Un rapport épingle le plan de relance forestier

« Planté ! Le bilan caché du plan de relance forestier » : tel est le titre du rapport que vient de publier l’association Canopée, qui protège les forêts en France et dans le monde.

par Jean-Claude Génot *

Le plan de relance forestier a été lancé fin 2020 dans le cadre du plan France Relance 2030, dont l’objectif est de dynamiser l’économie française avec un budget de 100 milliards d’euros financé à près de 40 % par l’Union européenne. Ce plan de relance forestier a été présenté par une campagne de communication qui sert à impressionner le grand public : 50 millions d’arbres à planter en deux ans sur 45 000 hectares, 150 000 tonnes de CO2 supplémentaires fixées et une dotation de 200 millions d’euros, qui ne représente finalement que 0,2 % du plan global. Sur ces 200 millions, 150 sont attribués à un fonds forêt pour financer les travaux de coupe et de plantation, car pour le ministre de l’Agriculture, la forêt ça se cultive comme un champ d’arbres : on coupe tout puis on plante.

L’association Canopée, qui protège les forêts en France et dans le monde, vient de rédiger un rapport sur ce plan de relance forestier, intitulé « Planté ! Le bilan caché du plan de relance forestier », téléchargeable sur leur site. Le ministre de l’Agriculture avait promis la transparence en présentant ce plan, mais Canopée a dû se rendre à l’évidence : promesse non tenue ! L’association a demandé huit fois au ministère la liste des parcelles ayant bénéficié des fonds du plan de relance,  en vain. De même, les grandes coopératives forestières n’ont pas communiqué les parcelles ayant reçu de l’argent public. De ce fait, Canopée a mené son enquête à l’aide d’entretiens auprès de professionnels de la filière, d’agents de l’ONF, d’élus locaux et de fonctionnaires, dont certains n’ont pas souhaité que leur nom figure dans le rapport qui présente quatre études de cas détaillées.

Affiche sur le plan de relance forestier

Le rapport peut se résumer en quelques chiffres : 87 % des projets financés en forêt privée sont des coupes rases suivies de plantations, les plantations sont majoritairement des monocultures et la principale espèce plantée est le douglas. Or, le plan de relance a pour objectif d’adapter la forêt au changement climatique et on favorise une espèce qui, dans la majorité des cas, n’est pas adaptée au réchauffement du climat. Soixante-dix pour cent des espèces plantées sont des résineux ; le robinier et le chêne rouge, espèces à caractère invasif notoire, ont été plantées à hauteur respective de 3 et 4 % des surfaces. Ces plantations concernent trois types de situations :
– les parcelles touchées par des agents pathogènes comme les scolytes : comment ne pas s’étonner qu’on puisse planter des monocultures de résineux comme le douglas à la place d’anciennes plantations mono-spécifiques de résineux comme l’épicéa, détruites par les scolytes !
– les parcelles vulnérables aux effets des changements climatiques : il est question dans les critères de « risque de dépérissement potentiel » et de situations où l’essence principale « est compromise », ces indications sont tellement floues qu’elles peuvent mener à tous les abus;
– les parcelles dites « pauvres » ou « à faible valeur économique » : en l’absence de critères précis sur la dite « pauvreté », des gestionnaires peuvent raser des forêts en bon état sanitaire pour y faire des plantations. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé dans une des études de cas présentée, une propriété privée dans le Puy-de-Dôme. Il s’agit d’un mélange de sapins et de feuillus divers avec des arbres désignés comme tiges d’avenir, qui a été coupé à blanc et planté avec du douglas en quasi monoculture.

Il est fort probable que certaines de ces plantations ne survivront pas aux prochaines sécheresses ou aux gels hivernaux ou printaniers. D’ailleurs, une plantation réalisée fin 2020 dans le massif vosgien avec des cèdres sur 3 hectares en forêt domaniale de Dabo (Moselle) a conduit, un an plus tard, à un taux d’échec des jeunes plants de 40 %. Les apprentis sorciers de l’ONF ont planté cet « îlot d’avenir » à la place d’une régénération naturelle de hêtres qui avait été également subventionnée 20 ans plus tôt par des fonds publics….

Plantation d’épicéas laissée en libre-évolution, et photographiée en 2015, après un pic épidémique de scolytes ayant eu lieu en 2001 dans le Bas-Rhin : la régénération s’installe spontanément © Jean Poirot Tétrarchives

Les autres études de cas montrent que ce plan de relance subventionne les coupes rases et l’enrésinement. Dans la droite ligne du programme national de la forêt et du bois 2016-2026 qui préconise d’« adapter les sylvicultures pour mieux répondre aux besoins des marchés», le plan de relance cherche à s’adapter à la demande de la filière bois industrielle qui veut des résineux de faible diamètre. Ce plan sert les intérêts des grandes coopératives forestières en incitant les travaux lourds et coûteux, sans conditions contraignantes et dans un climat total d’opacité. Il est impossible en deux ans (les travaux doivent être effectués avant le 1er octobre 2024) d’observer une régénération naturelle et décider si éventuellement il est nécessaire de la compléter par des plants. Ces délais de mise en œuvre trop courts conduisent à ne pas pouvoir envisager la régénération naturelle, mais à planter la totalité d’une parcelle, donc à y faire une coupe rase au préalable. A l’heure où l’on vante tant les solutions fondées sur la nature, le ministre de l’Agriculture obéit à la filière bois, dont la conception de l’adaptation aux changements climatiques se résume à adopter les bonnes vieilles recettes du passé : coupes rases et introductions de résineux exotiques qui n’ont rien de durable, comme le montrent les dépérissements massifs des épicéas en plaine. Un autre effet induit par ce plan de relance forestier est souligné par Canopée, à savoir soutenir un modèle social de gestion non soutenable de la forêt : « En forêt privée, en favorisant les coopératives forestières, le plan de relance accentue une distorsion de concurrence avec d’autres opérateurs de gestion forestière privilégiant une approche basée sur l’observation et l’amélioration des peuplements existants plutôt que leur transformation par de lourds travaux ». Pour ce qui est des forêts publiques, 475 postes doivent être supprimés à l’ONF par le gouvernement d’ici les cinq prochaines années. Cela privera la forêt publique de personnels capables d’initier et de suivre la régénération naturelle des forêts, au profit de travaux lourds systématiques (coupes rases, dessouchages, plantations) qui détruisent la biodiversité et la naturalité des forêts pour en faire des champs d’arbres.

Enfin, les programmes régionaux de la forêt et du bois rendent éligibles aux subventions du plan de relance 67 espèces exotiques sur 129 au total. Ces espèces présentent des risques écologiques importants, soulignés par la Société botanique de France qui alerte les pouvoirs publics : « un certain nombre de ces espèces, utilisées dans le passé ou encore actuellement, posent question puisque, en France ou dans d’autres pays, leur introduction a pu induire de graves crises écologiques et, donc, économiques : invasions biologiques, introduction d’agents pathogènes, érosion de la biodiversité, aggravation d’incendies de forêt, etc. » Ce plan France Relance s’inscrit dans le Green Deal de l‘Union européenne et implique des engagements de la France en matière de biodiversité, notamment de veiller à ce qu’aucune mesure prise ne cause de préjudice important aux objectifs environnementaux. Or, aucune évaluation écologique de ce plan n’a été effectuée. Contrairement à ce que souhaite la Commission européenne, les enjeux de biodiversité n’ont pas été intégrés aux documents de gestion des forêts bénéficiant du plan de relance. De plus, près de 16 % des opérations de plantations, donc de coupes rases, ont été effectuées dans des sites Natura 2000, or les coupes rases nuisent à l’état de conservation des habitats de la directive européenne.

Croire qu’on adapte la forêt aux changements climatiques avec des champs d’arbres d’espèces exotiques en lieu et place de forêts feuillues est une pure escroquerie que les travaux scientifiques démentent totalement en matière de fixation de carbone et d’atténuation du réchauffement climatique (1). C’est également la meilleure manière d’accentuer la perte de biodiversité dont le gouvernement n’a pas l’air de se préoccuper. L’Etat démontre avec ce plan de relance forestier qu’il n’agit pas dans l’intérêt général mais pour les intérêts particuliers d’une oligarchie forestière, celle des coopératives. Il ne reste plus à la société civile qu’à résister et se rebeller contre ces politiques productivistes et extractivistes de la forêt, notamment en créant des groupements forestiers citoyens (2) pour acheter collectivement des forêts et les gérer de façon écologique. En attendant, la communication de ce plan de relance donne une assez bonne image de ce à quoi aspire l’industrie du bois avec une affiche (voir photo) où un enfant court vers un champ de résineux censé remplacer un milieu ouvert alors que ces plantations de résineux se font à la place d’autres parcelles de forêts. L’affiche nous désinforme que « l’Etat investit pour une France plus écologique » et un slogan « Replanter pour respirer » traduit certainement la bouffée d’oxygène que représentent les subventions publiques pour les finances des coopératives forestières…

* Ecologue

(1) Kim Naudts, Yiying Chen, Matthew J. McGrath, James Ryder, Aude Valade, Juliane Otto, Sebastiaan Luyssaert. 2016. Europe’s forest management did not mitigate climate warming. Science 351 : 597-600. Katherine A. Allen, Veiko Lehsten, Karen Hale, and Richard Bradshaw. 2016. Past and Future Drivers of an Unmanaged Carbon Sink in European Temperate Forest. Ecosystems DOI: 10.1007/s10021-015-9950-1.

(2) Alain Persuy. 2022. Sauvez les forêts. Petit manuel de résistance citoyenne. Double ponctuation

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Photo du haut : une forêt coupée et broyée pour y planter des cèdres en forêt domaniale de Dabo (Moselle) © Christian Diss