Sylviculture d’Écosystème – La sylviculture sauvage par Marie Stella Duchiron

L’ingénieur-forestière Marie-Stella Duchiron a déjà été consultée par les JNE en tant que conférencière quand notre association a abordé les enjeux sur la forêt en 2011, bien avant la montée en puissance de ce thème dans les médias.

La qualité d’expertise de cet auteur est inaccoutumée car appuyée par une remarquable expérience ; notamment Outre-Rhin dans des pratiques de sylvicultures les plus en adéquation avec les processus écosystémiques de la forêt (la forêt de Lübeck…). Ajoutons aussi son suivi des études scientifico-naturalistes relatives aux forêts en libre évolution en Europe depuis une bonne trentaine d’années. Certes, sa qualité d’expertise intéressera de premier chef, les propriétaires et les professionnels de la forêt désireux d’une solide contre-expertise dans l’intention d’adapter le marché de la sylviculture à une sylviculture se fondant délibérément dans l’écosystème forestier, en le déstructurant le moins possible, pour maintenir le meilleur potentiel possible dans toutes ses vertus : la biodiversité, une production plus qualitative du bois, la régulation hydrique et thermique, l’assimilation du carbone, la maturité arborée et paysagère, etc. Ce qui d’ailleurs irait jusqu’à obliger une législation fiscale plus intelligente que l’actuelle… il s’agit dès lors de penser, ni une sylviculture d’arbres à l’instar de la futaie claire, ni une sylviculture de peuplements à l’instar de la futaie régulière, mais plus réellement, une sylviculture d’écosystème.

Si aujourd’hui ce semble devenu un lieu commun d’affirmer que la futaie irrégulière (futaie jardinée) est un modèle forestier ayant à priori une plus grande valeur écologique et paysagère que la futaie régulière (le champ d’arbres), Marie-Stella Duchiron nous alerte néanmoins d’une dérive des pratiques au risque de dévoyer profondément les concepts de départ. Aux hiatus sémantiques suivent des quiproquos de langage semant la confusion dans les concertations internationales !

Car en effet, une futaie irrégulière révisée selon les lois actuelles du marché, rabote trop vers le bas la pyramide des âges des arbres, instaure des cloisonnements (layons de débardages) bien plus resserrés en France qu’en Allemagne, avec une fréquence des coupes augmentée ouvrant la canopée pour faire monter plus vite les jeunes houppiers. Cette modification du modèle sylvicole s’éloigne dès lors du modèle natif de futaie irrégulière ou jardinée, pour devenir en vérité une futaie claire qui ne dit pas son nom. Donc la déception risque d’être grande pour les riverains de forêt, les ONG environnementalistes et naturalistes, en regard de quoi cet ouvrage formule des contrepropositions tels que les néophytes voudraient bien les entendre des experts. Ces contrepropositions reposent sur une pratique dite « sylviculture d’écosystème » allant dans le prolongement du programme LÖWE de Basse-Saxe, et s’inspirant d’expériences déjà amorcées en Allemagne et dans les Balkans. La sylviculture d’écosystème tend aussi vers une « permasylviculture ». Elle entend soutenir un net accroissement en présence de très gros arbres scientifiquement reconnus comme les piliers actifs de l’écosystème forestier, avec cette prévenance à ne prélever des arbres pour l’exploitation autant que ce n’est pas préjudiciable aux dynamiques de régulation de l’écosystème. En ce sens « la sylviculture sauvage » donne très nettement à relativiser ce que l’on croyait « écologique » sous les vocables de « futaies irrégulières » ou « mélangées à couvert continu ».

Notons en Marie-Stella Duchiron une assimilation des notions de thermodynamique dans la façon que les écosystèmes forestiers assimilent l’énergie solaire dans la métabolisation des organismes en fonction de leur composition structurelle. Elle insiste notoirement sur l’effet climatiseur d’une forêt plus dense dans sa stratification arborée, avec un plus grand étagement des frondaisons, et une plus grande irrégularité de relief de la canopée. Cette structure verticale de la forêt a aussi sa symétrie dans le sous-sol. Cela implique dès lors un enrichissement de sa biomasse, de sa régulation hydrique et thermique, et de sa biodiversité… donc des défenses immunitaires de la forêt plus prompte à affronter toutes formes de stress… Penser une forêt plus pondératrice de réchauffement climatique de par sa structure dense et stratifiée et non plus résistante de par l’import d’essences exotiques familières au climats chauds est entendue comme la formule à privilégier, à revers de tout ce que l’on entend dans la filière-bois. De même, à contrario d’idées reçues, elle montre comment des sylvicultures plus proches de la structure des écosystèmes forestiers sont plus à même de faire face à la problématique des incendies.

D’autres études absentes des thématiques familières à l’écologie forestière sont également à l’ordre du jour dans ce livre comme l’impact négatif de l’ozone sur les forêts découlant des pollutions urbaines… Ce qui laisse à penser que nos connaissances ne seront jamais assez interdisciplinaires pour quiconque se prétendant expert…

Si la sylviculture d’écosystème peut être judicieusement applicable dans toutes les géographies, avec une générosité rendue à la nature, je ne me puis m’empêcher de penser qu’elle motivera en premier lieu les riverains de forêts péri-urbaines pour l’effet climatiseur des forêts stratifiées, les régions où l’on souhaitera renforcer les microclimats par la pondération des températures pour toutes sortes de raisons, les zones ceinturant les réserves intégrales dans les réserves de la biosphère pour mieux graduer les transitions…

L’ouvrage montre bien que passer d’une sylviculture de marché à une sylviculture d’écosystème conduit à une révision considérable des protocoles et des méthodologies et oblige au grand reset dans les formations professionnelles des forestiers. Le changement de conscience qui vient de ce côté devrait aussi rappeler que l’économie ne devrait plus être une science des profits de la partie au détriment du tout, mais que l’écologie et l’économie devraient être deux sciences main dans la main autant qu’elles sont censées être des sciences de la régulation dans les échanges et les synergies d’acteurs. Aussi, si ces deux sciences appréhendent deux registres totalement distincts, rien ne devrait les faire diverger dans le respect de ce qui les coordonne dans la régulation, sauf à être mal pensées et mal vécues.

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Éditions EDP-sciences, 320 pages, 59 € – www.edpsciences.org
Contact presse : Isabelle Garric – isabelle.garric@edpsciences.org
(Bernard Boisson)
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