Pourquoi la France devrait s’inquiéter de sa sécurité alimentaire

Le blé est le premier ingrédient de l’essence bio, le bioéthanol. Le blé pour faire du blé, la France importe de plus en plus d’aliments pour nourrir sa population, et transforme de plus en plus sa production agricole en gaz, électricité et carburant. En 2017, outre les cultures gazières, 700 000 ha étaient déjà dédiées à faire de l’essence et du gasoil bio (source FranceAgriMer) ! Toutes ces cultures, pour nourrir les moteurs, consomment bien évidemment des engrais chimiques et des pesticides.

par Christophe Gatineau

Nous importons 50 % de nos fruits et légumes !

À la question d’un auditeur qui s’interrogeait sur notre sécurité alimentaire, nos importations d’aliments ayant doublé en 20 ans, l’économiste Bruno Parmentier répond le 29 mars sur France Inter :  « La France produit beaucoup plus de blé qu’elle n’en mange. » Mais elle mange aussi 2 fois plus de fruits et légumes qu’elle n’en produit !!! En plus d’importer 70 % des légumes secs consommés, 34 % des volailles, 25 % de la viande de porc… (Source Haut-Commissariat au Plan : La France est-elle une grande puissance agricole et agroalimentaire ? Juillet 2021)

La source est officielle, mais son rapport pas très rassurant. Et la réponse politique l’est encore moins. Tels des capitaines d’industrie : s’il faut produire plus, on produira plus ! Car ces gens-là pensent l’agriculture comme une industrie parmi d’autres. Et à un problème complexe, une réponse simple : comme s’il suffisait d’augmenter les cadences de production comme dans une usine.

L’agriculture est une industrie, fini la paysannerie

Sur la même longueur d’ondes, le 6 février 2017, le Président Sarkozy voyait dans l’agroécologie la destruction de notre puissance agricole ! Et lors de l’inauguration du dernier Salon de l’agriculture, le Président Macron n’a pas vu autre chose dans la compétitivité de l’agriculture : la compétition, la performance, le numérique, la robotique, la génétique… L’agriculteur est un entrepreneur, pas un paysan ! Et le 22 mars 2022, les ministres européens de l’Agriculture ont également vu la même chose. À croire qu’ils regardent tous dans la même direction

Réunis à Bruxelles, les ministres ont tout bonnement proposé de déverdir l’agriculture en supprimant toutes les mesures de protection de l’environnement. Guerre russo-ukrainienne oblige, produisons coûte que cela coûte en termes de climat, pollutions… On suppose que les marchands de pesticides se sont frottés les mains. Par ici la bonne soupe ! Et pas qu’eux !

D’accord, ils n’ont pas dit déverdir, mais « libérer le potentiel de production en Europe ». En bonne politique, les bons mots. En revanche, pas un seul sur l’impact de cette libéralisation sur la mauvaise santé des sols, les vers de terre… ou l’intensification des sécheresses qui mettent déjà en difficulté la production agricole européenne. Et les perspectives climatiques sont effroyables : aux canicules estivales succèdent les canicules hivernales et les printemps polaires…

Sur Franceinfo, le 29 mars, l’hydrologue Emma Haziza lance : « On n’a surtout pas compris ce que signifie le manque d’eau ». En réponse, la FNSEA veut construire des réserves d’eau XXXL histoire d’aggraver les problèmes.  Des méga-bassines ! Au lieu de recharger les nappes phréatiques pendant l’hiver, en séquestrant l’eau dans le sol, comme pour le carbone, elle restera à l’air libre, soumise à tous les aléas climatiques et sanitaires. Et avec les canicules, l’évaporation contribuera à intensifier le cycle de l’eau ! Bref, guerre de l’énergie, guerre de l’eau, nous y sommes déjà. Et, bonne nouvelle, nous ne mourrons peut-être pas de faim, mais de soif.

Le vrai problème de l’agriculture française, c’est qu’elle est dopée !

Autant que les coureurs (cyclistes NDLR) à une certaine époque. La puissance d’un Marco Pantani nous faisait tous vibrer une fois qu’il avait fait le plein. Et le carburant de notre puissance agricole, c’est l’engrais NPK. Sans cet engrais, nous sommes impuissants. Et le dernier rapport du Haut-Commissariat au Plan est sans appel à ce sujet : « La puissance céréalière de la France n’est rendue possible que par le recours à la fertilisation des sols qui suppose, entre autres, des apports en azote et en phosphore… » Des engrais que nous n’avons pas, et qui sont en grande partie dans les mains des Russes et leurs alliés, nos nouveaux ennemis.

Comment expliquer l’importance de ces engrais

C’est comme si la France soutenait être une grande puissance militaire, car elle posséderait le plus de canons, mais qu’elle soit obligée d’acheter la poudre à ses ennemis… Pas très sécurisant ! En stratégie militaire, on appelle ça une ligne Maginot.

Rapport du Haut-Commissariat au Plan : « Plus largement, la France est dans une situation de dépendance stratégique à d’autres facteurs indispensables aux processus de production agricole et de transformation industrielle : dépendance énergétique bien entendu, au gaz et au pétrole nécessaires au bon fonctionnement des engins agricoles, mais aussi dépendance à certaines machines agricoles robots et logiciels. »

Les rapporteurs insistent sur cette dépendance stratégique, car elle remet en cause la sécurité nationale.

Bref, pour maintenir notre puissance agricole, comme une fuite en avant, notre consommation d’engrais ne cesse d’augmenter, augmentant notre dépendance stratégique : « Nos importations d’engrais ont augmenté de 75 %, passant de 1,05 milliard d’euros à 1,84 milliard d’euros de 2001 à 2019, faisant gonfler notre déficit sur la même période de 69 %… » Ainsi dopée, notre puissance agricole est réelle.

Premier exportateur mondial d’alcool !

Troisième exportateur mondial de céréales, avec seulement 6,7 % du marché mondial, le marché étant méga-dominé par les Russes et les Ukrainiens. Pour l’anecdote, sans engrais NPK et vu l’état de nos sols, nous serions obligés d’importer du blé, car nos rendements seraient divisés par 3, 4 ou 5. Outre que, contrairement aux pays de l’Est, la France est en plus soumise à une intensification des sécheresses et des canicules hivernales. 4e exportateur mondial de lait et produit laitiers, etc. Sous ce vernis, une grande fragilité de notre modèle agricole, une insécurité alimentaire.

Certains disent qu’il faut diminuer notre consommation de viande

Et il le faut. Diminuer l’élevage, car un tiers de notre production de blé va à l’engraissement des animaux. Mais diminuer la viande réclamera aussi d’augmenter nos importations de fruits et légumes, nous en importons déjà la moitié… ou d’investir massivement dans leur production, des cultures par ailleurs très gourmandes en engrais, en eau et en main-d’œuvre sous-payée… Plus que notre manière de consommer, c’est notre manière de nous développer et de faire de l’agriculture qu’il faut revoir. On peut aussi faire de l’élevage autrement, en symbiose avec les écosystèmes et la planète, sauf que le gouvernement a décidé d’intensifier les élevages hors-sols pour intensifier la production et moderniser l’agriculture.

Dire qu’aujourd’hui, la bouse de la vache vaut plus cher que son lait si on en fait du gaz.

Idem pour le maïs, qui rapporte trois fois plus à l’agriculteur s’il en fait de l’électricité Et le Président Macron n’en est pas peu fier de cultiver le même sillon que ses prédécesseurs Sarkozy et Hollande. Dans sa lettre de candidature : « Nous avons pu continuer à moderniser notre agriculture ! » Une vache modernisée produit en plus du gaz, de l’électricité, de l’eau chaude… et des gaz à effet de serre !

En conclusion
Personne n’a envie de revenir à la lampe à huile, encore moins à la lampe sans huile, mais pour cela, arrêtons de nous cacher derrière une balance commerciale apparemment positive, et prenons les devants, car l’insécurité alimentaire guette.

Cet article a été publié sur le blog de Christophe Gatineau, le Jardin vivant.

Photo du haut © Matthias Ripp – Flickr