L’Algérie renoue avec le charbon

Avril 2023 marquera le retour de l’Algérie à l’extraction de charbon qui avait été abandonnée en 1962 après la fermeture de la mine de Kenadsa, près de Béchar, dans le sud-ouest du pays (le charbon avait été marginalisé par les hydrocarbures). C’est à partir d’un gisement peu connu, Menouna (près de Béchar, également), que l’Algérie va renouer avec cette filière.

par M’hamed Rebah

Selon l’APS (Algérie Presse Service), qui cite la direction de l’énergie et des mines de la wilaya de Béchar, c’est un groupe industriel algéro-turc qui commencera les opérations d’extraction à la mine de Menouna. Dans une première phase, elle produira entre 7.000 et 10.000 tonnes de charbon par mois, destinées à la satisfaction des besoins nationaux, en plus de l’exportation lors d’une prochaine étape. Par besoins nationaux, faut-il entendre la production d’électricité, comme cela avait été envisagé il y a une dizaine d’années ?

En septembre 2012, le charbon avait été intégré, en même temps que le gaz de schiste, dans la démarche énergétique algérienne. Le parc de centrales électriques dont disposait alors le pays suffisait à répondre aux besoins du moment, mais les prévisions indiquaient une forte croissance de la demande d’électricité. Les pics de consommation en été, dus à la hausse des températures qui entraîne un recours massif à l’utilisation des climatiseurs, provoquaient des dysfonctionnements, causes de coupures de courant insupportables. Les regards s’étaient tournés vers la mine de Kenadsa. Le lancement de centrales à charbon pour la production d’électricité était envisagé. Un conseiller du ministre de l’Energie faisait savoir qu’à l’horizon 2030-2040, le charbon représenterait 20 % du mix énergétique en Algérie.

Un an après, en septembre 2013, le ministre de l’Energie et des Mines, Youcef Yousfi à l’époque, cité par l’APS, déclarait : « Nous étudions la possibilité de rouvrir les mines de charbon et d’avoir une centrale électrique qui fonctionnerait au charbon. Ceci permettrait de créer des emplois locaux et d’exploiter cette ressource naturelle ». « On va voir si c’est possible de produire du charbon et à quel coût », avait-il ajouté. La reprise de l’activité d’extraction de charbon devait permettre d’améliorer la couverture en électricité de toute la région de Béchar.
L’intérêt pour le charbon était fondé sur les informations données par la direction locale de l’énergie et des mines concernant « la région de Béchar qui recèle un important gisement de charbon subdivisé en trois sous-bassins, qui totalisent des réserves potentielles de plus de 208 millions de tonnes, dont le plus important est celui de Kenadsa (30 km du chef-lieu de wilaya) estimé à 142 millions de tonnes ». Avec seulement 20 millions de tonnes, « il est possible de faire fonctionner une centrale électrique de 300 à 400 MW durant 30 ans », assurait un responsable du secteur de l’énergie. Mais la filière charbon fut subitement abandonnée, discrètement et sans raison apparente, jusqu’à cette annonce, il y a quelques jours, de la prochaine mise en exploitation du gisement de Menouna.

Entre temps, comparativement à ce qu’il était il y a dix ans, le contexte énergétique a complètement changé, en Algérie et dans le voisinage euro-méditerranéen. D’après les données officielles, la production actuelle d’électricité en Algérie (plus de 24 000 mégawatts, quasi-exclusivement à partir de centrales à gaz) dépasse largement la consommation nationale (14 000 MW, avec un pic de près de 17 000 MW le 14 août 2022) ; il y a un excédent de 10 000 MW qui est proposé à l’exportation vers l’Europe confrontée à une crise de l’électricité et à une crise du gaz, conséquences de la guerre russo-ukrainienne. Les autorités algériennes veulent exporter plus d’électricité et plus de gaz naturel.

Au cours de sa visite en Italie, en mai 2022, le président Abdelmadjid Tebboune a fait état de la proposition de l’Algérie de réaliser un câble sous-marin entre l’Algérie et l’Italie en vue d’approvisionner ce pays et une partie de l’Europe en énergie électrique. Il s’agit du projet d’interconnexion électrique par câble sous-marin entre l’Algérie (Cheffia) et l’Italie (Sardaigne) pour une capacité de 1.000 à 2.000 MW. Les prévisions officielles estiment que la capacité de production d’électricité est appelée à augmenter de 6.000 MW avec la réalisation des investissements en cours, ce qui permet d’atteindre une capacité de production de 30.000 MW à l’horizon 2031-2032 et ensuite, à l’horizon 2035, dépasser les 40.000, voire les 45.000 MW, dont 50 % à partir de sources renouvelables.

Dans ce programme, rien n’indique que le charbon qui sera extrait de la mine de Menouna ira approvisionner une centrale électrique, qui, dans ce cas, devra être construite et dotée de technologies permettant de réduire l’impact sur l’environnement, en particulier sur le changement climatique. Le charbon irait certainement dans la sidérurgie, où il y a des besoins à satisfaire. Dernièrement, le haut fourneau du complexe industriel Sider d’El Hadjar (Annaba) qui était à l’arrêt, n’a pu être remis en marche que grâce à une cargaison de charbon de 34 000 tonnes, amenée de Russie. Ce chargement devait être suivi d’une autre cargaison, estimée à plus de 17 000 tonnes.

Aucun responsable algérien n’a parlé de l’utilisation du charbon pour la production d’électricité. Le cap est maintenu sur les énergies renouvelables et l’économie d’énergie. Le directeur général des études et de la prospective au ministère de l’Énergie et des Mines, Miloud Medjelled, l’a confirmé dans son intervention à la chaîne 1 de la radio algérienne (jeudi 15 décembre 2022). Il faut «rationaliser la consommation d’énergie, d’autant plus qu’elle est en constante augmentation», a-t-il dit. Miloud Medjelled a également souligné que la politique du gouvernement vise à mettre en œuvre le programme des énergies renouvelables en un temps record, ce qui permettra la fourniture d’énormes quantités de gaz naturel qui seront destinées à l’exportation. Par ailleurs, pour expliquer le non recours à l’exploitation du gaz de schiste, les responsables algériens relèvent qu’il existe encore de nombreux gisements de gaz conventionnel inutilisés dans l’ouest algérien et deux grands gisements inexploités en offshore.

Tout récemment, alors qu’il visitait le pavillon des industries pétrolières du groupe Sonatrach, à la Foire de la production algérienne (FPA-2022, 13-24 décembre 2022, Palais des Expositions des Pins Maritimes, Alger), le président Tebboune a fait connaître le cap fixé par l’Algérie dans le domaine du gaz : atteindre en 2023 une production de 100 milliards de m3 de gaz destinée exclusivement à l’exportation. « Nous produisons actuellement près de 102 milliards de m3 de gaz, dont la moitié est consommée localement», a-t-il rappelé. Les quantités supplémentaires de gaz naturel qui seront exportées en 2023 viendront de nouveaux champs gaziers, notamment ceux mis en production en 2022, et des quantités de gaz naturel épargnées grâce à l’économie d’énergie et aux nouvelles réalisations en énergies renouvelables.

A la fin décembre 2021, selon un bilan établi par le Commissariat aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique (CEREFE), la capacité d’énergies renouvelables installée, en considérant l’ensemble des projets raccordés et non-raccordés au réseau, s’élevait à 567,1 MW (mégawatts). C’est peu par rapport à l’objectif visé par l’Algérie : 1000 MW par an pour avoir 15 000 MW d’énergie solaire en 2035. Pour y parvenir, il faudra accélérer la cadence et installer chaque année plus de 1000 MW.

En parallèle, l’Algérie ambitionne d’être un acteur clé dans le domaine de l’hydrogène vert. Le président Tebboune a affirmé que cela était possible. Des partenaires étrangers qui ont eu à discuter avec les responsables algériens concernés, estiment que « l’Algérie possède toutes les conditions pour pouvoir jouer un rôle important dans ce domaine à l’avenir ». Déjà en 1996, alors que le pays se trouvait confronté au terrorisme, des scientifiques européens qui s’intéressaient à l’hydrogène comme porteur d’énergie, proposaient qu’il soit produit par l’énergie solaire au Sahara et transporté par pipe-line vers l’Europe. L’avantage de l’hydrogène (moins polluant) par rapport aux énergies fossiles était mis en avant. A cette époque, les Algériens étaient entièrement concentrés sur la lutte contre le terrorisme, les idées sur l’hydrogène étaient limitées à quelques milieux très spécialisés.

La volonté des autorités algériennes de développer la filière de l’hydrogène vert et ses usages pour la transition énergétique sont maintenant inscrits dans le plan d’action du gouvernement. Le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, évoque systématiquement cette filière dans ses interventions sur la politique énergétique de l’Algérie et dans ses discussions avec les partenaires étrangers. Dans l’entretien accordé au journal allemand Spiegel, en juin 2022, il a parlé de l’intention de travailler avec l’Allemagne sur la production d’hydrogène vert produit à partir de l’électrolyse de l’eau alimentée par l’électricité d’origine renouvelable, dont le solaire photovoltaïque. De leur côté, les experts des Pays-Bas, qui étaient présents au 12e Salon des énergies renouvelables, énergies propres et développement durable (ERA, Centre des conventions, Oran, 24 au 26 octobre 2022), imaginent déjà l’exportation de l’hydrogène vert par bateau du port d’Oran vers le port d’Amsterdam.
Au cours du 12e Salon ERA, Sonatrach a annoncé deux projets pilotes au sud du pays en 2023 et 2024. « L’objectif principal est le développement d’une expertise et la maîtrise technologique sur l’ensemble de la chaine de valeur de l’hydrogène vert depuis la production, le stockage, le transport, jusqu’aux applications », explique un responsable de Sonatrach. Il s’agit de tester les différentes technologies d’électrolyseurs, de stockage et de transport. Plus concrètement, un accord stratégique a été passé, en décembre 2021, entre Sonatrach et son partenaire italien Eni sur un projet de développement de l’hydrogène, en tant que vecteur énergétique propre, notamment l’hydrogène vert. Dans la conception de Sonatrach, l’hydrogène est présenté comme axe majeur de la transition énergétique et pourra se substituer dans l’avenir, en partie, aux hydrocarbures dans de nombreux domaines d’activité économique, dont la pétrochimie, la cimenterie, la sidérurgie, le stockage des énergies renouvelables, et la mobilité. En même temps, le marché de l’hydrogène vert est vu comme un potentiel de croissance « très prometteur », avec des possibilités d’exportation en remplacement du gaz naturel dans les gazoducs de Sonatrach à l’horizon 2030.

Le gouvernement prépare en ce moment une stratégie de développement de la filière hydrogène, pour donner aux acteurs nationaux et internationaux la visibilité nécessaire quant aux politiques, réglementations et mesures d’incitation et d’encouragement qui seront adoptées par les pouvoirs publics. Dans un entretien accordé à la chaîne 3 de la radio algérienne (27 novembre 2022), le Commissaire aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique auprès du Premier ministre, Noureddine Yassaa, a révélé que « la première ambition de l’Algérie est de produire 1 à 2 millions de tonnes d’hydrogène à horizon 2040 », en précisant que cette démarche inclut l’hydrogène dit bleu, déjà produit en Algérie à partir du gaz naturel. Concernant, plus précisément, la production d’hydrogène vert, il a fait savoir que des discussions ont lieu pour lancer les premiers projets pilotes.

Cet article a été publié dans La Nouvelle République (Alger) du mardi 20 décembre 2022.

Photo du haut : mine de charbon en Algérie © La Nouvelle République (Alger)