus et qui œuvrent, en leur convergence, à une alternative à la logique de mort aujourd’hui régnante ».

Pas mieux, dirait-on aujourd’hui ! Oui, je me souviendrai longtemps de Paul Blanquart, bâtard revendiqué, penseur excentrique de l’anthropocène, grand frère fidèle, attentif et lumineux.

A lire en cliquant ici, une notice biographique de Paul Blanquart par Laurent Samuel

Photo du haut : Paul Blanquart dans les bureaux de la Gueule Ouverte, à la Clayette (Saône-et-Loire) à la fin des années 1970 © DR