Avec Michèle Rivasi, l’aventure rock’n’roll du livre « Ce nucléaire qu’on nous cache »

Les JNE ont appris avec tristesse et émotion le décès brutal de Michèle Rivasi, co-fondatrice de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), survenu le 30 novembre 2023 à Bruxelles. L’une de nos adhérentes, qui la connaissait de longue date, nous a adressé ce témoignage évoquant notamment un livre écrit en commun.

par Hélène Crié-Wiesner *

Quelle terrible ironie ce fut pour moi d’apprendre la mort de Michèle, deux semaines à peine après renoué avec elle des liens initiés au tout début des années 90 ! En 1998, nous avions publié ensemble un livre consacré au nucléaire civil français, puis nous avions affronté en correctionnelle le fameux professeur Pellerin (NDLR : à ne pas confondre avec son homonyme, le journaliste Pierre Pellerin, qui fut le premier président des JNE) lors d’un procès mémorable… qu’il a perdu. Puis je me suis envolée définitivement pour les Etats-Unis, et Michèle et moi avons peu à peu cessé de nous voir, séparées par un océan et des activités qui ne nous donnaient plus l’occasion de nous croiser.

Notre aventure commune a été rock’n roll, comme souvent avec Michèle. Etant journaliste à Libération lorsqu’elle a fondé la CRIIRAD avec son mari François Mosnier, je la croisais ou l’interviewais de temps à autre. Un jour, elle et François m’ont proposé de les rejoindre à La Rochelle, où ils réalisaient des mesures de radioactivité surréalistes dans la baie, dues aux rejets d’une usine locale. Le truc habituel : pollution contre emplois et nécessité de production. Ils m’ont trimballée en bottes dans la vase, puis Michèle m’a rembarquée dans son TGV vers Valence pour me faire rencontrer le labo et l’équipe de la CRIIRAD au complet.

J’ai dormi chez elle, admiré leur maison autonome isolée dans la montagne surplombant le beau Rhône et ses innombrables réacteurs, et j’ai compris leur guerre contre l’atome mal maîtrisé. Michèle m’a montré son village de Félines, dont elle allait bientôt rejoindre le conseil municipal. Son premier mandat civique. Notre amitié a débuté là, entre science, vie locale, et souci politique du bien commun.

En 1997, sous étiquette socialiste « par efficacité tactique », elle se présentait aux élections législatives dans sa région. La bataille contre son adversaire RPR était rude, rien n’était joué. Pour Libération, j’écrivis un article sur Michèle dans la très lue dernière page « Portrait » du journal. Elle y déclarait notamment, en parlant de son parcours : « Nous sommes des scientifiques que les faits ont poussé à avoir une attitude militante. » Je suppose que nombre de membres du Giec peuvent dire la même chose aujourd’hui.

Quelques jours plus tard, elle l’emportait avec trente-deux voix d’avance. Furieux, son adversaire engageait aussitôt un recours, arguant que l’article de Libération avait injustement influencé les électeurs. Si tel était le cas, j’en étais bien heureuse. Mais je ne m’attendais pas à ce qui allait suivre : dès le lundi, j’ai été contactée au journal par deux éditeurs parisiens désireux de publier une biographie de Michèle.

Les négos ont été rudes : les éditeurs voulaient un récit « people », nous voulions un livre d’enquêtes et de référence. L’un d’eux nous a lâchées en cours de route, par peur avouée du grand méchant lobby nucléaire français. Nous avons finalement mis dans ce livre tout ce que Michèle et moi avions accumulé de connaissance au fil de nos pérégrinations professionnelles. Et puis Pellerin m’a forcée à dépenser en frais d’avocat tout l’argent avancé par l’éditeur pour compenser ma mise en disponibilité du journal afin d’écrire. Il a certes perdu son procès contre nous, mais n’a pas été condamné à nous dédommager.

Michèle était déjà loin de ces préoccupations : elle s’était plongée à corps perdu dans l’action politique. Trop proche d’elle, la couverture journalistique de ses combats écologiques m’était désormais interdite. Restait l’amitié. Comme je me suis amusée à l’entendre raconter ses inefficaces efforts diplomatiques pour dompter l’ingouvernable navire Greenpeace-France, dont elle avait pris la direction en 2003 ! Elle me disait qu’elle aimerait refaire un livre, mais seulement avec moi. Mais moi, j’étais déjà partie trop loin. Ce que je n’ai pas osé lui dire, c’est qu’être la co-auteure d’une personne aussi spectaculaire et grande gueule que Michèle Rivasi, ça n’avait pas toujours été facile pour moi.

Bref, elle me manque.

* Co-auteure avec Michèle Rivasi de Ce Nucléaire qu’on nous cache, Albin Michel, 1998.