Energies renouvelables en Algérie : l’exigence de passer à la vitesse supérieure

L’Algérie devra mettre les bouchées doubles pour réaliser son objectif de 15 000 mégawatts d’énergie solaire en 2035. Ce constat a été confirmé lors du 12e Salon international des énergies renouvelables, énergies propres et développement durable (ERA, Oran, 24-26 octobre 2022).

par M’hamed Rebah

L’appel à investisseurs pour la réalisation des centrales photovoltaïques, dans le cadre du projet Solar 1000 MW pour la production l’électricité, a été lancé le 23 décembre 2021, au moment où, selon un bilan établi par le Commissariat aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique (CEREFE), la capacité d’EnR installée, en considérant l’ensemble des projets raccordés et non-raccordés au réseau, s’élevait à 567,1 MW (mégawatts), dont 438,2 MW hors hydroélectricité. Le programme a commencé en 2021, à raison de 1000 MW par an. Un rythme qui n’a pas été atteint. A la fin 2022, également, il ne sera pas atteint. Selon le rapport du CEREFE, 59 MW de centrales solaires photovoltaïques destinées à l’hybridation et près de 12 MW hors réseau sont prévues en 2022. Pour avoir 15 000 MW d’énergie solaire en 2035, il faudra donc accélérer la cadence et installer plus de 1000 MW par an. Certes, comme on le dit chez nous, « tout retard comporte un bienfait », la technologie du solaire connaît des avancées rapides, le retard de l’Algérie pourrait être mis à profit par l’exploitation des innovations intervenues entretemps, notamment dans l’efficacité des cellules et l’optimisation du rendement des installations solaires. Le plus important est dans le niveau d’ensoleillement-  3 000 heures par année – dont dispose l’Algérie. Pour les responsables du Groupe Sonelgaz, qui distribue l’électricité, cela pousse à investir dans la réalisation des ouvrages photovoltaïques.

30 % de local

Le cahier des charges relatif au projet de réalisation des centrales photovoltaïques Solar 1000 MW exige des investisseurs un taux d’intégration nationale d’au moins 30 %. Cette mesure vise, selon les autorités algériennes, principalement  « à encourager et à promouvoir le développement de l’industrie locale ». Le taux de 30 % d’intégration correspond aux équipements et travaux qui peuvent être réalisés par les entreprises algériennes. En mai 2022, à Laghouat, lors d’une journée d’information sur la promotion du contenu local dans le cadre de cet ambitieux projet, le ministre de l’Energie et des Mines, Mohamed Arkab, a appelé les entreprises locales, publiques et privées, à y participer activement, ajoutant que les pouvoirs publics accordent « un intérêt soutenu » à sa réussite. Parmi les arguments avancés par le ministre : la création des opportunités d’emplois supplémentaires et l’élargissement du portefeuille des projets des industriels locaux activant dans les énergies renouvelables. Les universités, centres de recherche, start-up et petites et moyennes entreprises sont sollicitées dans ce sens. Le bilan établi par le CEREFE recense, en termes de potentiel en ressources humaines qualifiées, au niveau du secteur de l’enseignement supérieur et la recherche et développement, 1.020 éléments à la fin décembre 2021 entre chercheurs permanents (443) et enseignant-chercheurs (577) qui activent dans le domaine EnR. Plus de 72 % des chercheurs ont un doctorat.

Pour sa part, la Société de développement des énergies renouvelables (SHAEMS) a lancé une campagne de recensement des fabricants nationaux à haut potentiel dans le domaine des énergies renouvelables. Les premiers résultats incitent à l’optimisme, de l’avis des principaux responsables de cette société. SHAEMS fait office de guichet unique et d’interface avec les investisseurs potentiels et assurera l’exploitation des centrales et la commercialisation de l’énergie produite. Pour avoir un repère sur le potentiel industriel national en matière d’EnR (énergies renouvelables), il faut noter qu’une cinquantaine d’exposants (parmi lesquels il faut compter des nationaux non-professionnels des EnR) étaient présents à la 12e édition de ERA, qui a été inaugurée par le secrétaire général du ministère de l’Environnement et des Energies renouvelables, Bouziane Mahmah. Dans son allocution d’ouverture, Bouziane Mahmah a souligné « l’importance accordée par l’Etat aux énergies renouvelables ainsi que les efforts fournis dans le domaine de la transition et l’efficience énergétiques ». S’agissant de l’hydrogène vert, thème majeur du 12e Salon ERA, il a confirmé que l’Algérie dispose de tous les atouts pour devenir leader dans la production de cette nouvelle source d’énergie. Au cours du Salon, Mohamed Boutouchent, cadre supérieur à la Direction centrale des ressources nouvelles du groupe Sonatrach, cité par l’APS (Algérie Presse Service), a annoncé deux projets pilotes de production d’hydrogène vert au sud du pays en 2023 et 2024, dont « l’objectif principal est le développement d’une expertise et la maîtrise technologique sur l’ensemble de la chaine de valeur de l’hydrogène vert depuis la production, le stockage, le transport, jusqu’aux applications ». Sonatrach, avec ces projets pilotes, vise à tester les différentes technologies d’électrolyseurs, de stockage et de transport.

Le bilan du CEREFE donne des chiffres qui montrent des progrès réels mais peu perceptibles : les kits solaires installés dans les zones isolées, évalués à 17,2 MW, constituent près de la moitié (46 %) de l’ensemble des installations solaires hors réseau recensées à la fin décembre 2021 ; le programme de solarisation des écoles, évalué à une capacité totale de 6,7 MWc (mégawatts crête) à la fin décembre 2021, a connu une augmentation de + 2,8 MWc, réalisés entre 2020 et 2021, soit +  73 % d’augmentation par rapport à la fin décembre 2019; près de 840 écoles réparties sur l’ensemble du territoire national ont été équipées de systèmes solaires photovoltaïques à la fin décembre 2021 ; une capacité additionnelle de 2 MW est en cours de réalisation et concernera près de 339 écoles; sur une capacité totale de 9,9 MWc installée à la fin décembre 2021, l’éclairage public solaire représente désormais près d’un tiers (27 %) des installations solaires hors réseau ; à la fin décembre 2021, les capacités d’éclairage public solaire installées ont plus que doublé par rapport à la fin décembre 2019 (soit + 206 % d’augmentation). Les kits solaires distribués aux villages enclavés et aux populations nomades permettent d’éclairer, faire fonctionner le réfrigérateur, regarder la télévision, recharger le téléphone. Les chauffe-eau solaires entrent discrètement dans le paysage énergétique. On peut en trouver sur les toits des écoles, dans les mosquées. Il y en a un dans la cour du siège de l’Association écologique de Boumerdès (AEB), qui est également doté d’un panneau solaire pour son alimentation électrique.

Fin septembre dernier, le Conseil national économique, social et environnemental (CNESE) a équipé son siège à Alger, d’une centrale électrique solaire constituée de 282 cellules, d’une capacité de production de 106 kilowattheures, sur une superficie de 800 m2 au niveau du parking. Cette centrale réalisée avec des ressources humaines et des capacités algériennes est, symboliquement, un exemple pour d’autres établissements institutionnels. Plus important : le nouveau terminal de l’aéroport Ahmed Ben Bella d’Oran, d’une capacité de 3,5 millions de passagers par an, est partiellement alimenté par plus de 4 500 panneaux solaires d’une capacité totale d’1,7 MW, posés sur l’immense toiture. L’objectif visé est d’équiper les onze aéroports de l’ouest et sud-ouest du pays en installations d’énergies renouvelables.

Economie d’énergie

La notion de sobriété énergétique, qui est une préoccupation politique de premier plan, présente dans l’opinion publique en Europe, reste peu familière en Algérie et, semble-t-il, inconnue dans la classe politique. Le dimanche 14 août, à 15 h, suite à la hausse des températures en Algérie, un nouveau record de consommation d’électricité au niveau national avait été enregistré, atteignant 16.822 MW. Ce pic de consommation n’a été suivi d’aucun appel à l’économie d’énergie. Au contraire, le porte-parole du Groupe Sonelgaz a déclaré que ce fait exceptionnel  « n’a eu aucune incidence sur l’état de la distribution, ni du fonctionnement du réseau électrique national et de ses équipements ». Cet événement a été vu comme « un autre exploit pour Sonelgaz et son personnel également ».

Le site Energy Magazine a rappelé à cette occasion que « la consommation d’électricité a lieu (statistiques 2019) à raison de 46 % dans le secteur domestique (logements et dépendances), 11 % dans les collectivités locales, et 9 % dans le secteur du commerce et des services divers. Ce qui fait 66 % au total dans des domaines énergivores en matière de climatisation ». La même source a fait remarquer que « le modèle de consommation énergétique actuel est basé sur une forte consommation de gaz naturel en hiver pour le chauffage et une forte consommation d’électricité en été pour la climatisation ». Pour Energy Magazine, « l’absence d’isolation dans la majorité des immeubles ou des constructions individuelles, ainsi que la « démocratisation » du climatiseur dans les maisons, avec parfois 2 à 4 climatiseurs par foyer, ont rendu l’été de plus en plus énergivore ».

L’Agence nationale pour la promotion et la rationalisation de l’utilisation de l’énergie (APRUE) a promis un bilan national détaillé sur la consommation énergétique finale, nationale et par secteur d’activité, et une analyse de la tendance des indicateurs d’efficacité énergétique. Selon l’APRUE, l’Algérie, en misant sur le potentiel énorme de l’efficacité énergétique, vise une réduction d’au moins 10 % de sa consommation d’énergie finale, d’ici 2030, par rapport à l’année de référence 2020. Pour le premier semestre 2022, l’APRUE a annoncé avoir réalisé des « résultats encourageants » dans des projets qu’elle avait lancés durant cette période, notamment la conversion de 41.200 véhicules thermiques (à essence) au GPLc  (gaz de pétrole liquéfié pour la carburation)sur les 50.000 prévus.

L’Algérie à la COP27

La ministre de l’Environnement et des Energies renouvelables, Samia Moualfi, a fait savoir, récemment, que le gouvernement œuvre à placer l’Algérie dans « une position très avancée à l’échelle internationale » en matière de respect des engagements internationaux inhérents aux changements climatiques. Le président Abdelmadjid Tebboune participe au Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement sur la mise en œuvre des engagements climatiques, qui se tient les 7 et 8 novembre 2022, à Charm El Cheïkh (Egypte), dans le cadre de la 27e session de la Conférence des Etats parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 27, Charm El Cheïkh, 6 novembre-18 novembre 2022). On sait déjà que la COP28 se déroulera à Dubaï (Emirats arabes unis). Le Sommet arabe qui s’est tenu à Alger, les 1er et 2 novembre, a exprimé son soutien à l’Egypte qui abrite la COP 27 et a mis l’accent sur « la conjugaison des efforts en vue de consolider les capacités arabes collectives en matière de riposte aux défis posés, notamment, dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques, tout en appelant au développement impératif des mécanismes de coopération en vue de l’institutionnalisation de l’action arabe dans ce domaine ».
Pour le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, la COP27 peut être un « tournant vers l’espoir ». La COP27 doit être le moment de « reconstruire la confiance et de rétablir l’ambition nécessaire » pour éviter une catastrophe climatique, a déclaré le chef de l’ONU lors d’une conférence de presse jeudi 3 novembre. Il est temps de conclure un pacte historique entre les économies développées et émergentes, un pacte dans lequel les pays développés réaliseront les engagements pris à Paris, pour aider les économies émergentes à accélérer leur transition vers les énergies renouvelables, a souligné Antonio Guterres. « La COP27 doit être le lieu où combler le fossé de l’ambition, le fossé de la crédibilité et le fossé de la solidarité. Le monde doit s’unir pour soutenir les pays en développement et les communautés vulnérables », a-t-il conclu.

Cet article a été publié en deux parties dans La Nouvelle République (Alger) du dimanche 6 et du lundi 7 novembre 2022.

 

Photo du haut : chauffe-eau solaire dans la cour du siège de l’Association écologique de Boumerdès (AEB), en Algérie © AEB